Le chantier de la Corderie et les fouilles (suite)

LE CONFLIT DES LOIS

Billet de blog
le 5 Nov 2017
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Si l’on réfléchit à ce qu’est devenu le conflit de la Corderie, on se rend compte qu’il s’agit d’une nouvelle forme de conflit politique : le conflit des lois. En effet, il s’agit d’une confrontation entre les lois de la ville et les lois du marché. Mais s’agit-il vraiment d’un conflit des lois ?

Alors qu’une semaine encore, on est face au conflit de la Corderie, qui oppose le projet d’un promoteur immobilier, Vinci, à la politique culturelle et urbaine de la sauvegarde et de l’entretien du patrimoine ancien de Marseille, on se rend compte que ce conflit change de signification – ou plutôt qu’il acquiert une nouvelle dimension : il ne s’agit plus d’un simple conflit urbain entre des acteurs de la ville opposés les uns aux autres, mais d’un conflit plus profond – entre deux types de lois, les lois du marché et les lois de la ville.

 

Le conflit des lois

Ce que nous apprend l’expérience de cette confrontation, c’est qu’il existerait, dans l’espace politique, deux types de lois qui s’opposent les unes aux autres, les lois du marché et les lois du politique, ces deux types de lois manifestant, en réalité, deux logiques, deux rationalités, deux façons de penser la ville. Ce qui nous engage à raisonner de cette manière est le fait que le promoteur semble avoir repris son chantier, avoir renoué le fil de son activité, après une sorte de semblant de suspension devant un désaccord sans doute assez fort pour entrainer l’engagement des autorités de l’État, sous la forme d’une intervention de l’administration de la Culture. Le conflit entre le marché et le politique aurait pris, en quelque sorte, la forme d’une parcelle de 635 m2, l’espace concédé du bout des doigts par le promoteur qui n’utilise pas cette parcelle dans son projet immobilier. Le problème n’est pas résolu pour autant : il est seulement déplacé. En effet, on se end compte, après coup, qu’il ne s’agit que d’une sorte de subterfuge. Les archéologues sérieux font valoir que cette sorte de compromis n’a rien d’un compromis archéologique ni d’un compromis historique parce qu’en réalité, c’est l’ensemble de l’espace de la Corderie qui serait à préserver car l’ensemble de l’espace est intéressant, et, de plus, la parcelle des 635 m2 est elle-même menacée par la construction de l’ensemble immobilier. Nous ne nous trouvons donc pas devant une initiative du marché régulée par des lois, mais bien devant un conflit entre des lois de natures et de significations différentes et divergentes.

 

Le conflit entre la loi et le marché

Mais, en réalité, l’expérience du chantier de la Corderie nous engage à aller plus loin. Il ne s’agit pas d’un conflit entre des lois différentes, mais bien, tout simplement, d’un conflit entre le politique, structuré et régulé par des lois, et le marché, qui ignore les lois, qui méconnaît les régulations et qui ne connaît, finalement, que les rapports de forces et les logiques de profit. En effet, d’abord, ce qui a servi de légitimité au chantier, ce qui l’a permis, c’est une mascarade : l’avis soi-disant éclairé et critique d’un soi-disant expert a autorisé le chantier en donnant à l’exigence de l’État et de la loi le déguisement de cette parcelle de 635 m2. Ensuite, le marché a ignoré les interventions des experts en poursuivant l’avancement du chantier en dépit des dénonciations et des critiques de tous les acteurs sociaux impliqués dans le débat. Enfin, l’administration de la Culture, la D.R.A.C. devait venir sur les lieux vérifier que le chantier respectait les normes – même réduites – qui étaient imposées, et l’État ne respecte même pas cette part minime d’obligations et se soumet, ainsi, à la force du marché en ne respectant pas les lois, manifestant de cette manière qu’il s’agit bien d’un conflit entre les lois et le marché qui ignore le droit. Cela est apparu, en particulier, au cours d’un débat organisé vendredi 3 novembre par la section du 7ème arrondissement du P.C.F., auquel participaient G. Coja, de l’Association « Laisse béton », des membres du C.I.Q. et des membres du P.S. C’est que les lois ont justement été imaginées, dans l’histoire, pour limiter l’emprise de la force et de la violence sur la société. La question de la Corderie est donc bien celle-là. Nous ne sommes plus dans un débat sur le patrimoine ou sur l’immobilier ou encore sur l’architecture : nous sommes bien dans une confrontation entre l’esprit des lois, pour reprendre le titre du live de Montesquieu, et la violence du marché sans autre « esprit » et sans autre signification que la force, c’est-à-dire, justement, l’absence de signification. Ne nous trompons pas : c’est de cela qu’il s’agit à la Corderie. Il importe que le libéralisme ne soit pas le vainqueur de cette confrontation, car on saurait comment l’emprise du marché se manifeste à son commencement, mais on ne saurait pas jusqu’où elle pourrait aller, à la Corderie, à Marseille et ailleurs.

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