LE BIBLOGUE
Samedi dernier, le 3 juin, une rencontre était organisée entre « Marsactu » et « Mediapart », à la friche de la Belle-de-Mai, à l’occasion du quinzième anniversaire du quotidien en ligne national. Cela suscite, de ma part, quelques réflexions, que je publierai, pour une fois, dans mes deux « blogs ».
Le biblogue est un animal curieux dont l’espère est apparue il y a peu de temps. Cet animal est curieux, à la fois parce qu’il s’agit d’une espèce bizarre, dont on a du mal à définir les propriétés, et parce qu’il s’agit d’un animal curieux, qui a envie de comprendre, de connaître, de découvrir, d’approfondir. Le biblogue vit dans deux espaces (peut-être est-ce la raison pour laquelle on l’appelle ainsi) : l’espace marseillais et l’espace francophone en général.
Qu’est-ce qu’un « blog » ?
Un blog est une chronique publiée par un lecteur-usager dans un journal en ligne. Ce mot, « blog » est issu de la contraction entre le mot « bloc », que l’on retrouve dans « bloc-notes » (il y eut, au temps jadis, ainsi, des « bloc-notes » publiés par des chroniqueurs dans divers journaux imprimés) et le mot « log » qui désigne, en abréviation, tout ce qui concerne les systèmes d’information numérique. C’est ainsi qu’un autre mot est apparu dans la suite, le mot « blogosphère », qui désigne ce que l’on peut appeler l’espace public numérique des blogs. Un blog n’est pas destiné à proposer de l’information, même s’il le fait nécessairement puisqu’il s’agit de discours, de langage, mais à proposer à ses lectrices et ses lecteurs l’opinion particulière formulée par le blogueur, par celui qui le rédige. Mais, au-delà, il s’agit d’une sorte de complément des journaux en ligne, d’une sorte de tribune, dans laquelle les abonnés du journal sont associés à la rédaction du journal;. C’est ainsi que le journal propose deux rédactions associées l’une à l’autre : celle de ses journalistes et de ses correspondants et celle de ses lecteurs. Un blog est une interprétation d’un événement ou d’une situation, dans laquelle le blogueur lui donne du sens.
« Marsactu » et « Mediapart »
S’ils proposent à la lecture les blogs de leurs abonnés et de leurs journalistes, c’est aussi parce que ces deux journaux en ligne sont engagés dans un nouveau journalisme, dans une autre forme de journalisme que celle qui domine les médias traditionnels. Au sujet de l’information en général dans le cas de « Mediapart » et au sujet de l’information marseillaise en particulier au sujet de « Marsactu », ces deux journaux ont mis en œuvre une rupture, une sorte de « coupure épistémologique », pour reprendre l’expression employée à propos de Marx et du Capital, par le philosophe L. Althusser. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir l’espace la rédaction du journal à ses lecteurs pour les associer à sa conception, il s’agit de repenser le rôle du journal dans la société. Le journal ne se contente plus de donner des nouvelles : il est devenu essentiellement critique. Même s’il a toujours exprimé une opinion, au moins implicitement, dans sa façon de formuler l’information, le journal ne se donnait pas seulement pour but de critiquer : la critique était associée à l’information. Dans les médias en ligne que nous connaissons aujourd’hui, notamment dans « Marsactu » et « Mediapart », l’information est une partie indissociable de l’activité du journal, elle le fonde. Cet animal, le biblogue, vit dans les deux espaces à la fois, celui de « Marsactu » et celui de « Mediapart ».
Le sens de l’événement
Ce n’est pas un hasard si c’est à peu près à la même époque, à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, que s’institue l’information des quotidiens sur papier, elle-même liée à l’invention de la rotative et que certains philosophes et certains linguistes conçoivent ce que l’on appellera la sémiologie ou la sémiotique. Saussure, par exemple, empruntera à la médecine le mot « sémiologie » pour concevoir une rationalité de l’interprétation des significations du langage dans le Cours de linguistique générale publié après sa mort par ses élèves, en 1920. C’est à la même époque que les quotidiens imprimés sur papier proposeront des récits et des discours sur les événements qui se produisent dans le monde, rendant possible l’élaboration de ce que l’on pourra appeler une sémiotique de l’événement. Le problème, depuis le début, c’est que cette information repose sur un mythe, celui de la recherche de l’objectivité. Pour résister à la censure des pouvoirs et pour s’affranchir des idéologies et des croyances dominantes, les journaux feront croire – et croiront, sans doute eux-mêmes – que l’information qu’ils élaborent est objective, animée par le seul souci de faire part de la réalité de l’événement. C’est bien pourquoi, pour conserver une distance critique à l’égard des journaux, puis des médias en général, une sémiotique de l’événement est indispensable. C’est ainsi que se développera, notamment dans le sillage du structuralisme et du développement des sciences sociales, une véritable rationalité sémiotique critique de l’information.
La presse en ligne et le travail de la lecture
La naissance de la presse en ligne va sans doute donner aux lecteurs une posture plus critique et plus distanciée, plus active aussi, que vis-à-vis de la presse classique. En effet, pour lire la presse en ligne il faut mettre en œuvre un travail de manipulation technique, par exemple pour imprimer les discours proposés, ainsi qu’un processus de choix et de sélection des informations que l’on souhaite lire, alors que, à l’égard de la presse sur papier ou des médias audiovisuels, il suffit de voir l’information, ou de l’entendre. C’est ainsi que la presse numérique associe davantage les lecteurs à l’élaboration de l’information. Et, bien sûr, cela prend encore plus d’importance dans l’usage des blogs. L’appropriation de l’information par le lecteur est ainsi un véritable travail. C’est ce qui donne au lecteur un statut dans l’élaboration de l’information, qui, dès lors, devient pleinement un travail politique. C’est bien pourquoi, samedi dernier, il y avait beaucoup de monde à la Friche, pour entendre et pour comprendre les processus de conception de l’information. Les lecteurs marseillais, comme ceux des autres villes de France, étaient venus nombreux à être associés, par leur présence et leur participation au débat, au projet de la rédaction du « Marsactu » et de « Mediapart » et pour être activement associé à la conception de ce projet et à son devenir. En participant à cette rencontre, ils manifestaient l’importance politique du travail de l’information.
L’engagement
« Marsactu » et « Mediapart » conçoivent la presse en ligne comme une presse engagée. Sans doute est-ce la raison pour laquelle leur conception de l’information est celle d’un discours critique. Il ne s’agit pas de récits, de « nouvelles » comme on disait au temps où la presse est devenue une véritable acteur social. Il s’agit d’un regard critique sur le monde. Pour eux, il n’y a pas d’information sans critique. C’est pourquoi il s’agit bien d’une presse engagée. La critique en soi-même est un engagement. C’est, d’abord, pourquoi ces journaux reposent sur l’engagement de leurs lecteurs, qui sont, en même temps, des abonnés, au lieu des l’être sur des modes de financement qui les rendraient dépendants d’investisseurs ou de publicités sans autre lien avec l’information que de chercher à la dominer. Cet engagement du discours se manifeste aussi par des choix de l’information à traiter dans leurs lignes. Alors que la presse classique revendiquait une forme d’universalisme (parler de tout), la presse en ligne comme la conçoivent « Marsactu » et « Mediapart » ne nous noie pas sous un déluge d’information, car leur engagement consiste, peut-être avant tout, à choisir. Ce choix de l’information fait de leur discours une voix, c’est-à-dire une parole engagée, qui n’est pas celle de tout le monde. La voix de leur discours et de celui de leurs lectrices et de leurs lecteurs. Cet engagement est, enfin, celui d’une résistance aux hégémonies et aux dominations. C’est dans cet espace de la résistance que vit le biblogue.
Particularités de la presse locale en ligne
Terminons ce billet par une brève réflexion sur les particularités de la presse en ligne d’information locale – autrement dit : sur ce qui distingue « Marsactu » de « Mediapart ». Je vois trois particularités de cette presse-là. La première est, sans doute, la proximité de ses rédacteurs et de leurs lecteurs. Ils se connaissent, les lecteurs savent où est préparée ce qui est, ainsi, un peu plus, « leur presse ». Ce sont ainsi les enjeux de l’information qui sont aussi plus proches du lectorat qui les partage plus étroitement avec les équipes. Une deuxième spécificité de la presse en ligne d’information locale est de porter un projet de refondation des identités locales. Pour ne parler que de « Marsactu », c’est une autre métropole de Marseille que notre journal a le projet de refonder. Sans doute peut-on dire la même chose de tous ces titres qui ont essaimé en France depuis que cette presse en ligne existe – et dont Mediapart » se fait l’écho en citant ces titres (je pense, par exemple, au « Poulpe » et à d’autres titres cités par « Mediapart » comme des associés de son projet d’information). Enfin, la presse en ligne d’information locale joue un rôle dans la vie politique et institutionnelle de sa ville. Ses équipes connaissent ses acteurs de près, ils en suivent les personnalités, elles ont la mémoire de leurs succès et de leurs échecs, les titres comme « Marsactu » sont la mémoire renouvelée de leurs métropoles, plus peut-être que « Mediapart ». Cela rend leur projet de critique plus facile à mettre en œuvre, mais, en même temps, cela leur fait courir le risque d’un affrontement plus difficile avec des pouvoirs plus proches d’eux. C’est ainsi que, s’il a toujours existé des presses nationales de critique politique, la presse locale s’est longtemps souvent contentée de se faire l’écho des politiques locales. L’apparition des titres numériques comme « Marsactu » constitue, ainsi, une véritable rupture dans la culture locale d’information et dans son projet politique.
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