MARSEILLE : UN MARCHÉ MÉDITERRANÉEN (8)

LE MARCHÉ DE LA BELLE-DE-MAI

Billet de blog
le 18 Avr 2025
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La Belle-de-Mai a une longue histoire, à Marseille. Quartier populaire, ce fut, d’abord, un village où l’on pouvait trouver des vignes. La « Belle de Mai » était une jeune fille vêtue de blanc circulant sur un char dans les rues du quartier pendant que ceux qui assistaient à ce défilé versaient une petite contribution au spectacle.

Le marché du printemps

Prenons garde aux noms et aux mots. La Belle du quartier et du marché est la Belle de Mai, celle du moment de l’année où la terre s’éveille au printemps, mais où la société s’éveille aussi au monde. N’oublions tout de même pas que c’est au mois de mai 1789 qu’ont commencé, un peu partout dans notre pays, les débats, les confrontations qui, en vue des états généraux convoqués par le roi, vont mettre, peu à peu, en musique ce qui deviendra notre première révolution, et que c’est en mai 1968 qu’est survenue une véritable critique populaire des modes de vie et de consommation imposés par le libéralisme et ses normes. La Belle de Mai est aussi la Belle qui cherche à éveiller la ville et à la sortir de sa torpeur et de sa monotonie. Un marché est enfin un lieu qui échappe à l’uniformité de l’espace urbain pour lui faire retrouver le sens des mots de l’échange et de ceux de la vie politique.

 

La place Bernard Cadenat

La place Bernard Cadenat où a lieu le marché se situe au cœur du quartier, dont elle portait, d’ailleurs, le nom avant de porter celui d’un artisan du quartier devenu député socialiste puis maire de l’arrondissement au début du vingtième siècle. À la fois le marché et le nom du lieu où il est implanté nous rappellent que la Belle de Mai était un véritable quartier, presque une ville à lui tout seul. Ce quartier de Marseille a été, peu à peu, englouti dans l’espace de la ville, elle-même de plus en plus étendue, mais il a conservé ses caractères, son identité. Il a conservé une culture qui le distingue un peu des autres quartiers de Marseille, et c’est pourquoi il est important de connaître son marché. La place où il a lieu est peut-être davantage « la place du village » qu’une place parmi d’autres de l’espace urbain. Le marché se situe dans une place carrée, bordée par des immeubles des années cinquante-soixante, à l’esthétique discutable, mais, surtout, ces immeubles ont pris la place de constructions populaires que l’on a détruites pour obéir aux injonctions de la soi-disant modernisation urbaine des années soixante. Quand on est à la Belle de Mai, on n’est pas tout à fait à Marseille. Ce marché populaire fait partie de ces lieux qui conservent des formes de vie et des pratiques sociales différentes de celles que la société contemporaine cherche à nous imposer en leur donnant les mots et les formes du libéralisme triomphant, et en essayant de les reléguer à l’écart de la vie sociale dominante.

 

Le marché d’un quartier populaire

Ce n’est pas un hasard si la place de la Belle de Mai où se tient le marché porte le nom d’un homme politique – et d’un homme politique de gauche, du temps où les socialistes étaient pleinement des militants d’une gauche solidaire et recherchant la justice sociale. Bernard Cadenat, le socialiste qui a donné son nom à la place du marché, était aussi syndicaliste : il recherchait la justice sociale à la fois dans la vie des institutions de la République et dans les confrontations du peuple avec la bourgeoisie, les riches et les puissants. La Belle-de-Mai et son marché, plus sans doute que d’autres quartiers de Marseille, sont traversés par une rupture radicale qui fragmente les deux populations de la ville : sa population ancienne d’habitantes et d’habitants de classes populaires peu à peu remplacées par des habitants venus d’ailleurs, et une population nouvelle faite de « bo-bos » en quête de racines populaires qui ne peuvent pas être les leurs. Mais cette population nouvelle ne fréquente pas le marché de la Belle de Mai.

 

Un marché de peuples divers

La diversité des peuples est aussi une revendication de la gauche. C’est pourquoi le nom de la place du marché de la Belle de Mai porte le nom d’un défenseur de l’égalité et d’un adversaire des discriminations. Certes, à Marseille peut-être encore plus qu’ailleurs, la population se fonde sur sa diversité. Mais ce qui a pu être une diversité moderne et contemporaine tenant à des flux de populations venues d’ailleurs est à la Belle de Mai une diversité ancienne, qui caractérise même l’identité de ce quartier. Venus de tous les pays méditerranéens, puisqu’on y trouve beaucoup de familles corses et italiennes, les habitants de la Belle de Mai avaient fait de leur marché un marché pluriel dans lequel les marchands et les produits viennent de partout. Mais, de nos jours, ce marché ne représente pas la richesse de la diversité, mais plutôt sa pauvreté et sa difficulté à instaurer une économie qui ne soit pas celle de la dépendance et de sa soumission à ceux qui profitent de la population pour mieux la dominer.

Le marché de la Belle de Mai : l’espace de vie d’une foule enfermée

Le marché de la Belle de Mai nous fait retrouver ce qu’a toujours été le marché et qu’il tend à ne plus être : une agora. On n’est pas chez soi, au marché de la Belle de Mai : plus que dans les autres marchés de Marseille, on est chez l’autre. Finalement, à bien réfléchir, ce petit mot ancien connu, agora, qui signifie, à l’origine, le lieu du dehors, a deux sens. Il désigne, d’abord, le lieu où l’on est dehors parce qu’on n’est pas chez soi, parce qu’on est sorti de chez soi pour aller vers l’autre. Mais il désigne aussi le lieu où l’on n’est pas chez soi parce qu’on n’est pas tout à fait dans son pays. Le marché de la Belle-de-Mai est le lieu où viennent celles et ceux qui sont venus d’ailleurs. À Marseille, le marché a toujours été un lieu fait d’espaces divers du monde de la Méditerranée. Le marché de la Belle de Mai pourrait aussi bien être un marché marseillais où l’on est enfermé hors de la ville, mais où ce ne serait pas tant l’étranger qui serait confiné hors du reste de la ville que le pauvre issu de l’immigration, notamment des pays d’Afrique du Nord. Ici, ces autres se trouvent, en réalité, entre soi. Les quatre côtés de la place enferment le marché devenu un ghetto social.

 

La Belle-de-Mai, son potager et ses poules

Non loin du marché, rue Levat, on découvre un lieu devenu un « lieu culturel », qui a pris la place d’un couvent de Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus. Édifié en 1838, ce couvent a été abandonné par les religieuses qui sont allées vivre ailleurs, mais, devenu un lieu un peu conformiste de création et de débats culturels, cet espace a conservé son jardin qui continue à vivre comme un jardin, avec son potager, ses fruits, ses fleurs, et, surtout, son poulailler : un coq et des poules continuent à habiter à la Belle-de-Mai. Comme le marché voisin, ce jardin est une autre forme de résistance à la violence de l’urbanisation contemporaine et à ses ravages. Peut-être, grâce à cette reconversion culturelle voisine de celle de la Friche, ce lieu restera-t-il ce qu’il est : un lieu de calme et de silence où l’on peut échapper aux contraintes de la ville en écoutant le chant des poules.

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