Le potentiel sexy du Pastis

Billet de blog
par Lagachon
le 24 Sep 2014
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Accent, pastis, pétanque, Fanny, poisson… Marseille a une forte concentration en clichés populaires au potentiel ultra-sexy. Attention, il ne faudrait pas les confondre avec le “kitsch marseillais”. Je distinguerai les deux de manière tout à fait a-scientifique en me basant essentiellement sur mes connaissances partielles et partiales. Et ensuite, je montrerai avec la rigueur qui sied aux chroniqueurs de la presse “tendance” que la culture populaire marseillaise est en train d’être appropriée par une partie de la population et que si ça n’est pas un signe de gentrification alors j’arrête tout ! Santé !

Tout d’abord, pourquoi je dis populaire et pas kitsch ? Parce que franchement, Marseille est très kitsch ! Mais oh oh oh, 2 petites secondes, qu’est-ce que le kitsch ? Non parce qu’on est là, bien installé dans le canapé, on discute mais est-on sur de ce dont on parle ?

Kitsch est un mot allemand, jusque là, pas de surprises, ça vient de kitschen qui veut dire bâcler (en allemand du sud d’après Molès qui écrit ça en 1971), il apparaît dans sa forme moderne à Munich en 1860, n’a pas vraiment d’équivalent latin, il désigne la camelote et est intimement lié à l’embourgeoisement et la vaine imitation du goût aristocratique (Molès toujours). On est face à l’expression d’un “mauvais” goût qui cherche à atteindre l’idéal aristocratique à grands renforts de dorures et “baroqueries” sans y arriver : les opérettes marseillaises sont kitsch, Notre-Dame de la Garde est kitsch, Borély est hyper kitsch, le CNM est kitsch, David Guetta à Borély (combo), la pâtisserie en face des Réformés… l’extension du domaine du kitsch marseillais est sans limite ! Mais ce n’est pas de ça qu’on parle.

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Aujourd’hui on parle des traditions populaires, la pétanque, le pastis, le cabanon, les cigales (…), le savon, les ex-voto, l’OM, la tunique fleurie de la vieille tante, le marché de la plaine, l’orange des SW… tout ce qui fait la personnalité bruyante et colorée de cette ville depuis 2600 ans (marseillologie, quand tu nous tiens). Bref, c’est ça qu’on considère, mes deux neurones et moi, comme le patrimoine populaire de Marseille. Ce patrimoine-là fait l’objet depuis quelques années d’un retour en grâce. Je dis retour en grâce, non qu’il ait été oublié, il a toujours fait partie du quotidien de la ville mais alors qu’il était condamné par les élites des années 70/80, voilà que leurs enfants le trouvent à leur goût. Ce retour au “moche”, oui, quand on est éditorialiste de mode et tendance, c’est comme ça qu’on appelle ce qui est populaire (on n’est pas tenu à la pudeur des sections politique, vous savez ceux qui remplacent Province par Région), bref, ce retour au moche dépasse le corset montagneux et touche jusqu’à Paris, c’est dire, où on parle de “Bomo” (aka Bourgeois Moche). Ce néologisme est l’oeuvre d’un cabinet de tendance qui phosphorait sur l’après-bobo et je vais les citer parce que c’est encore mieux comme ça :

« Aujourd’hui le bobo nous séduit beaucoup moins. Trop de week-ends sushis dans les yourtes, trop de thé vert, d’Isabel Marant, de jeans APC élimés, de barbes de trois jours, de low boots Marc Jacobs en taille 2 ans… »

Vous noterez l’emploi du nous : le chroniqueur mode/tendance n’est jamais seul, il s’exprime toujours au nom d’un collectif. J’aime bien l’imaginer, un groupe de 10 Jacques Attali dans une pièce à qui on demande des avis “On aime ça ?”, “Hmmm, non, on aime pas, par contre, si c’est en rose, oui, on aime !”

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Et les bomos marseillais, qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Ceux qui se délectent du populo marseillais ne sont pas n’importe qui. Bourdieu explique dans La Distinction que le goût est lié à l’origine sociale. Ce serait donc les pauvres (en capital économique, culturel et social) qui aimeraient le populaire ? En principe oui, notamment en 1979 (sortie de la Distinction) mais quand ce sont ces pauvres qui aiment le populaire on en fait pas un billet, c’est normal et c’est moche (suivez). Non, depuis les choses ont un peu changé, on parle d’hétérogénéité des préférences en matière de biens culturels (en gros quelqu’un de la Savine a plus de chances d’écouter Mozart qu’avant, tout comme celui du Roucas écoutera plus facilement du hip-hop qu’avant), mais par contre, il agit toujours très fortement sur la manière d’aimer comme le dit Madame Figaro sans avoir vraiment compris de quoi elle parle “Un basculement qui vient balayer d’un revers de manche trou­vé chez Emmaüs la théorie dé­ter­­mi­niste de Pierre Bourdieu… Revendiquer son choix pour le laid face à la dictature du tout-parfait serait un acte de dissidence esthétique consciente et ultra-maîtrisé” (Oui Madame Figaro a du mal avec Bourdieu)… (vous trouverez le détail de pourquoi Madame F. n’a rien compris dans Trente Ans après la distinction de Pierre Bourdieu – dispo à l’Alcazar, 1er étage, section Société, côte 301 BOUR).

Bref, le popu oui, à condition que ce soit une incursion : il est divinement chic de s’encanailler à boire un pastis en lisant Proust en terrasse. On se distingue ainsi deux fois : du cousin bordelais (chiant) qui ne lit Proust que dans le calme de sa bibliothèque, et du prolo (moche) qui ne boit du pastis qu’en lisant la page Sport de la Provence, et encore. Faire d’une pierre deux distinctions, c’est le comble de la coolitude dans une société dont on arrête pas de dénoncer l’uniformisation.

Et ça marche du feu de dieu à Marseille : qui de son petit pointu sur un Tshirt Kulte, qui de sa cigale Monochromic à 35€ pour décorer la maison, la Bonne Mère en résine à retrouver chez Compagnie Marseille-Provence (et dans ma salle de bain, ben oui, on ne peut pas tout le temps lutter contre son déterminisme de classe), le savon personnalisé recette ancienne de la Grande Savonnerie, le Pastis Henri Bardouin (quand on est connaisseur, on peut payer, pardon, il FAUT payer plus cher)… nombre de produits qui marchent plutôt bien (voire très bien) et pas forcément sur les touristes surfent sur ce regain d’affection pour le patrimoine populaire marseillais.

Autre exemple, je viens d’être invité à un événement pastis et pétanque à la Belle de Mai, ce qui n’a rien à voir avec un événement de CIQ même si ça s’en inspire, ça s’appelle Electro-Pétanque et lisez plutôt la description :

Pour tous les amateurs de cochonnet, de boule à zéro, de lever de coude anisé, de chapeau panama, c’est le moment de sortir votre plus belle tenue et venir participer à la dernière date, en terre natale : Electro Pétanque !

L’occasion une dernière fois de sortir ses espadrilles, ses robes et ses bermudas….

C’est clair ? Et je répète pour ceux qui n’ont pas bien lu : c’est à la Belle-de-Mai ! Pas à la Friche, à la Belle-de-Mai, derrière la Place Cadenat, à côté de Plombières ! Ce qui me permet de revenir à la dernière phrase de l’introduction : ça participe de la gentrification. Mais ça réconcilie aussi tout une population avec le patrimoine et les spécificités marseillaises. On a rien sans rien, et puis de toutes manières, on a jamais vu un éditorialiste mode se préoccuper des oubliés de la gentrification.

(mise à jour du 29/09 : suite à quelques réactions sur twitter, ce dernier exemple semble mal choisi, on joue à la pétanque depuis toujours, y compris à St-Tropez, de plus ces événements électro-pétanque sont organisés depuis 2009, et ils s’inspirent d’événements comparables antérieurs, donc rien de très nouveau là dedans

mise à jour du 05/01/2016: les marchés de noël de créateurs regorgeaient de cigales et d’expressions marseillaises – voir Lolita Picco et Charlotte Boronad par exemple – et une nouvelle invitation Facebook pour une soirée PMU à Mazargues “des tournées avec des vrais prix de PMU, des cacahuètes, du pastis, Dj Djel aux platines, K-méléon au micro, et même que tu pourras parier sur ton cheval préféré vu qu’on laisse la machine PMU allumée toute la soirée !”).

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