LE VOYEURISME ET L’INDÉCENCE
À propos de « Manifesta »
LE VOYEURISME ET L’INDÉCENCE
L’édition de 2020 de « Manifesta », une biennale artistique importante dans Marseille, va avoir, entre autres, pour objet, cette année, l’habitat précaire, au musée Grobet-Labadié (voir « Marsactu » du samedi 29 août). L’expérience de l’art se trouve, ainsi, à la limite du voyeurisme et de l’indécence.
Dans le cadre de « Manifesta », le musée Grobet-Labadié propose une exposition, « La Maison : loyer, expérience, lieux », dans laquelle sont présentées des images d’appartement vides et d’habitations précaires. Il s’agit d’images et de documents sonores, destinés à montrer des espaces marseillais de la pauvreté et de la précarité. Dans un moment où la pauvreté connaît des sommets qu’elle n’avait peut-être jamais atteints à notre époque, en particulier dans une période où la précarité est aggravée par la dimension sociale de la pandémie du coronavirus, une telle initiative est indécente.
Le voyeurisme : une façon d’enfermer les pauvres en les donnant à voir
Pourquoi parler de voyeurisme ? Et qu’est-ce que le voyeurisme ? Bien sûr, l’art a toujours été une expérience du regard, c’est même ce qui le définit. Mais l’art ne consiste pas seulement dans la mise en œuvre du regard : il s’agit d’une sublimation du regard, il ne s’agit pas seulement de donner à voir, il s’agit de donner à voir des images et des figures qui représentent un idéal esthétique ou un idéel politique. L’art est une expérience qui consiste à exprimer, par le langage de l’esthétique, un idéal auquel s’identifient les artistes et les visiteurs, un idéal qui constitue, pour eux, une forme d’orientation culturelle et politique. Dans ces conditions, donner à voir des scènes, des figures, des objets que l’on ne peut reconnaître comme un idéal s’apparente plutôt au voyeurisme. Le voyeurisme est une expérience du regard qui consiste à voir ce que l’on ne veut surtout pas devenir, ce à quoi on ne veut surtout pas s’identifier. Un peu comme les voyages et les explorations, le voyeurisme consiste à épier l’autre, à regarder ce qui est différent de nous, ce que nous ne voulons surtout pas être. Montrer des espaces pauvres dans une exposition consiste, en ce sens, dans une forme d’exhibitionnisme, offrant les pauvres au regard des voyeurs.
L’indécence : signification politique du voyeurisme
Si nous parlons d’indécence à propos de cette initiative de « Manifesta », c’est parce que l’indécence a toujours été une forme de signification politique du voyeurisme. Si l’exhibitionnisme et le voyeurisme sont à dénoncer, c’est qu’il s’agit d’expériences indécentes, parce qu’il s’agit d’expériences qui exclut en réduisant leurs objets à n’être que des objets offerts aux regards. Alors que le politique consiste à mettre en ouvre des mesures sociales destinées à construire une société fondée sur l’égalité, l’indécence consiste à ne pas faire disparaître la pauvreté de la société en y mettant fin, mais en faisant d’elle un objet que l’on montre et, par conséquent, à faire d’elle un spectacle destiné aux riches et aux classes aisées qui fréquentent les expositions artistiques.
La médiation artistique et le lien social
Nous ne devons pas oublier le rôle de l’art dans la société : la médiation artistique, comme les autres formes de la médiation culturelle, consiste à proposer des signes, des langages, des représentations, qui permettent aux sociétés de nourrir le lien social, de donner aux habitants d’une ville ou d’un pays de quoi sentir qu’ils font partie de la même société, qui leur permettent de se retrouver porteurs d’un idéal politique partagé. C’est pourquoi l’art ne donne pas les exclus à voir, car c’est une façon de les enfermer davantage dans leur exclusion, mais, au contraire, propose les modes d’expression et de représentation permettant de mettre fin à la pauvreté en exprimant, dans l’espace public, les logiques de la solidarité. Le rôle de la médiation artistique consiste à donner du sens au lien social en l’inscrivant dans des expériences exprimant une dimension sublimée de la relation à l’autre et de l’appartenance à une société. L’art n’est pas là pour exclure, mais, au contraire, pour construire les langages permettant de se retrouver. L’art n’est pas à pour enfermer, mais pour ouvrir, il n’est pas là pour recréer des ghettos, mais pour permettre les échanges sociaux.
On connaissait plusieurs façons d’enfermer et de surveiller les pauvres et la précarité, les banlieues, les cités, les ghettos. « Manifesta » vient d’en trouver un autre : le musée.
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