Les attrape-rêves

La bouche de Lee Miller par Man Ray

Il faut paradoxalement être bien éveillé pour parler du rêve… C’est donc à ce phénomène étrange et passionnant que nous convie la nouvelle exposition phare du Musée Cantini.

Profitons donc que nos yeux soient encore grands ouverts pour évoquer ce Rêve qui se visite de jour.

Nimbé de connotations divines dans la plupart des mythologies, le rêve a peu à peu intéressé l’art et la science tout en gardant sa dimension magique dans le chamanisme. Source d’inspiration pour les artistes, on le retrouve aussi bien du côté des surréalistes (André Breton, notamment) que dans la recherche en psychiatrie (Freud).

Sur le terrain de la science, le rêve est la production psychique, associant des images à des sensations partiellement mémorisées. « Le rêve n’a pas de présent », nous dit ainsi Paul Valéry. Mais le dictionnaire nous apprend aussi qu’il peut être le fait de donner libre cours à son imagination, ou encore la représentation de ce que l’on souhaite réaliser et que l’on conseille souvent d’engager. Antoine de Saint-Exupéry abonde dans ce sens avec son « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité ». Hors du temps, le rêve ne peut donc pas être en opposition avec la réalité. Nous voilà rassurés, place à l’exposition.

Clôturant une trilogie entamée en 2014 avec l’exposition Visages, et poursuivie en 2015 avec Futurs au Centre de la Veille Charité, le présent événement aborde « les interprétations infinies du rêve » comme l’indique le commissaire adjoint à la Direction des musées, Guillaume Theulière. « Le rêve n’a en soi pas de limites. C’est bien pour cela que l’exposition est ouverte à toutes et tous pour découvrir de façon immersive des œuvres connues ou plus confidentielles dans l’écrin d’une chronologie de la nuit. » Chaque œuvre y illustre le rêve, le rêveur, ou les conséquences du rêve. On comprend mieux pourquoi les quelques cent trente pièces exposées ne sont qu’une initiation aux nombreux visages artistiques du rêve ; entre peinture, sculpture, littérature, musique et cinéma. En complément, des temps forts sont aussi proposés : ateliers, conférences, concerts, déambulations guidées, contées, et même dansées voire dégustées. Le projet est donc clairement ambitieux, et peut-être un peu à l’étroit dans l’écrin du Musée Cantini.

La montée des étages du musée correspond à une progression dans le rêve, allant du sommeil au réveil, en passant par les figures de la nuit (rêve ou cauchemar) ou du rêve éveillé (hallucination ou fantasme). Comme la nuit peut être peuplée de rêves ou de cauchemars, « les œuvres peuvent dialoguer (La bouche de Lee Miller par Man Ray répondant au bijou de Dali) ou se confronter (le bouquet de seins de Bellmer côtoyant un monumental Picasso, Nu au bouquet d’Iris et au miroir). » Si cette richesse dans les œuvres est certes éclairée par les textes rappelant auteur, époque et matières utilisées (cartels, dans le jargon muséal), quelques textes explicatifs assurant le liant avec le thème abordé auraient été bienvenus… Audioguides et visites commentées sont donc ici d’une aide précieuse.

Le rêve a beau être individuel, l’accrochage de l’exposition est bel et bien le fruit d’un important travail d’équipe, comme le rappelle Guillaume Theulière. L’envers du décor est d’ailleurs souvent méconnu. « Jusqu’au dernier moment, l’emplacement d’une œuvre pouvait être changé en fonction d’une autre, selon le regard d’un artiste, d’un commissaire d’exposition, d’un scénographe, de régisseurs, restaurateurs ou de techniciens. » Comme le dit Bernard Blistène, ancien Directeur des musées de Marseille, « une exposition c’est comme du théâtre, c’est une mise en scène et les lumières s’allument. »

Guillaume Arias

Le Rêve : jusqu’au 22/01/2017 au Musée Cantini (19 rue Grignan, 1^er) Rens. : 04 91 54 77 75 / http://lereve.marseille.fr/