L’ÉCHEC DE « MARSEILLE EN GRAND »
Il y a trois semaines j’avais déjà, dans ces colonnes, abordé une critique du plan « Marseille en grand » d’Emmanuel Macron. La publication du rapport de la Chambre régionale des comptes et de la Cour des comptes m’incite à reprendre cette lecture.
Une « configuration originale de l’action publique »
Le rapport de la Cour des comptes et de la Chambre régionale des comptes retient une caractéristique positive du plan présidentiel en évoquant, à son sujet, un plan « exceptionnel par son montant et par son contenu ». Il s’agit d’une opération par laquelle l’exécutif propose une démarche qui sort de l’ordinaire de l’action publique à l’intention d’une ville. On peut, ainsi, faire deux remarques. D’abord, la ville et l’urbanité deviennent, peut-être, enfin, pleinement, des lieux et des objets des politiques publiques. Les « politiques de la ville » mises en œuvre depuis que la crise des villes est survenue dans toute sa violence vont peut-être ainsi s’inscrire désormais dans l’ordinaire des politiques élaborées et mises en œuvre par l’État. À cet égard, le plan « Marseille en grand » semble le symptôme d’une évolution positive des politiques publiques qui finissent par faire de la ville un espace dans lequel elles s’expriment et pour lequel elles élaborent des projets. Par ailleurs, « Marseille en grand » est la trace d’une reconnaissance des difficultés particulières de Marseille. Cette configuration originale des politiques publiques représente un ensemble d’initiatives de l’État pour répondre à la crise de Marseille et, au-delà, des villes. C’est que cette « configuration originale » répond à une situation de crise elle-même exceptionnelle du fait urbain. Cependant, le rapport marque bien que « les mesures proposées répondent à des besoins de la population, mais ne les traitent pas de manière globale ». Cela signifie que ce plan n’en est pas un. Il ne s’agit pas d’un véritable plan, mais seulement d’un ensemble de remèdes ponctuels qui ne s’inscrivent pas vraiment dans une approche globale de la crise de Marseille – comme, d’ailleurs, mais c’est une autre histoire, l’ensemble des politiques mises en œuvre par E. Macron au cours de ses deux mandats.
Un bilan et une évaluation
Le rapport des magistrats constitue un premier bilan, trois ans après le discours du président, au Pharo, le 2 septembre 2021. Ce rapport note que « les objectifs du plan n’ont pas été explicités ». Cela signifie sans doute qu’il n’en avait pas. À lire l’évaluation des cours nationale et régionale des comptes, on a le sentiment qu’il s’agit là du premier grand défaut de « Marseille en grand » : ce plan n’est pas un projet politique. C’est, notamment, le cas de tout ce qui concerne les politiques d’emploi, du volet hospitalier du plan, et de la question de la mobilité urbaine. « Marseille en grand » n’est pas issu d’un regard d’ensemble sur Marseille et sur ses problèmes, il ne s’inscrit pas dans une véritable lecture critique de la ville, dans une approche pleinement politique de Marseille, mais il s’agit d’une série de petites mesurettes répondant à des points de détail, piochés ici et là dans des observations ponctuelles sur la ville. L’évaluation du plan est là : « Marseille en grand » n’est pas un plan, il ne s’agit pas d’une entreprise de planification dans une vision du long terme. Mais, au fond, ce qui est derrière cette évaluation, c’est qu’à propos de Marseille comme de tout le reste, E. Macron se situe dans une sorte de déni de l’État et de son action : nous sommes en plein libéralisme, et l’on se rend compte ainsi que Marseille, pas plus que les autres villes de notre ville, ne trouvera pas son avenir dans le libéralisme économique qui ignore le volet social du projet urbain et la signification des choix politiques.
Le regard sur les acteurs de « Marseille en grand »
« L’organisation retenue par les acteurs », nous dit le rapport, « n’est pas de nature à garantir une mise en œuvre effective et rapide des actions du plan ». Nous nous trouvons ici devant le constat d’une absence de stratégie d’ensemble qui, seule, aurait peut-être donné une véritable efficacité à « Marseille en grand ». Les magistrats constatent qu’aucune « régulation générale » n’a été prévue pour suivre la mise en œuvre du plan et pour coordonner ses acteurs. Les rapports notent même une « absence d’instance de gouvernance d’ensemble » qui pourrait permettre « un dialogue » entre les acteurs du territoire. En ce sens, on pourrait dire que « Marseille en grand » n’est qu’un plan en petit. L’insuffisance de ce plan n’est qu’une illustration de plus de l’incapacité de l’exécutif national de penser véritablement une politique. Ce déni du politique passe par l’incapacité de prévoir une articulation entre les acteurs – voire par le refus d’envisager une telle prévision. Il s’agit, finalement, de dénier aux acteurs de la métropole la possibilité d’avoir un véritable pouvoir : seul le pouvoir national entend se voir reconnaître une véritable légitimité. Où est passée la décentralisation ?
Une « satisfaction hypothétique »
C’est bien pour ces raisons que la satisfaction à l’égard de « Marseille en grand » demeure « hypothétique ». L’évaluation des magistrats des deux cours des comptes est négative et ils se refusent à exprimer une véritable satisfaction. En ce sens, l’appréciation des institutions chargées de l’évaluation rejoint ce que seront, sans doute, l’évaluation, plus politique, des institutions locales et, au-delà, celle des électeurs et des citoyens. C’est pour cette raison que les rapports suggèrent « d’assortir le contrat d’un dispositif séquentiel d’évaluation du plan » et de « formaliser des modalités de gouvernance générale du plan ». Les acteurs du plan sont engagés à élaborer une structure de gouvernance propre à son application et à lui fixer un calendrier, des échéances, qui le rendent crédible dans le temps. C’est pourquoi le plan n’aurait de sens que dans une approche rénovée des politiques publiques. Au lieu de parler de « satisfaction », sans doute vaudrait-il mieux parler d’efficacité, de réponse aux véritables besoins de la métropole et de reconnaissance de l’importance des politiques métropolitaines et urbaines associant véritablement les acteurs de l’espace urbain. Mais, une fois de plus, une crise de Marseille pourrait – et même devrait – être un exemple, à origine d’une conception renouvelée des politiques urbaines publiques.
Que faire ?
Nous revoilà, une fois de plus, devant l’éternelle question du politique. À la lecture du rapport des cours des comptes, on peut, ici, imaginer trois réponses à la question. La première est d’instituer de véritables lieux d’échange, de communication et de décision destinés aux acteurs et aux décideurs de la métropole. En particulier, il serait temps d’aller au-delà des petites bisbilles de confrontation entre l’exécutif municipal et l’exécutif métropolitain pour faire pleinement de leurs discussions les multiples expressions d’un véritable imaginaire politique partagé. La deuxième réponse à ce rapport consiste à envisager une géographie métropolitaine des actions publiques. Une véritable géopolitique métropolitaine doit être imaginée pour prévoir un futur urbain de la métropole réellement inscrit dans l’espace que nous vivons, que nous habitons, mais aussi pour construire ce futur de la ville. Enfin, se pose la question du financement. Il n’y aura pas de véritable plan de développement qui ne soit pas accompagné de crédits et de financements. De cela, il n’est pas véritablement question, alors que le financement est le nerf qui doit permettre la guerre contre la pauvreté urbaine, pour la solidarité et pour un urbanisme équitable, qui, elle, est seule en mesure de permettre à tous d’habiter pleinement l’espace métropolitain en toute égalité.
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