LE PRÉSIDENT ET MARSEILLE
E. Macron a rendu visite à Marseille mardi dernier, le 16 décembre, pour rappeler qu’il est l’initiateur du plan « Marseille en grand ». Et puis, sans doute, parce que les élections municipales approchent.
Le plan « Marseille en grand »
C’était la grande initiative de la présidence d’E. Macron. Après avoir été négligée pendant si longtemps, Marseille allait se réveiller grâce à la politique présidentielle. Le plan « Marseille en grand » se voulait à la fois une grande utopie, un beau projet et un ensemble de décisions montrant l’implication de l’État dans l’aménagement de Marseille et dans sa politique urbaine. Mais qu’en est-il de la réalité des retombées du plan ? Sur le plan de l’économie de la ville et de son développement, c’est mince. Les mots de B. Payan expliquant qu’il n’attendait pas une visite du président « les mains dans les poches » sont peut-être un signe de la déception des acteurs locaux devant des mesures qui tardent à venir et qui sont singulièrement moins éclatantes que ce que le plan annoncé nous faisait espérer. La présidence nous rappelle les volumes financiers consacrés au plan (j’allais écrire « engloutis dans le plan ») et la quantité de projets prévus déjà entrepris réellement, mais ce n’est que de la comptabilité, ce n’est pas une véritable opération d’évaluation des politiques publiques, comme celle dont nous aurions réellement besoin après tout ce temps. Ce n’est pas l’énumération qui est importante, c’est le questionnement de l’efficacité de cette politique marseillaise de l’exécutif national.
La ville, la métropole, les pouvoirs
Quant on tente de lire un peu mieux le plan et sa mise en œuvre, on a surtout l’impression d’un choc des pouvoirs. Le pouvoir du président, celui de Paris et des institutions nationales, vient se heurter aux deux autres pouvoirs locaux, la ville et la métropole. Ce choc entre trois pouvoirs concurrents fait apparaître une sorte de rivalité violente entre trois pouvoirs, qui veulent, chacun, sa part des projets, des choix, des décisions. C’est le premier constat que nous avons à faire devant « Marseille en grand » : rien n’a été conçu pour repenser les pouvois locaux de l’État à Marseille – et cela sans oublier que, quoi qu’on dise, l’État, ce n’est pas seulement les pouvoirs nationaux : la ville, la métropole et le département sont aussi des acteurs de l’État qui contribuent à l’élaboration de sa politique urbaine et à sa mise en œuvre. C’est cela qui est important et qui est mal conçu dans « Marseille en grand » : ce que le plan devrait construire et appliquer dans la réalité de la vie urbaine, c’est cette complémentarité – mieux : cette articulation – entre des pouvoirs que le plan semble ne pas connaître dans leur réalité. Pourtant, c’est bien la réalité de cette articulation entre des pouvoirs qui donne sa spécificité à la situation de la ville et de la métropole : il ne devrait pas s’agir d’une énième opération bureaucratique, cela ne devrait pas non plus être une planification sur le papier comme il en existe tant, qui ne servent à rien, un plan nouveau devrait plutôt consister à imaginer l’idée nouvelle d’un puzzle de pouvoirs. Mais, justement, c’est sur ce point que « Marseille en grand » est inefficace : il n’a pas su, depuis Paris, concevoir une façon de faire de parler, s’écouter et se compléter des pouvoirs multiples et différents les uns des autres.
L’obsession de la sécurité
Une fois de plus, le président de la République aura lu Marseille avec le regard causé par les lunettes de l’ordre et de la sécurité. Il est tout de même symptomatique que le programme de la visite d’E. Macron ait consisté dans l’inauguration d’un commissariat de police et celle d’une extension de la prison des Baumettes 3. L’assassinat de Mehdi Kessaci aura aussi eu une incidence sur le programme de la visite, car elle s’est produite après la programmation de la visite et elle sera venue corroborer l’importance de la question de la sécurité dans cette visite, tout en faisant apparaître la difficulté de la situation et la faiblesse des modes de lutte contre la banditisme et le narcotrafic dans la ville. C’est que l’importance donnée à la sécurité dans ce qu’il advient de nos jours du plan « Marseille en grand » montre bien que, si les autorités de l’État lui donnent tant de poids dans leur action et dans leurs projets, c’est aussi un aveu d’échec. Malgré la place donnée à la sécurité dans la politique consacrée à Marseille par le président et par le gouvernement, nous sommes toujours plongés dans ce qui semble un combat sans fin – peut-être justement parce qu’au lieu de manifester toujours davantage de violence policière et de politique de guerre urbaine, les pouvoirs de l’État feraient mieux de s’interroger davantage sur les raisons de cette montée de l’insécurité. Mais il est vrai que cela imposerait de changer de lunettes et de se consacrer moins à l’ordre qu’à l’élaboration d’une véritable politique de la ville.
Le président et les difficultés du logement, de l’urbanisme et du narcotrafic
Le président se trouve finalement moins chez lui, comme il pouvait le croire en proposant « Marseille en grand », que face à des difficultés semblant de plus en plus difficiles à surmonter. Je citerai ici trois de ces difficultés particulièrement vives parce que c’est sur ces points-là que réside l’échec de l’État, en ce que c’est sur ces points-là que la violence continue à s’aggraver. Les difficultés du logement se situent dans la dégradation des cités périphériques, dans l’aggravation de la ségrégation entre quartiers aisés et quartiers pauvres, dans l’impossibilité pour Marseille de proposer à ses habitantes et à ses habitants des espaces de logement convenables. En parlant des difficultés de l’urbanisme, je parle de l’impossibilité pour les acteurs locaux de concevoir un urbanisme permettant, au-delà de la conservation des quartiers anciens dégradés, la naissance d’une véritable ville. C’est cet urbanisme que les pouvoirs semblent toujours incapables d’inventer à Marseille. Enfin, Marseille semble dévorée par la gangrène du narcotrafic et de ses incidences : la violence, le crime, la mort. La préfecture, citée par C. Bonnefoy, B. Gilles et C. Marot Bacry (« Marsactu », 16 décembre dernier), ne répond, une fois encore, que par des chiffres. Mais ce n’est pas seulement avec des chiffres que l’État, président, préfet et acteurs locaux, peut lutter contre le narcotrafic : c’est en imaginant une véritable politique urbaine de culture, de vie quotidienne, d’emplois et de santé publique. En imaginant aussi un retour des mots, des langages, des paroles, à des habitantes et à des habitants qui sombrent dans le trafic faute de mots à se dire. Le narcotrafic prend toute la place que lui donne le vide des politiques publiques. Il ne faut pas lui répondre en se contentant d’une visite présidentielle, mais en lui opposant une véritable politique de la ville faisant se parler, s’entendre et se répondre tous les acteurs de la symphonie de la ville et tous leurs instruments. Qu’il me soit permis d’ajouter que « Marsactu » a un rôle important à jouer dans cette musique nouvelle.
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