LE SAVOIR, LA HALLE ET LES TRAFICS

Billet de blog
le 7 Oct 2023
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Capture d'écran Google Maps. 2021

Capture d'écran Google Maps. 2021

La Faculté d’économie et de gestion, à la Halle Puget, dans le 1er, abrite une sorte d’annexe de travaux pratiques de marché : de drôles de substances s’y trafiquent, et cela a entraîné la fermeture de cet établissement d’enseignement supérieur.

 

La Halle, le savoir, le marché et la force

La Halle Puget a été construite en 1672 ; elle a, alors, été divisée en deux parties, l’une consistant dans une halle aux poissons, et l’autre dans une boucherie. En 1887, elle est devenue un édifice religieux, l’église Saint-Martin d’Arenc, puis, désaffectée en 1913, elle a été attribuée à la police, pour être fermée en 1980. Elle a retrouvé sa forme primitive en 1980. L’ensemble de cet îlot est devenu la Faculté d’économie et de gestion. C’est ainsi que, finalement, elle reprend sa vocation initiale : un marché. La Halle Puget articule, en quelque sorte, le savoir sur la gestion et le commerce au savoir et à la culture politique. Le savoir est aussi présent dans la Halle, sous la forme de la conservation du patrimoine architectural et de l’histoire de la ville de Marseille. La Halle a toujours été, aussi, un lieu de parole, puisqu’elle fut un édifice religieux avant d’être un espace universitaire. Mais, à ce rôle de parole et d’échange s’est donc associée une autre dimension : en abritant des autorités de police, elle fut un lieu d’ordre et de force. C’est sans doute ce que représentent, dans l’histoire inconsciente de la Halle, la présence, hier, de la police, et, aujourd’hui, de la délinquance, deux fonctions urbaines de violence et de rapports de force. À cela, sans doute convient-il d’ajouter la situation même de la Halle, un édifice clos au milieu d’une place, dans un quartier qui connaît aujourd’hui une sorte de dégradation urbaine et architecturale. L’installation d’un site universitaire fait partie des projets lancés par la ville, la métropole et l’État pour relancer l’urbanisation du quartier et y installer une vie sociale réelle de nature à lui redonner une part du sens et de l’identité qu’il a fini par perdre.

 

Marseille et les trafics

C’est que, comme nombre de quartiers de Marseille (nous sommes au début des quartiers du Nord de la ville), le quartier où se situe la Halle Puget a connu une dégradation sociale et urbaine pouvant expliquer la montée des trafics qui ont atteint un niveau tel, associé à la violence qui les accompagne, que les autorités aient fini par fermer le site. Mais la Halle Puget n’est qu’un exemple parmi bien d’autres des trafics de toutes sortes, qui infestent la ville en prenant, en quelque sorte, aujourd’hui, le relais du banditisme des années trente. Comme certains quartiers de la ville, port et lieu d’échanges et de commerce légitime, sont devenus des lieux de trafics illégitimes et de violences, la Halle, ancien site de marché aux poissons et à la viande, est devenue, aujourd’hui, un site de trafics de stupéfiants. C’est ainsi que l’histoire de la Halle Puget ne fait que reproduire, à l’échelle d’un seul site, l’histoire de la ville toute entière. Peut-être, comme dans les années trente, les trafics vont-ils envahir Marseille de la violence et de ce qu’il faut bien appeler le banditisme : la rubrique marseillaise des « faits divers » est remplie, semaine après semaine, d’informations sur des morts tués par balle dans le cadre de conflits entre bandes. Si le commerce fonde l’histoire de Marseille, sous la forme des échanges et du commerce, les trafics semblent de nos jours s’emparer de la ville et en éliminer une vie sociale urbaine ordinaire. Le Monde du vendredi 6 octobre cite des propos du directeur adjoint du cabinet de la préfète de police parlant de 84 interpellations « dans le périmètre », depuis le début de l’année, dont 29 en septembre. Nous en sommes donc au rapport de forces entre les « dealers » et la police, comme le dit la préfète de police : « Il est hors de question », dit-elle, « que le service public plie face à ces dealers ». Mais cette une illusion : la confrontation n’est pas une rationalité de la politique urbaine.

 

Que faire ?

C’est la question urgente qui se pose aujourd’hui, et ce n’est certainement pas la fermeture de la Faculté d’économie et de gestion ni la surveillance inefficace de la police qui vont y répondre. Le retour à une vie sociale ordinaire et légitime s’inscrit, en réalité, dans la logique plus générale d’une politique urbaine concernant le quartier de la Halle Puget et les quartiers Nord, mais sans les détacher de l’ensemble de la politique globale de la ville. La réponse au défi de la violence et des dealers ne se trouve pas dans la fermeture de lieux publics comme des sites universitaires ni dans le renforcement de la répression et de la surveillance, mais dans l’élaboration d’une politique urbaine à la mesure des questions soulevées par ce qui n’est, finalement, qu’un symptôme d’un malaise plus vaste. De la même manière, le volontarisme de l’État, qui consiste à installer une université dans ce quartier ne peut répondre à ces interrogations ou à ces menaces, car il ne s’agit que d’installer dans un quartier en difficulté une activité amenant dans le quartier des gens qui viennent d’ailleurs et qui repartent aussitôt leurs cours terminés, sans avoir une réelle incidence sur le devenir du site. On a un peu l’impression que l’implantation de la Faculté d’économie et de gestion fut une décision venue « d’en haut », sans réelle approche des spécificités du quartier. Ce qui n’est qu’un volontarisme universitaire n’est approprié que partiellement à des difficultés économiques, sociales, culturelles, comme celles que connaissent les quartiers en crise, à Marseille. La Halle Puget aurait pu abriter des activités culturelles mieux adaptées au quartier comme une maison de la culture ou un espace de rencontre et d’échanges entre les jeunes (et les moins jeunes) qui vivent dans le quartier. Ce n’est pas à la préfète de police de choisir une politique urbaine dans les quartiers de Marseille. C’est à celles et à ceux qui vivent dans le quartier de choisir ce qu’il va devenir et de choisir les formes d’une vie sociale de nature à mettre fin à l’emprise de la violence et des trafics.

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