LE PAIN DANS LA VILLE : SAINT SAVOURE-PAIN

Billet de blog
le 15 Nov 2024
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J’ai eu envie de parler du pain dans la ville après avoir fait la connaissance d’une équipe de boulangers, rue Saint-Savournin, près de la Plaine.  Ils s’appellent « La Boulangerie », tout simplement.

Pourquoi parler du pain ?

Le pain a toujours représenté le « degré zéro », de l’alimentation, ce qui la fonde, peut-être le plus important, pour nous. C’est pourquoi, dans la langue, on parle du pain pour représenter le commerce et l’argent. Nous « gagnons notre pain », les prix de l’alimentation sont désignés comme « le prix du pain ». Quand nous travaillons, nous « gagnons notre pain » , parfois à la sueur de notre front, et, parfois, malheureusement, quand nous avons tenté de nous associer à un projet, « il ne nous est resté que des miettes ». C’est, sans doute, parce que nous n’avons pas fait attention : nous « avons mangé notre pain blanc ». C’est plus facile d’acheter un logement ou une entreprise « pour une bouchée de pain ». Le pain est, ainsi, la façon dont nous « consommons la ville », dont nous « mangeons la ville », dont elle s’offre à notre dégustation, aussi : par le pain, nous dégustons la ville. C’est, d’ailleurs, ce que disaient les anciens Romains, en revendiquant « Panem et circenses », ils voulaient des jeux du cirque et du pain. Et puis le pain est à l’origine d’un mot important, « compagnon » et de sa variante quotidienne, « copain ». Le compagnon, le copain, c’est celui avec qui nous partageons notre pain, celui avec qui nous nous associons. Et, à Marseille, il ne faut pas oublier que le pain a joué un rôle dans l’histoire de la ville. Il y a eu des « émeutes du pain », comme dans toutes les villes, sans doute dans tous les pays. Le pain fonde de cette manière la ville et la citoyenneté. C’est par le pain que nous comprenons l’identité de notre pays, qui se distingue de celle des autres pays, qui, pour cela, ont le riz pour les uns et le couscous pour les autres. 

 

Le pain dans l’espace de la ville

C’est pour cela que les boulangeries sont un commerce extrêmement important dans la ville. Elles sont partout. Nous les connaissons toutes. Surtout, nous y allons tous les jours, la petite visite à la boulangerie du coin est une occupation courante et constante, une sorte de rituel. La « langue du pain », les baguettes, les pains de campagne, les miches, tout cela fait partie de notre vocabulaire ordinaire : les mots du pain sont les mots de notre vie. La boulangerie est le premier lieu où nous allons quand nous voulons découvrir une ville, mais aussi quand nous voulons mieux la connaître – et aussi la comprendre. Nous allons à la rencontre de la boulangerie et du pain pour vivre la ville. Pour cette raison, les boulangeries sont un peu une façon de comprendre les quartiers et leurs différences : les boulangeries du Prado ne sont pas les mêmes que celles de la Plaine ou du Panier. Nous ne parlons pas la même langue dans les boulangeries des  différents quartiers. La boulangerie est un des lieux qui résistent encore à l’uniformisation et à la monotonie des grandes surfaces qui proposent des pains industriels en nous faisant oublier où nous vivons. Le pain est ainsi le symptôme d’une différence entre les quartiers et entre les lieux, qui, ainsi, dessinent une sorte de « géopolitique du pain ». Les campagnes ont commencé par être tuées avec la disparition de leurs boulangeries, avalées par les hypermarchés, les quartiers des villes ne peuvent résister à l’urbanisme sans âme des tours et des cités qu’en préservant leurs boulangeries où l’on va tous les jours pour conserver, dans la ville, la culture et le temps du pain.

 

La boulangerie : un lieu de rencontres et de parole

À la boulangerie, nous rencontrons nos voisins, nos amis, nous avons notre réseau. La Boulangerie de la rue Saint-Savournin a voulu retrouver tout cela, faire renaître cette familiarité qui fait du pain un des habitants les plus importants de la ville. La Boulangerie de cette rue n’est pas seulement un endroit où l’on vend du pain et où on en achète : c’est un endroit où l’on parle du pain, mais aussi de tout. Des liens s’y sont tressés. Je ne me sens pas client à la Boulangerie (c’est le nom qui s’affiche clairement, en toutes lettres un peu ouvragées sur le mur de sa vitrine), c’est un peu une famille élargie. Les cafés et les boulangeries sont les lieux du quartier, et, à La Boulangerie, je n’ai même plus besoin de choisir mon pain, celles et ceux qui m’accueillent savent très bien le pain que je vais choisir et ils me le mettent de côté. Contribuant au goût du pain, cette familiarité, cette amitié même, lui donnent sa saveur de tous les jours, mais cette importance sociale du pain tient aussi à son rôle dans la construction de notre culture : elle s’est inventée dans les cuissons des boulangeries. Peut-être, ainsi le pain et la boulangerie sont-ils à l’origine du quartier et de la ville. Sans le pain, il n’y aurait pas de vie de quartier, la rue ne se reconnaîtrait pas. On habite vraiment son quartier quand on peut aller, tous les jours, chercher son pain, pour, ainsi, imaginer le temps et la rue de sa ville.

 

Au-delà du pain, une alimentation engagée

Mais il faut parler politique, car je n’oublie pas que ces mots sont dans Marsactu. La politique du pain n’est pas seulement une politique de ville et de commerce. « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » : c’est ainsi que les révolutionnaires ont désigné le roi et sa famille quand ils ont voulu les ramener à Paris. C’était le moment de la révolution de 1789 où l’on croyait encore que le changement politique était possible, où les milieux populaires se disaient encore que leur vie allait s’améliorer, c’était avant de se sentir trahis par les dirigeants et les pouvoirs des premiers temps de la Révolution. Mais cela montre, tout simplement, que la vie politique commence avec le pain. Les différences entre les boulangeries sont culturelles, elles manifestent les différences entre les psys et entre les régions, elles expriment leurs identités, mais, dans le même temps, elles sont les lieux où l’on peut comprendre le quotidien de la politique, et c’est ce qui leur donne leur importance. L’hégémonie des grandes surfaces n’est pas seulement l’uniformisation des supermarchés et la disparition des petits commerces de proximité, elle est aussi l’une des formes de ce nouveau libéralisme qui nous étouffe, qui nous empêche de vivre car il nous empêche de réfléchir et de critiquer la société dans laquelle nous vivons. Ne nous trompons pas : choisir son pain, le goûter et le déguster, choisir sa boulangerie est un des premiers actes militants. C’est pour cela que je vais rue Saint-Savournin prendre mon pain, ce n’est pas seulement pour acheter mon pain, c’est surtout me retrouver chez moi, pour dire mes mots et retrouver ma culture de tous les jours. De cette manière, la politique du pain fait partie de l’écologie politique. N’oublions pas que ce mot, « écologie », désigne la raison du quotidien, la façon de penser le lieu où l’on habite : « oikos », ou « oikia », en grec, c’est la maison,  cela désigne notre habitation, c’est-à-dire notre vie de tous les jours. L’écologie du pain est un domaine important de notre engagement, l’écologie est le champ du politique que nous ne nous contentons pas de penser, mais que nous vivons. La boulangerie est un lieu de l’espace public que nous ne devons surtout pas nous faire confisquer

Commentaires

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  1. RML RML

    Oui, enfin , il faut tout de même un porte-monnaie bien rempli pour acheter du pain à “la boulangerie” dont vous parlez…
    Il me semble aussi que cette pratique n’est plus si commune…

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  2. Massilia fai avans Massilia fai avans

    1,30 € une baguette au levain bio qui tiens 2 jours au moins, ce n’est pas si cher en fait.
    De l’autre côté de la place, il y des boulangeries qui décongèle des baguettes, c’est moins cher mais ce n’est pas du pain.
    Mais tout est question de perspective.

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