LETTRE À MARSEILLE
Notre-Dame-de-la-Garde vue depuis Noailles. (Photo : BG)
LETTRE À MARSEILLE
Ma chère Marseille,
Me voici de retour.
Le 31 janvier 2021, je t’avais écrit une lettre de rupture. Je te quittais, pour aller vivre pas loin, à Avignon, et je voulais m’expliquer sur ce départ. Mais, avec le temps, je me suis rendu compte que c’était une lettre idiote et une idée stupide. Comme si je pouvais me séparer de toi. Comme si je pouvais vivre à Avignon en étant lié à cette ville comme je le suis à toi. Et, en revenant avec toi, je voudrais mieux comprendre pourquoi tu es ma ville, de quoi est faite cette urbanité qui est la tienne et que je n’ai pas pu retrouver dans cette ville d’à côté.
D’abord, tu es plurielle. Tu n’es pas une seule ville, tu en es plusieurs à la fois. Tu parles plusieurs langues, tu réunis plusieurs mémoires dans ton histoire. Tu es une sorte de carrefour où se mêlent des cultures, des mythes, des légendes qui racontent des choses diverses. C’est un peu pour cela qu’il n’y a pas un seul centre, à Marseille. Il n’y a pas une seule place publique, mais il y en a un grand nombre. Et il ne faudrait pas, comme le font les touristes et les parisiens, te réduire à la Canebière ou au Vieux-Port. Mais, à parler du Vieux-Port, il ne faut pas oublier que tu es née d’ailleurs. C’est ce que vient nous rappeler cette petite plaque au bord du « Lacydon ». Ce qui t’a fait naître, Marseille, c’est cette rencontre entre un marin, Protis, et une belle femme, Gyptis, la fille du roi du coin. Cette rencontre a permis la naissance de « Massalia », cette communauté fondée par des Grecs. C’est que, comme tous les ports du monde, comme tu fais face à la mer au bord de qui tu es située, tu es ouverte sur le large, mais, surtout, sur l’étranger, sur celui qui vient d’ailleurs, qui apporte le monde avec lui quand il vient te voir ou quand il te trouve si belle qu’il vient habiter chez toi.
Par ailleurs, tu es une ville de mouvement. Ce sont les parcours et les déplacements qui font la ville ; un espace ne peut pas être une ville quand il s’agit d’une belle endormie. Non. Ce qui fait de toi une vraie ville, ce sont ces transports et ces déplacements qui inscrivent ton identité dans le mouvement. Tu es parcourue de réseaux multiples qui se croisent et se rencontrent, et qui, ainsi, empêchent les ségrégations et les isolements. Tu ne supportes pas les confinements, Marseille, parce que tu sais bien qu’ils t’empêcheraient d’être pleinement toi. Ce sont les déplacements et les mouvements qui font la ville parce qu’ils lui donnent une dynamique de rencontres et de croisements qui font échapper celles et ceux qui t’habitent à la prison que sont devenues certaines villes. Après tout, nous pouvons, de nouveau, nous interroger sur le sens du mythe qui raconte ta naissance, car, même s’il s’agit d’un mythe et pas nécessairement d’une histoire conforme à la réalité, il s’agit d’une histoire dans laquelle tu te retrouves. Eh bien, c’est au cours d’un voyage, d’un déplacement, que des gens de Phocée, en Asie mineure, ont trouvé que tu étais belle et qu’ils avaient envie de séjourner chez toi.
Mais il y a plus : comme tu es un espace d’activités multiples et d’identités multiples qui se croisent et qui se parlent, tu es ce que l’on appelle une métropole. Tu n’es, ainsi, pas seulement une ville, mais une ville-mère, ce que signifie ce beau mot, « métropole ». Une ville-mère, c’est une ville qui n’est pas seulement un espace où l’on habite et où l’on vit, mais qui est, surtout, un espace dans lequel des peuples et des générations se retrouvent en donnant naissance à d’autres peuples comme eux. Une ville-mère, c’est une ville qui a des enfants. Et, ainsi, une métropole, c’est aussi un espace politique et un espace économique, un espace de pouvoirs et de contre-pouvoirs et un espace d’échanges et d’activités. On n’habite pas une métropole comme on habite une maison : habiter une métropole, c’est y aller à la rencontre de l’autre. C’est pourquoi il est si important de se rappeler que les mots sont au cœur de la ville, et, au-delà, que c’est par les paroles qui s’y disent qu’une ville devient une métropole. Tu as suscité un immense espoir, chère Marseille, quand tu t’es décidée, en 2020, à mettre fin au règne de la droite et du libéralisme. J’étais encore chez toi à ce moment, et c’est pour cela que je n’aurais pas dû te quitter, je le sais. Cet espoir est ce qui fait de toi un espace vivant, un espace dans lequel la politique n’est pas faite seulement de porteurs de pouvoirs, mais dans lequel c’est le peuple qui fait la politique, qui la vit et qui la fait vivre. En tout cas, chère Marseille, c’est ce que j’attends de toi, et c’est pour cela que j’ai envie de revenir pour te retrouver. Je suis revenu et je t’écris cette lettre pour te dire, par ces mots, que, chez toi, je retrouve cette vieille histoire de la cité où nous sommes des citoyens pace que nous rencontrons l’autre.
Bien sûr, je sais bien qu’il y a encore du travail à faire pour finir de faire de toi une véritable métropole. Il faut faire vivre encore davantage les lieux de la culture et les espaces de la parole. Il faut donner à celles et à ceux qui t’habitent des lieux de vie dans lesquels ils puissent se retrouver pleinement. Il faut encore faire davantage pour que puissent se mettre en œuvre de véritables mobilités urbaines. Surtout, l’urgence, tu le sais bien, elle est d’en finir avec la séparation entre ton Nord et ton Sud, de mettre, enfin, un terme à la séparation qui menace ton existence même comme un espace urbain. C’est bien pourquoi on ne peut te vivre tout à fait qu’en réunissant l’habitant et le citoyen dans une même exigence et dans un même projet.
Mais je sais que tu y arriveras, avec l’aide de nous tous, avec l’aide de toutes celles et de tous ceux pour qui habiter, c’est vivre et se battre. Je le sais parce que toute ton histoire est faite de combats et de confrontations, d’engagements et de débats. C’est bien pour cela que tu as imaginé, un jour, une belle chanson qui porte ton nom et qui nous rappelle que pour être des citoyennes et des citoyens, il faut prendre les armes et descendre dans la rue, parce que c’est dans la rue que se construit la ville.
Pour toutes ces raisons, je viens te retrouver, parce que, tout simplement, je t’aime, Marseille.
Commentaires
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Je vous souhaite un bon retour parmi vous ! 🙂
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Vous devriez faire don de cette lettre à l’Office du Tourisme de Marseille 🤗
Je ne sais si certains policiers de la “PJ” ou des “Stups” liront votre texte,mais ils vont bien se marrer.
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Votre lettre, comme toute lettre d’amour, embellie et mythifie quelque peu l’objet de votre amour, mais elle decrit aussi une réalité de l’identité de Marseille, que je reconnais, cette réalité de la rencontre, du brassage, du verbe, où tous les apports se melangent joyeusement, ce bouillonnement populaire, cette réalité inconnue pourtant de certains Marseillais, ou méconnue. Merci d’avoir partager ce texte 🙂
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Ce Marseille idéalisé était presque réaliste il y a une bonne vingtaine d’années. Je ne vais remonter aux calendes Grecques.
Un phénomène flagrant de la disparition de cette ambiance,les plaintes et demande d’aide des commerçants de Noailles qui n’en peuvent plus des voyous et trafiquants.
Et Dieu sait si effectivement ce quartier est bouillonnant,mêlé et sympathique en occultant le désastre de l’état immobilier du quartier.
Après, l’Amour rend aveugle,cela est bien connu.
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Cela fait du bien de lire ça. Alors merci, bon retour à la maison et, effectivement, ne baissons jamais les bras car notre Ville et ses citoyens méritent qu’on se batte pour eux.
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