LES BONS LEVIERS

Billet de blog
le 1 Août 2025
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À « C. »

 

Dans « Marsactu » du 23 juillet, Myriam Léon parle de l’agression dont a été victime une infirmière en psychiatrie aux Baumettes, à la mi-avril dernier. Je voudrais revenir sur cet événement et sur ce que dit Myriam Léon de ce qui ne s’est pas passé.

Le viol et le silence

L’agression dont « C. » a été la victime est une violence parce que le corps et le psychisme de « C. » en ont été les victimes, mais aussi parce qu’en plus de la violence sur son corps, « C. » a connu une autre violence, celle du silence. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », écrivait Pascal dans ses « Pensées ». Rien n’a donc changé en bientôt quatre siècles. Même si, en écrivant cela, Pascal ne parlait pas particulièrement des violences sexuelles, celles-ci trouvent leur place dans le monde qu’il décrit, celui du silence. L’urgence de nos jours est là : dans la nécessité de retrouver les mots et les voix. On a souvent l’impression, et, pour commencer, « C. » l’a ressentie, que nous vivons dans un « monde du silence », dans lequel nous ne connaissons des autres que la violence des rapports de force et du silence qui nous sépare les uns des autres, chacun de nous isolé dans sa bulle au milieu des bulles de silence dans lesquelles nous sommes enfermés à clé dans la violence de la clôture. Mais nous n’avons pas la clé : la clé, cela pourrait, justement, être les mots. Pour « C. », à la violence de l’acte dont elle avait été la victime, a succédé la violence du silence de l’État, de son administration, de ses services. Pour un peu, on ne la croyait pas, tellement ses paroles sont restées en l’air, sans écoute et sans réponse. Cela a été comme un second viol qui l’a agressée. L’État n’a pas tenu sa place, qui est celle de la protection de celles et de ceux qui vivent sous son pouvoir et celle de l’écoute et de l’attention à leurs paroles. C’est comme si le silence de l’État avait réduit « C. » à son silence à elle, l’avait condamnée à ne pas parler. Cette violence et ce silence, certes, tiennent à l’absence de quantités suffisantes de personnes, « d’effectifs », comme on dit, oubliant, au passage que ce ne sont pas des nombres, de simples « effectifs », mais des femmes et des hommes, mais ils tiennent aussi, peut-être même surtout, à l’incapacité de l’État à écouter celles et ceux qui travaillent pour lui. Ce silence a été l’autre violence subie par « C. ».

 

Les mots et la parole

C’est qu’après que l’événement eut lieu, « C. » s’est heurtée à cette autre violence, celle de l’absence des mots. Elle a tenté de raconter ce qui s’était passé, mais sa parole a commencé par ne trouver que le silence. Au commencement, les mots de « C. » se sont heurtés à l’absence d’écoute, alors que, dans une circonstance comme celle-là, les mots sont la première urgence. C’est par les mots, et « C. » le sait bien, que l’on peut retrouver son chemin et sa place parmi les femmes et les hommes. C’est par les mots que l’on peut retrouver sa personne, que l’on peut, somme toute, se retrouver soi-même. Mais « C. » était dans une double prison. Elle était dans une prison, tout simplement parce que c’est aux Baumettes qu’elle était infirmière, mais elle était dans une autre prison, celle de l’absence d’écoute. Je ne parle même pas de compréhension et encore moins d’empathie, ce serait trop compliqué pour une administration, je parle seulement d’écoute. Après avoir subi le choc de la violence d’un homme, « C. » s’est heurtée à une autre violence, celle du « monstre froid », l’expression par laquelle Nietzsche décrit l’État, « le plus froid de tous les monstres froids », dit-il. C’est que l’État n’a pas de mots, il n’est que dans les rapports de force et dans la guerre, ce qui revient au même. L’expérience de « C. » n’est, finalement, qu’une figure de plus de la guerre, de cette guerre que l’État semble ne plus avoir comme moyen d’expression de nos jours. Ce qui s’est passé aux Baumettes, c’est un épisode de plus de la guerre que les états semblent avoir déclaré aux femmes et aux hommes que nous sommes – et que « C. » semble bien décidée à rester, comme en nous donnant une leçon d’humanité. À la force de la violence, elle a choisi de répondre par la force des mots. En ce sens elle a choisi de faire retrouver à sa vie le sens qu’elle risquait de perdre.

  

Les « bons leviers »

Le « protocole agression », dit la directrice générale adjointe de l’AP-HM, « a été mis en œuvre ». C’est une première remarque que m’inspirent les propos de l’administration des Hôpitaux de Marseille. Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites…Comme si à chaque événement, même douloureux, même d’une particulière violence, particulière parce que commise sur la personne même d’une personne, la bureaucratie avait sa réponse, toute faite, toute prête, entre deux fiches de règlement administratif, dénommé « protocole agression », comme une simple fiche de consignes à suivre. Mais ce n’est pas une question de « protocole » qu’il s’agit, c’est de l’identité d’une infirmière qu’il est question, de son psychisme, de son corps, de ses émotions. Une fois de plus, l’administration ne sait répondre qu’en termes bureaucratiques. Et il y a ces autres mots, dans les propos de ce haut cadre : « le but d’activer les bons leviers pour mieux accompagner les agents ». Ce sont ces mots qui m’ont choqué et qui m’ont donné l’idée de cette chronique, que je voudrais dédier à « C. ». Comme si des êtres humains, des personnes, comme nous, n’étaient que des moteurs, qu’il « n’y a qu’à », comme on dit, bien faire fonctionner. Eh bien, non. Ce n’est pas de leviers qu’il s’agit, mais de violence contre des êtres humains. Sans doute faut-il même un dévouement particulier, pour une infirmière, pour travailler dans une prison. Et, au lieu de la soutenir, de lui donner la protection qu’elle doit lui donner, la réponse de son administration est de chercher, dans un manuel ou dans une réglementation, les « bons leviers ». Tant que l’État réduira son action et sa politique à ce genre de notions et de figures, il se trompera, il errera, sans but ni horizon, il conduira notre pays à sa perte, comme le joueur de flûte de Hamelin. 

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