LES CROISIÉRISTES : UNE NOUVELLE PESTE ?

Billet de blog
le 17 Jan 2025
1

Ils sont amarrés le long des quais du Vieux Port, ils ont des tailles de plus en plus importantes, ils polluent l’atmosphère quand ils naviguent, ils occupent l’espace. Parlons un peu de cette nouvelle maladie du port.

Bateau de croisière au J4 en juillet 2024.(Photo : AC)
Bateau de croisière au J4 en juillet 2024.(Photo : AC)

Bateau de croisière au J4 en juillet 2024.(Photo : AC)

Une activité illusoire du Port

Certes, ils occupent l’espace du port, en manifestent une forme d’activité. Mais il s’agit d’une activité illusoire. Les bateaux des croisiéristes ne transportent pas de marchandises et il y a longtemps que les bateaux ne transportent plus de véritables voyageurs – à l’exception, peut-être, des bateaux transportant des voitures ou servant de correspondances à des lignes de chemin de fer. Les entreprises qui organisent les croisières sur ces bateaux ne sont que des entreprises touristiques qui, en quelque sortent jouent au port et aux navires. Il s’agit d’une activité illusoire, car les croisiéristes se contentent de produire la fausse richesse générée par l’activité touristique. Les croisiéristes produisent une activité factice qui fait croire que le Port continue à vivre comme avant. Mais ne nous trompons pas. D’abord, l’ouverture du port de la Joliette, au début du dix-neuvième siècle, a manifesté une sorte de transfert de l’activité maritime de Marseille qui a quitté ce qui devenait le « Vieux Port ». De nos jours, les seuls bateaux du Vieux-Port sont les voiliers et les autres navires de la navigation de plaisance et les bateaux assurant la liaison entre le centre de Marseille et les îles qui sont au large. Mais la véritable activité économique du port devenu le « Vieux-Port » a disparu. Quant au port de la Joliette, ce sont les nouvelles installations portuaires du Nord de Marseille qui l’ont affaibli en opérant un déplacement semblable des activités qui étaient devenues les siennes. À Marseille, le Port n’est plus dans la ville. C’est, d’ailleurs, le cas de tous les ports qui, en France et dans les autres pays, avaient contribué à la naissance des villes où ils sont situés : l’expansion urbaine et les mutations des activités des ports sont partout à l’origine d’une séparation entre les ports et les centres urbains.

 

Des bateaux qui transportent des troupeaux de touristes

 Certes, les bateaux des croisiéristes sont, comme les autres, des moyens de transport maritime. Ils ont l’air de bateaux comme les autres, mais c’est une fiction. Ces bateaux ne transportent pas de vrais voyageurs, mais de véritables troupeaux de touristes. Il s’agit de personnes qui se donnent l’illusion de voyager, de découvrir de nouveaux mondes différents des leurs, ils font semblant d’être les passagers de lignes de transport maritime, mais, comme les troupeaux, ils paissent, avalant sans les choisir les morceaux de ville que leur proposent leurs « gentils organisateurs » comme s’intitulaient ceux du Club Méditerranée. Ces troupeaux se déplacent en groupes, à bord des bateaux comme dans les villes qu’ils font semblant de visiter, ils ne sortent pas des groupes dont ils font partie, ils ne prennent pas d’initiatives personnelles, ils font semblant de visiter les villes où ils vont, mais, à bien réfléchir, ils collectionnent les destinations de leurs semblants de voyages car, partout, dans tous les périples auxquels ils se livrent, ils font les mêmes choses. Les programmes de ces voyages sont toujours les mêmes, et c’est pourquoi leurs bateaux, que l’on peut voir à la queue leu leu le long des quais de la partie Nord de Vieux Port se ressemblent tous. Les troupeaux qu’ils transportent ne sont même pas de véritables troupeaux, car on entend à peine le son de leurs voix, puisqu’ils ne parlent pas, se contentant de prendre des photos en portant les mêmes regards sur les sites le long desquels ils se déplacent.

 

Surtout, ne pas se mêler aux habitants de la ville

Une caractéristique des clients des croisiéristes, à Marseille comme dans les autres ports où l’on peut en rencontrer, est de ne pas se mêler aux populations. Les navires des croisiéristes sont comme des prisons dans lesquelles les touristes sont enfermés. Sans contact avec les populations, restant enfermés sur eux-mêmes, les touristes sont comme isolés dans de véritables prisons. En effet, ce ne sont pas seulement les croisiéristes mais tous les acteurs des entreprises de tourisme qui enferment les peuples dans des activités qui les isolent sans être mêlés aux populations des pays qu’ils visitent, sans même parler leur langue, en se contentant de goûter les « spécialités » culinaires de ces pays et de voir les habitantes et les habitants en les enfermant dans les images de leurs appareils photo. Les voyages proposés par les croisiéristes sont comme des maladies – ils isolent celles et ceux qui en sont atteints, mais, en même temps, leurs clients craignent que celles et ceux qui vivent réellement dans les villes et les pays qui sont leurs destinations ne soient eux-mêmes porteurs de maladies qu’ils pourraient leur transmettre s’ils se mêlaient un peu trop à eux. Leur façon d’envahir l’espace se limite au port et aux quelques sites touristiques de la ville. Être en visite dans un pays ne signifie pas habiter ce pays, car c’est se contenter de voir les habitants de ce pays. Simples visiteurs, les croisiéristes ne se mêlent pas aux populations, ils ne leur parlent pas, ils n’échangent pas avec eux, se contentant d’en recueillir et d’en conserver des images comme des sites et des monuments des villes.

 

Une peste qui n’est pas propre à Marseille

Pour Marseille, les croisiéristes sont une nouvelle peste : ils infestent le port en prenant la place qui pourrait être utilisée par de véritables navires, est, comme la peste, ils confinent les gens qui en sont atteints en les isolant de l’espace de la  ville. Mais cette peste n’est pas propre à Marseille. On voit les croisiéristes et leurs clients dans les autres ports de la Méditerranée comme, par exemple, à Venise qui est l’illustration la plus caricaturale de ce semblant d’activité du tourisme. Il s’agit d’une peste à la fois parce que cette épidémie frappe de nombreux visiteurs des villes et parce que, comme toute contagion, elle nécessite le confinement de ceux qui en sont atteints. Cette peste des croisiéristes marque une nouvelle étape de la dégradation de l’espace méditerranéen, de la réduction de la Méditerranée à un espace de jeu. Les grandes villes du passé glorieux et riche de cet espace portent encore la trace de ce qui fut un monde actif et glorieux jusqu’à la découverte de l’Amérique et à son développement, jusqu’à l’aménagement des nouveaux ports et à la transformation de l’activité maritime et jusqu’à la découverte de l’aviation, toutes étapes de la réduction de cet espace à un espace de passé, de de jeux et de simulation. Cette peste, qui n’est pas propre à Marseille, est en train de transformer la Méditerranée toute entière en un espace de jeu et en une galerie de souvenirs, en une sorte de musée.

 

Une économie factice sans lendemains

Même si on peut avoir l’impression que le tourisme est une activité économique, ne nous trompons pas : c’est une activité illusoire sans lendemain. D’abord, l’argent dépensé ne l’est que dans de la consommation immédiate sans être réellement investi. En ce sens, le tourisme fait partie de l’économie de la consommation, qui n’est pas une véritable économie. Par ailleurs, cette économie factice dépend des modes, elle n’est pas liée à de véritables projets de développement, mais aux normes factices des prescriptions artificielles d’usages et d’activités éphémères. Si une ville comme Marseille se laisse prendre à une telle illusion d’économie, cela peut être le symptôme d’un appauvrissement réel et d’un accroissement de la dépendance. La ville ne doit pas se laisser prendre à ce qui n’est qu’un symptôme de sous-développement. La véritable économie est ailleurs.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Pascal L Pascal L

    On peut ajouter à ce constat que les opérateurs de croisière sont les rois de l’évasion fiscale : MSC paie surtout (un peu) des impôts en Suisse (il faut dire que la marine suisse c’est quelque chose !) et depuis 10 ans Costa a fait l‘objet de plusieurs articles sur ses manœuvres d’optimisation fiscale.

    A cela s‘ajoute le carburant détaxé et toutes les ventes hors taxe dès qu’on est en dehors des eaux internationales, les charges sociales très réduites car le statut des « esclaves travailleurs en mer » n’est pas du tout celui des travailleurs de l’hôtellerie à terre.

    Tout cela permet des prix inférieurs à l’hôtellerie classique mais aussi à ceux des magasins à terre et donc une concurrence déloyale. Le touriste achètera son savon, ses navettes et son pastis à bord et se contentera de regarder les prix dans les magasins marseillais juste pour avoir le petit plaisir de calculer ce qu’il économise.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire