L’ÉCHEC D’EUROMÉDITERRANÉE

Billet de blog
le 8 Juin 2024
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Jour après jour, année après année, les symptômes s’accumulent : le projet Euroméditerranée est un échec. L’échec de ce projet tient à ce que la naissance d’un quartier de ville ne se décrète pas.

Qu’est-ce qu’Euroméditerranée ?

C’est en 1995 que le maire d’alors, Robert Vigouroux, lance le projet « Euroméditerranée ». Ce devait être un projet comparable à la Défense à Paris, à la Part-Dieu à Lyon, ou à Euralille dans la métropole des Flandres. L’idée était de relancer Marseille, de donner un nouvel élan à la ville en concevant un quartier neuf dont la construction et l’aménagement associerait architectes et urbanistes, immeubles de logement, immeubles de bureaux et espaces commerciaux. Ce quartier était censé manifester l’adaptation de Marseille au concept des villes nouvelles. Mais, dès le commencement, le projet ne pouvait pas convenir à Marseille, ville populaire et ville active. Marseille n’est pas une ville de bureaux, mais une ville qui vit par son peuple et par celles et ceux qui l’habitent. C’est pourquoi il n’y a, à Marseille, que des quartiers qui ont pu être dynamisés par leurs habitantes et leurs habitants.

 

Un quartier de vie réduit à un quartier de bureaux

C’est qu’un quartier de bureaux ne peut pas être une quartier de vie. Même des commerces imposés par les aménageurs ne sont pas de véritables commerces, et il n’y a pas de quoi habiter pleinement, réellement Euroméditerranée. Les technocrates qui ont conçu Euroméditerranée ne savent pas, au fond, ce que l’on appelle un quartier de vie parce qu’ils ne savent pas ce qu’est la vie, ils ne savent pas que ce sont les désirs qui font la dynamique de la vie. À cet égard, d’ailleurs, on peut rapprocher l’idéologie qui sous-tend des projets comme Euroméditerranée de ceux d’E. Macron. Tous ces projets sont sans vie, ils n’ont que des comptes, des calculs et des décisions qui n’ont pas de prise, de lien, avec la réalité de celles et de ceux qui habitent les espaces. Euroméditerranée manifeste ce que pourrait devenir la vie politique : des décisions imposées par des pouvoirs à des populations qui n’en veulent pas ou qui n’ont pas participé à des débats qui n’existent plus.

 

Des tours qui ne sont pas des immeubles, des passages qui ne sont pas des rues

Les immeubles qui constituent Euroméditerranée sont des tours. Ce ne sont pas de véritables immeubles parce qu’ils sont trop grands, ils ne sont pas à taille humaine, et, surtout, ils ne sont pas réellement habités : ce ne sont que des entassements de personnes qui y travaillent et qui y sont logés, sans habiter véritablement ces constructions. Les voies de circulation d’Euroméditerranée ne sont pas des rues, car on n’a pas envie de s’y promener, on ne les parcourt pas au hasard, sans but ou sans destination, seulement en se promenant : ce ne sont que des voies fonctionnelles, utilitaires, qui ne créent pas de paysages urbains. On marche vite, dans Euroméditerranée car on a toujours quelque chose à faire, une obligation à remplir, un devoir à faire. Les constructions d’Euroméditerranée sont des gratte-ciels qui ne savent que gratter le ciel, qui ne savent pas le montrer à ceux qui déambulent sans rien voir, en particulier sans voir les autres qu’ils croisent sans leur parler, en les ignorant. Ils sont réduits à n’être que des somnambules, comme ceux dont parlent Arthur Kœstler ou Christopher Clark.

 

Un espace hors de la ville

Euroméditerranée n’est pas dans Marseille, ce lieu est en-dehors de la ville, comme d’autres centres commerciaux. Il est hors de la ville à la fois parce qu’il est à la frontière du centre et parce que, quand on s’y trouve, on n’est pas dans Marseille. Quand la Joliette était un port, on n’y était pas non plus dans Marseille, mais on était dans un site propre à la ville qui, ainsi, faisait partie de son identité. L’activité du port faisait partie de l’être de la ville, qui avait toujours été, ainsi, un espace d’échanges et de relation entre l’Europe et la Méditerranée. Mais Euroméditerranée a, en quelque sorte, usurpé son nom, cet espace de la ville a volé son nom, car la Méditerranée n’a rien à voir avec lui. L’Europe, cela fait longtemps qu’elle a été volée par les technocrates et les commerçants du libéralisme européen. Mais Euroméditerranée non plus n’a pas d’identité. Euroméditerranée est comme tous les centres commerciaux et tous les centres d’affaires et de bureaux : son identité n’est pas celle de Marseille mais celle des centres, il est comme la Défense  à Paris ou la Part-Dieu à Lyon, et, d’ailleurs. Il n’est pas dans Marseille, mais dans un « ailleurs » qui est celui des agents de ce libéralisme qui ignore les populations. Le quartier Euroméditerranée a-t-il même une identité ?

 

Un quartier de ville ne se décrète pas

C’est qu’un quartier de ville a une identité. C’est un espace habité, un lieu de vie sociale. Pour cette raison, on ne peut pas décréter la naissance d’un quartier. Ce sont celles et ceux qui l’habitent qui font vivre un quartier en choisissant de le construire et de l’aménager selon leurs désirs et leurs modes de vie. De telles décisions ne viennent pas « d’en haut », ces choix ne peuvent pas être imposés par des pouvoirs. On n’impose pas l’existence d’un quartier sur du papier ou sur un écran d’ordinateur. Pour qu’un quartier existe, il faut que celles et ceux qui y vivent se l’approprient, s’y reconnaissent, l’habitent pleinement en lui donnant du sens et en s’y retrouvant.

 

Une « ville nouvelle » conçue trop tard

Euroméditerranée est venu trop tard. Le bilan avait été fait de la Défense et de la Part-Dieu, mais aussi de Sarcelles et des « villes nouvelles » des banlieues de Paris. Plus personne ne croyait à l’idée des villes nouvelles, et, encore moins aujourd’hui. L’aménagement des villes soi-disant nouvelles a fait de ces simulacres de villes des prisons, des maisons closes par les architectes et les urbanistes, mais, surtout, des lieux dans lesquels les habitantes et les habitants et, surtout, les futurs habitantes et habitants ont été enfermés, confinés. Heureusement, aujourd’hui, tout le monde a fini, enfin, par se rendre compte que l’on ne fait pas naître un quartier ou une ville par une simple décision politique. Cela a entraîné le rejet des lieux comme Euroméditerranée par celles et ceux à qui ils étaient destinés.

Commentaires

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  1. Forza Forza

    Incroyable de vous “entendre” juger ainsi de l’extérieur et de manière si péremptoire ce périmètre et ses habitants alors que vous n’habitez pas là et n’en savez rien. Quel manque de respect. Il y a des milliers de gens qui habitent ici. Laissez-les donc eux parler de ce qu’ils connaissent et dire ce qui va et ce qui ne va pas, et surtout comment faire avancer le truc (puisque c’est construit, que ça vous plaise ou non) face aux donneurs de leçons dont le seul espoir est que le quartier se casse vraiment la gueule pour pouvoir dire “voyez comme j’avais raison”.

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    • Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

      Je ne voulais pas dire “j’ai raison” : je voulais seulement dire que la conception de ce quartier avait été imposée à Marseille en cherchant à imposer un modèle urbain venu d’ailleurs. Pardonnez-moi siu je vous ai choqué.

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  2. julijo julijo

    moi, je n’y habite pas, mais j’y passe en tram, en bus ou métro, et parfois à pied.
    il y a des gens qui y habitent, certainement, mais il y a beaucoup de bureaux, et beaucoup de batiments neufs, et vides. des hotels très modernes, la cité du cinéma, les tours, des autoroutes, des voies rapides….et les jours de mistral, à pied c’est compliqué.
    j’ai chaque fois une impression de vide, de lieu aseptisé, peu de piétons finalement sur la partie joliette jusqu’aux tours, des restos et des bistros très chics et très peu achalandés. il m’est arrivé d’y consommer, sympas…mais vides.
    sur le côté (terre) des tours, vers arenc, il y a un quartier tout grouillant de gens dans des vieilles maisons, vieux immeubles parfois étayés….l’ambiance est meilleure. c’est vivant.

    je pense que l’éclairage donné par ce billet est intéressant. j’adhère à beaucoup de ses réflexions.

    peut être est ce prématuré, il faut laisser le temps au temps.
    peut être dans quelques années.
    il y a 111 quartiers officiels à marseille ce sera peut être le 112e.

    la décision de concrétiser ce “projet” un peu pharaonique quand même a été prise en 1995.
    les vieux immeubles marseillais, insalubres ou inhabitables étaient déja insalubres et inhabitables…dommage qu’un “centre d’affaire” n’est pas été projeté dans ces quartiers ; pourquoi a-t-il fallu en inventer un ?

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  3. Regard Neutre Regard Neutre

    La critique est trop sévère pour Marseille.
    On ne peut pas tout rejeter d’ Euroméditerranée. Cette initiative a permis de revitaliser la façade maritime et les quartiers nord de la ville en repoussant les deux autoroutes urbaines de quelques centaines de mètres du centre-ville … Indéniablement, il a apporté un nouveau souffle avec des réussites notables en termes de transformation, de couture urbaine et de développement durable. Mais il est vrai qu’il doit continuer à aborder les problèmes de gentrification et à intégrer les besoins des habitants dans ses futurs projets.
    Le billet de Bernard Lamizet sur Euroméditerranée souligne avec pertinence des défis importants et des échecs perçus dans le projet, en mettant en avant des questions cruciales de planification urbaine, d’appropriation par les habitants, et d’adaptation aux contextes locaux. Sa critique invite à reconsidérer les approches pour mieux répondre aux besoins et aux dynamiques locales.
    Les arguments de Bernard Lamizet sont fondés sur une vision humaniste de l’urbanisme…

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  4. Alceste. Alceste.

    La réflexion de B Lamizet est intéressante, quelques fois pertinente. Mais visiblement il est tellement haut perché que son analyse à été effectuée à partir de Google map.
    Cette notion de gentifrication est comique, à croire que certains préfèrent la paupérisation ,bizarre comme ambition.
    Mr Lamizet je comprends que tout soit de la faute du président Macron, garçon brillant sans nul doute, mais en 1995 il avait 17 ou 18 ans..
    Encore quelques lignes de votre part et il sera le coupable du bouchage du vieux port par la Sartine mutée en Sardine.

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    • Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

      Je ne suis pas sur “Google map” :le quartioer, j’y vais souvent.
      Quant à la gentrification, je ne souhaite pas la paupérisation, je souhaite seulement, au contraire, que l’on ne chasse pas de la ville les milieux modestes. Sur Macron, je voulais seulement remarquer qu’il a soutient la réalisation du programme depuis qu’il est président. J’ai bien écrit que le projet avait été conçu en 1995…

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  5. Patafanari Patafanari

    Chaque paragraphe paraphrase le précédent.

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  6. barbapapa barbapapa

    Un constat personnel : quand je suis obligé d’aller dans ce truc, une seule envie, celle de fuir ! L’endroit que je ne nommerai jamais quartier est inhumain, c’est une maquette Autocad photoshoppée, dans lequel il n’y a pas une boulangerie, pas un kebab, pas un cordonnier, pas un 3 fenêtres, pas de cris d’enfants, pas de linge aux fenêtres, pas de flaneurs, pas de vrai bar… La seule “réussite” fric, ce sont les Terrasses du Port, qui sont en train de tuer le Centre Bourse et le centre ville, et qui mourront elles aussi de leur belle mort si l’on en croit la fabuleuse étude sur les centres commerciaux et leur inhumanité exclusive : The Mall – Livre de Megan McCafferty (dommage, je crois qu’il n’existe pas de traduction)

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    • Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

      J’aime bien le “photoshoppage”…
      Amicalement.
      B. L.

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  7. Syol Syol

    « Ce ne sont pas de véritables immeubles parce qu’ils sont trop grands, ils ne sont pas à taille humaine, et, surtout, ils ne sont pas réellement habités : ce ne sont que des entassements de personnes qui y travaillent et qui y sont logés, sans habiter véritablement ces constructions. »
    Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ? Habitant une des résidences du Parc Habité je peux vous assurer qu’il y a une vie à l’intérieur de la résidence, avec des bons moments et aussi des problèmes à gérer car tous n’ont pas la même vision de la vie dans un tel lieu. Notons d’ailleurs que les visions différentes ne sont pas du tout liées au statut de chacun (propriétaire occupant, locataire « privé » d’un propriétaire bailleur, locataire d’un logements social), mais à la façon dont chacun conçoit la vie en société (individualisme forcené vs échanges et prise en compte des autres).
    Mais tout cela c’est à l’intérieur de la résidence, ça ne déborde pas dans la rue, donc si vous passez par là vous n’en verrez rien.

    « Les voies de circulation d’Euroméditerranée ne sont pas des rues, car on n’a pas envie de s’y promener, on ne les parcourt pas au hasard, sans but ou sans destination, seulement en se promenant : ce ne sont que des voies fonctionnelles, utilitaires, qui ne créent pas de paysages urbains. »
    Dans ce qui suit, je vous rejoindrai partiellement (en parlant de la partie Parc Habité) car effectivement nos rues sont seulement des voies de circulation sur lesquelles on a ajouté quelques petits espaces verts (petits dans l’absolu, grands pour Marseille quand on voit le reste de la ville).
    Et ces rues sont, comme énormément d’autres rues à Marseille des endroits où on ne s’attarde pas, car elles ne donnent pas une impression d’agrément et de tranquillité : trafic de véhicules motorisés important (et bruyant, en particulier les 2 roues aux pots trafiqués), véhicules roulant beaucoup trop vite (mettre un panneau « zone 30 » est certes décoratif, mais ça n’a que peu d’effet sur le comportement réel des conducteurs), véhicules stationnés « à la marseillaise » chaque fois que possible (y compris dans les rares rues piétonnes dès qu’un plot reste baissé), pistes cyclables (quand il y en a) en général très mal conçues et en conflit avec les piétons, tout cela pour ne pas réduire la place des véhicules motorisés, nettoyage aléatoire des trottoirs et des espaces verts, etc.
    Même si le fait d’avoir gardé la trame circulatoire historique de l’époque où le Parc Habité était une zone d’entrepôts est, à mon avis, une erreur de conception fondamentale, la plupart de ces problèmes ne me semblent pas spécifiques à la zone d’Euromed : ils découlent surtout du retard pris par Marseille sur l’aménagement urbain, la gestion (et la maitrise) de l’espace public, le développement des transports en commun et des modes doux. Quand on voit comment Barcelone a su s’adapter dans ce domaine, on rêve… Alors certes Euromed aurait pu (dû) changer la donne, ce qui n’a pas été fait. Dommage.

    « Le bilan avait été fait de la Défense et de la Part-Dieu, mais aussi de Sarcelles et des « villes nouvelles » des banlieues de Paris. Plus personne ne croyait à l’idée des villes nouvelles, et, encore moins aujourd’hui. »
    Il se trouve que j’ai vécu pendant plus de 20 ans dans un « quartier neuf » (construit dans les années 70), celui des Olympiades à Paris. Qui pour le coup est encore « pire » que ce que vous décrivez puisqu’une bonne partie des immeubles d’habitation sont des tours de 30 étages. Et cela n’y empêche pas une vie « au pied des tours » (en plus de celle à l’intérieur des tours, évidemment). Mais la grande différence est le fait qu’on y a installé la circulation routière au sous-sol, et qu’on a une dalle purement piétonne au-dessus. C’est sur cette dalle que sont implantés les commerces de proximité et des espaces verts.
    Cela a énormément d’avantages : les commerces sont accessibles sans avoir à traverser la moindre rue, le niveau sonore est fort réduit (du fait de l’éloignement de la voirie) ce qui permet de flâner sur la dalle, de s’y retrouver pour jouer à des jeux de société, les petits enfants peuvent y courir sans qu’on ne craigne qu’il ne se fassent renverser par une voiture ou un scooter, les terrasses des cafés et restaurants bénéficient du calme et de l’éloignement de la pollution routière (sonore et gaz d’échappements).
    Certes la situation aux Olympiades est moins agréable qu’il y a une trentaine d’année, mais ce n’est pas lié à la conception du quartier, plutôt au développement du trafic de drogues et de la faune qui va avec.
    Si on veut éviter de stériliser toujours plus de terrain et que la population continue à croître, il n’y a guère d’autre choix que de construire en hauteur. Je reste persuadé que cela n’interdit aucunement une vie agréable pour les habitants, mais il faut changer de paradigme dans certains domaines et en particulier celui des transports : plus de densité de population implique que les véhicules individuels ne peuvent plus être utilisés comme avant et la surface de l’espace public qui leur est allouée doit être réduite. Mais évidemment il faut que les transports en commun suivent. Je suis toujours effaré quand je vois des lignes urbaines à Marseille avec une fréquence de 30 minutes (ex le 82 à Arenc) : dans ce domaine c’est pour beaucoup la qualité de l’offre qui induit l’usage.

    En résumé ce que vous reprochez à Euromed vous pourriez le reprocher à une bonne partie de Marseille (mais dans des quartiers anciens on s’en rend sans doute moins compte que dans un quartier neuf). Ce reproche c’est une illustration du fait que beaucoup croient que les nouveaux projets vont résoudre les problèmes préexistants comme par magie, du seul fait qu’ils arrivent. Or si on n’a pas su (ou pas eu le courage) de résoudre ces problèmes avant c’est que ce n’est pas si simple. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer.

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