L’ESPACE PUBLIC CONFISQUÉ (2)
Nous poursuivons aujourd’hui le questionnement engagé la semaine dernière sur l’envahissement de l’espace public de Marseille par les pollutions qui nous le rendent invisible en en fermant l’accès.
Une autre confiscation : les smartphones et les téléphones mobiles
Une troisième façon de s’approprier l’espace public se manifeste sous la forme de la téléphonie mobile : celles et ceux qui sillonnent Marseille, forclos comme dans des bulles dans leur téléphone ou leur smartphone, confondent espace public et espace privé, nous inondant de leurs conversations privées et ne voyant plus dans quelles rues ni dans quel espace urbain ils se situent. Ils n’habitent plus Marseille, mais leur téléphone. C’est la dernière folie des technologies de l’information et de la communication, car la communication ne met pas en relation les personnes qui se parlent entre elles dans la réalité de la rue, mais des personnes invisibles, absentes, comme s’il s’agissait d’échanges virtuels, de la même façon, d’ailleurs, que le virtuel s’est emparé des échanges de communication et la production de l’information. Finalement, ce ne sont plus des personnes qui s’approprient ainsi l’espace public, mais ce sont les mobiles et les smartphones : ils ont envahi l’espace public de la ville et ils nous enferment dans la réalité imaginaire de leurs écrans. Une autre Marseille est en train de naître : nous n’habitons plus Marseille, mais un espace public confisqué par les technologies de la communication. Le risque est que la ville, à terme, ne finisse par disparaître, noyée ainsi dans le déluge des écrans.
L’emprise de la propriété privée
À Sainte-Marguerite, des rues entières sont fermées par des grilles. On ne peut plus y simplement passer. La municipalité Gaudin a commencé cette généralisation de la clôture de certaines rues de l’espace public, mais il est temps de mettre fin à cette pratique et d’ouvrir, enfin, les rues de tous les quartiers de Marseille. Cette emprise de la propriété privée sur des rues entières de Marseille, à Sainte-Marguerite mais aussi dans certains lieux de l’avenue du Prado, qui conduit à leur fermeture interdit aux simples passants de s’y déplacer, ne serait-ce que pour marcher, simplement. Cela signifie à la fois que les propriétaires des immeubles de ces rues se prennent pour les propriétaires de la ville et que les promeneurs à pied sont, a priori, considérés comme des délinquants dont il faut se méfier et à qui il faut interdire l’accès. Les municipalités Gaudin, de 1989 à 2020, ont entrepris cette privatisation d’espaces qui sont, légalement, à tout le monde. Il devient urgent que municipalité dirigée par B. Payan mette fin à cette pratique inacceptable, la rue doit redevenir ce qu’elle a toujours été : un espace du peuple. Il ne peut y avoir de propreté privée de la rue : ce qui définit la rue et qui permet de la reconnaître est, justement, que l’on peut y circuler. Cette emprise de la propriété privée est comme une violence : on se dit que, comme dans certains autres espaces enfermés hors de la société, on peut s’y prendre une balle de fusil ou de revolver, on peut s’y faire agresser par un propriétaire mécontent ou méfiant, alors que l’espace public est un espace de paix et de rencontre de l’autre. Mais le domaine privé est aussi une fermeture de la ville : les propriétés privées se coupent de la ville, elles s’isolent de la ville et de ses habitants. Quand on vit dans une telle propriété, on se met à l’écart de la ville et des habitants. Fermer une rue, c’est ainsi une façon de l’exclure de la ville, une manière, pour celles et ceux qui y vivent, de se mettre à l’écart de la ville, comme si l’espace urbain n’était pas assez beau pour eux. Les rues ne sont pas des propriétés privées, non seulement parce que n’importe qui doit pouvoir les emprunter, et qu’ainsi, elles font partie de notre liberté, mais aussi parce qu’elles sont l’identité de la ville. On reconnaît la ville à ses rues, et, quand on ne peut plus aller dans une rue parce qu’elle ferme, on ne peut plus reconnaître la ville.
L’abus des tags
Il s’agit d’une autre sorte de vol de l’espace public. Les murs des immeubles de Marseille, comme, bien sûr, ceux de toutes les villes, sont couverts de tags et d’œuvres qui peuvent être des œuvres de l’art urbain, mais cela finit parfois par empêcher de voir les constructions et même de voir la rue. Il y a deux sortes de tags. Certains peuvent être beaux, concourant, ainsi, à l’esthétique des murs de la ville. Ils peuvent donner de la couleur et de belles formes à des murs de béton sans esthétique et sans âme. Certains peuvent être porteurs de messages politiques : des graffiti ont toujours fleuri dans la ville pour manifester, par l’écriture publique, des oppositions, des protestation. Ceux-là sont à tout le monde : comme les affiches, ils donnent à lire, à réfléchir, ils contribuent à l’expression de la politique dans la rue. Les graffiti dans la ville sont une des formes d’expression de la politique qui, comme son nom l’indique, est née de la ville (polis) et pour elle. Mais d’autres, malheureusement de plus en plus nombreux, ne font qu’enlaidir les murs de la ville, confisquant ainsi l’espace public d’une autre manière. Il ne s’agit pas d’une libération des murs pour qu’ils cessent d’être de simples murs de fermeture, mais il s’agit, plutôt, d’une pollution qui vient agresser les yeux et le regard de ceux qui se promènent dans la rue. Ils nous empêchent de voir la ville en occupant tout notre regard par une violence, comme une blessure des yeux.
La confiscation de l’espace public : de nouveau, la forclusion
Confisquer ainsi l’espace public, c’est, une fois de plus, y opérer une forclusion, y pratiquer une sorte de confinement, comme aux beaux temps du COVID. Si l’on réfléchit bien, on peut se dire que ce n’est pas le COVID qui a conduit à la clôture de certains lieux ni même à l’enfermement du visage derrière le masque, mais c’est l’inverse : cette hégémonie de la fermeture et de la forclusion s’est servie du COVID pour se trouver une justification la rendant légitime. La confiscation de l’espace public par toutes ces sortes de pratiques et de formes que nous venons de regarder n’est que la forme peut-être la plus violente de la disparition de la rencontre et de l’autre. Alors que la ville a toujours été un espace d’échanges, de paroles et de rencontres, elle finit par devenir un espace dans lequel les propriétés privées sont placées les unes à côté des autres, enfermées, sans regard des habitants de l’une sur ceux de l’autre et sans échange de parole de celles et de ceux qui vivent dans l’une avec celles et ceux qui vivent dans l’autre. La ville risque de ne plus être une ville, mais de se perdre dans des espaces privés dans lesquels on ne peut plus aller à la rencontre les uns des autres, dans lesquels on ne se parle plus et dans lesquels on n’a plus de regard sur le voisin. L’étape suivante est la disparition de la ville, remplacée par des quartiers confiés les uns à côté des autres, dans des villes dans lesquelles on est isolé les uns des autres. Cela s’appelle la ségrégation. Des milliers de femmes et d’hommes sont morts en Afrique du Sud pour mettre fin à ce que l’on appelait l’apartheid, et nous risquons de retrouver un mode de vie semblable dans notre propre ville de Marseille. Il s’agit aussi de cette autre forme de ségrégation qui, dans la Chine d’avant, séparait les peuples les uns des autres en construisant une « cité interdite ». Il ne faut pas que Marseille devienne une telle ville. Ce serait la mort d’une ville comme elle qui, ayant de tout temps été un port, puisque c’est ainsi qu’elle est née, a toujours été ouverte sur l’autre.
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