LES SÉGRÉGATIONS À MARSEILLE (2)
Poursuivons ici le débat engagé dans « Marsactu » le 13 décembre dernier sur la question des ségrégations que connaît la ville de Marseille.
La ségrégation par les transports
La circulation et les transports jouent un rôle essentiel dans la dimension sociale de l’aménagement d’une ville. En effet, c’est en se déplaçant dans tous ses quartiers que l’on s’approprie réellement une ville, que l’on devient pleinement celle ou celui qui l’habite, qui y vit. Dans les transports en commun, on peut ainsi rencontrer les autres en les accompagnant ou en les croisant au fil de leurs parcours et des nôtres. C’est pourquoi la ségrégation dans les transports en commun est une question importante. La première ségrégation des transports en commun marseillais est celle des lignes de métro. La ligne 1 va de la Rose jusqu’aux beaux quartiers de la Fourragère, tandis que la ligne 2 va de Gèze, avec ses marchés, jusqu’aux quartiers du Sud comme Sainte-Marguerite. Mais les lignes de métro, sans doute destinées à réunir des quartiers dissemblables afin de mettre en œuvre une politique d’égalité, ne font, en réalité, que séparer les quartiers en rendant plus fortes les différences entre les pratiques sociales qui leur donnent leur place dans la ville. Par ailleurs, les lignes de bus et celles de tramway renforcent les séparations entre les quartiers, à la fois en traçant des lignes ne reliant pas les mêmes sortes de quartiers et d’habitations et en ne desservant pas les lieux à la même fréquence. Enfin, les voitures particulières, en raison justement des différentes logiques de la desserte des quartiers, prennent sans doute plus de place dans les quartiers moins riches, ce qui contribue à la dégradation de leur environnement.
La ségrégation et la politique de l’environnement
C’est, en effet, par les politiques d’environnement que les quartiers de la ville se distinguent les uns des autres. D’abord, pour commencer par les inégalités les plus évidentes, la question de la propreté est une manifestation de la ségrégation. Il se trouve que, toutes les semaines, je me rends à Périer, et je peux dire que les trottoirs y sont plus propres et les poubelles vidées plus souvent que dans les quartiers Nord. La pollution est, ainsi, l’un des points dans lesquels l’inégalité peut se mesurer. Il s’agit aussi de la politique de l’architecture et des constructions. Les immeubles construits dans les quartiers du Nord de la ville l’ont été à la va-vite, souvent dans l’urgence, et sans préoccupation esthétique, alors que ceux des quartiers du Sud ont permis la construction de beaux quartiers ou la préservation d’espaces urbains dans lesquels on peut prendre plaisir à se promener.
La crise de la société urbaine
Pour reprendre un terme de V. Artaud, l’urbanisme marseillais fait apparaître de véritables « fractures sociales ». C’est en ce sens que l’on peut comprendre combien il est urgent de résoudre les crises de la construction et de l’aménagement de la ville. Pour le moment, tous les habitants défavorisés acceptent ce qui leur est imposé, mais il se pourrait bien que cette résignation prenne fin. On peut penser que les inégalités de construction et les défauts de l’aménagement de certains quartiers sont pour quelque chose dans l’accroissement des trafics de stupéfiants à Marseille. Si les habitantes et les habitants prenaient plaisir à vivre dans les constructions qui leur sont proposées, ils n’auraient pas besoin de sortir de leur vie ordinaire en cherchant, y compris dans les addictions, des façons de vivre en-dehors de l’espace qu’ils habitent. Dans son entretien avec V. Artaud paru dans Marsactu du 16 novembre dernier, S. Novella rappelle aussi l’importance de l’histoire dans cette crise de la société marseillaise et la nécessité de la situer dans ce que l’on pourrait appeler un « temps long » de l’habitation. En effet, la séparation entre les quartiers riches de la ville et ses quartiers plus pauvres remonte à l’après-guerre et à l’urgence de la reconstruction, voire à la naissance de la richesse de la ville rendue possible par l’ouverture du port, qui a conduit à la séparation entre les quartiers facilement reliés à ses activités et ceux qui en étaient plus éloignés. Dans le temps long de la ville, on peut aussi rappeler que des événements comme la peste de 1720 n’ont pas frappé de la même façon tous les habitants de la ville. C’est ainsi que l’on peut remarquer que c’est toute l’histoire de Marseille qui est structurée par des inégalités plus ou moins aiguës selon les époques, mais toujours fréquentes. À Marseille, la crise de la société urbaine est, d’abord, celle des inégalités.
Les responsabilités de la gauche et celles de la droite
Et nous revoilà devant la vie politique et devant les pouvoirs municipaux et métropolitains, dont les responsabilités sont considérables dans le maintien ou l’aggravation des inégalités et, aussi, dans l’élaboration d’une politique plus équitable du logement, de l’aménagement des espaces d’habitation et des lieux d’activité, ainsi que des transports. Sans doute l’élection d’une municipalité de gauche, celle de M. Rubirola et de B. Payan exprimait-elle la volonté des habitantes et des habitants d’en finir avec ces inégalités. Mais ce n’est pas en seul mandat que l’on peut revenir à une politique d’égalité rejetée au moins depuis les mandats de la droite commencés en 1995 et achevés en 2020. Il n’empêche que la première urgence de la gauche est d’élaborer et de suivre une politique municipale d’égalité. Encore convient-il se se rappeler qu’une telle politique de construction et d’aménagement, équitable et de gauche vient, d’abord, se heurter à la politique des transports qui, elle, est menée par une métropole de droite. Il s’agit aussi des inégalités dans le domaine de l’architecture, dans celui de l’immobilier et dans celui de l’habitat. Dans ces domaines, les responsabilités des pouvoirs municipaux et métropolitains demeurent immenses. Les effondrements de la rue d’Aubagne illustrent, parmi d’autres exemples, le bilan que l’on peut faire des politiques d’aménagement urbain à Marseille, et il permet de mesurer l’urgence d’une véritable réorientation de ces politiques. Si la note d’A. Ferret et de S. Novella, publiée par l’I.N.S.E.E., citée dans l’entretien entre S. Novella et V. Artaud, semble observer le début d’un recul des inégalités de l’aménagement urbain, le chemin à parcourir est encore long pour parvenir à une ville équitable pour toutes et tous ceux qui y vivent. Il faut en finir avec une politique municipale fondée seulement sur la fonctionnalité, mais il importe que la politique de la ville, à Marseille comme dans toutes les villes, soit orientée vers la recherche et l’expression d’une véritable identité urbaine permettant à l’ensemble des habitantes et des habitants de la ville de se retrouver en elle. C’est, en particulier, le rôle d’une municipalité qui donne du sens à la vie des habitants dans la ville, à la fois dans le temps court de la quotidienneté et dans le temps long du projet et de l’histoire.
Commentaires
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Très problématique le passage sur les addictions. Je rappelle que l’addiction est une pathologie et un trouble sérieux du comportement. Il n’est pas généré par l’urbanisme d’un quartier, non.
On peut identifier des facteurs aggravante qui favorisent l’addiction. Mais ils n’en sont absolument pas la cause…
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Je n’arrive pas bien à voir le fil conducteur de ce billet de blog. Entre la peste de 1720, la reconstruction d’après guerre mondiale, celle d’après guerre d’Algérie, la construction du port de commerce par le deuxième empire, je m’y perd un peu. Je pense que malheureusement c’est le chômage qui est déclencheur de l’économie de la drogue plutôt qu’un mal-vivre dans un environnement de cités. Les quartiers nord (pas seulement la Rose) foisonnaient d’établissements industriels plus ou moins gros, plus ou moins liés à l’activité portuaire très proche. Avec la chute de l’activité portuaire et la désindustrialisation pour raisons financières, ces quartiers ont dépéri et le chômage en général et celui des jeunes en particulier à explosé. D’autre part, je ne comprends pas très bien l’argumentaire sur les lignes de métro qui rejoignent les quartiers en les ségréguant. Je devrais relire mais il faut vraiment du temps et de la constance pour ce faire.
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