L’AFFRONTEMENT
À Marseille comme partout en France, nous venons de connaître des jours d’affrontement entre la population et le pouvoir. Que signifie un tel affrontement dans une ville comme Marseille ?
Des manifestations à Marseille comme partout en France
Nous assistons à une sorte de réveil politique de la jeunesse de Marseille, comme si la municipalité Gaudin était parvenue à éteindre la vie politique dans cette ville, et, en particulier chez ses jeunes. Jeudi, le 29, une manifestation avait eu lieu devant la préfecture pour exprimer la protestation des jeunes, mais aussi de la ville toute entière, devant la mort du jeune Nahel, tué à Nanterre par un tir de police. Mais, dans la nuit de jeudi à vendredi, des actes de violence ont eu lieu, conduisant, notamment, la préfète de police et le maire à lancer des appels au calme, mais aussi à prendre des mesures comme l’arrêt des transports en commun à 19 heures ou à déployer des dispositifs de sécurité (effectifs supplémentaires de police et de gendarmerie, hélicoptère, etc.). La manifestation a changé de forme, mais peut-être aussi de sens. En effet, des violences ont eu lieu dans le centre, des magasins ont été saccagés et, pour certains, pillés, par exemple rue Saint-Ferréol, ce qui signifier que la colère est dirigée contre la société toute entière. Une deuxième nuit de violences a eu lieu de vendredi à samedi. Toutefois, s’il y a eu, certes, des violences à Marseille, elles n’ont été ni plus nombreuses ni plus fortes que dans les autres villes de France. La colère de la jeunesse de Marseille a été la même que celle de toute la jeunesse du pays.
Significations propres à Marseille de l’indignation propre à la mort de Nahel
Mais la colère qui s’est ainsi soulevée à Marseille comme dans toutes les villes de France, a des significations propres à Marseille. D’abord, bien sûr, s’il y a eu le feu à Marseille, c’est le signe d’un échec de la politique économique de « Marseille en grand » promue par le président Macron. On pourrait dire qu’il s’agit que cette protestation et cette violence sont dirigées contre l’attention particulière portée à Marseille par le pouvoir. Comme si Marseille faisait l’objet d’une attention particulière, comme si elle était, en quelque sorte, plus surveillée que d’autres. Par ailleurs nous nous trouvons, une fois de plus, devant la vieille histoire du clivage entre les quartiers Nord et les quartiers Sud. Dans leur article paru dans Marsactu aujourd’hui, L. Castelly, B. Gilles et V. Artaud citent un jeune disant qu’il est venu « du Nord ». C’est ainsi que la colère n’est pas seulement dirigée contre le pouvoir : il s’agit de l’expression de ce que l’on pourrait appeler d’une colère sociale, contre les inégalités propres à Marseille. Même s’il n’est pas formulé en ces termes, on peut aussi situer l’affrontement qui a lieu à Marseille dans la perspective de l’abandon de Marseille par la métropole, tant, en particulier, dans le domaine des transports en commun que dans celui de l’environnement et de l’entretien des rues. C’est aussi cette inégalité entre Marseille et d’autres villes de la métropole qui produit une situation urbaine dont les jeunes ne veulent plus. Mais une ancienne tradition de solidarité propre à la culture de la ville permet aussi de comprendre la force de l’indignation qui s’est manifestée après la mort de Nahel. La protestation qui s’exprime aujourd’hui s’inscrit dans une longue mémoire et dans une ancienne culture politique de contestation conduisant Marseille à revendiquer une certaine distance à l’égard des pouvoirs centraux. Enfin, à mi-mandat, peut-être l’indignation qui s’est exprimée l’est-elle aussi devant une municipalité qui donne encore l’impression de ne pas bien savoir où elle va, de manquer d’une boussole, d’un véritable projet. Certes, de même qu’à l’égard des pouvoirs de la métropole les manifestations marseillaises contre le pouvoir ne sont pas dirigées contre la municipalité, mais sans doute une certaine lenteur dans la mise en œuvre de son programme, une relative atonie dans la rupture avec les municipalités précédentes, une forme de déception par rapport à l’espoir qu’elle avait su faire naître, peuvent contribuer à l’exaspération qui s’exprime aujourd’hui.
La crise et la responsabilité de l’État
Le premier constat que l’on peut faire au sujet de Marseille est que la réponse de l’État aux interrogations des habitantes et des habitants de la ville se situe dans la répression et dans la surveillance. C’est ainsi, par exemple, qu’il n’y aura plus de transports en commun après 18 heures. Comment vont faire celles et ceux qui travaillent au-delà de cette heure pour rentrer chez eux ? Sur ce point, on peut, au passage, relever une unanimité curieuse entre la préfecture de police, la municipalité et la métropole. L’État semble ne pas comprendre que la protestation qui s’exprime n’est pas une simple manifestation ponctuelle de colère à laquelle on peut répondre par des restrictions de liberté ou de déplacements, mais qu’il s’agit, à Marseille comme dans les autres villes, d’une véritable crise. La responsabilité de l’État est grande dans cette crise qui se traduit par des manifestations, mais aussi par des violences. Parallèlement à cette insuffisante réponse de l’État, la réponse des acteurs de la ville est dans la fermeture : fermeture des commerces tôt dans la journée, crainte que « cela ne s’embrase », comme le dit à Marsactu le directeur d’un centre social : plutôt que d’une réponse qui pourrait pallier le manque de dialogue et d’échange dénoncé par la violence des jeunes manifestants, c’est une politique de fermeture qui est mise en œuvre.
L’urgence de permettre à Marseille de redevenir une véritable société urbaine
L’affrontement aura, en tout cas, manifesté l’urgence qu’il y a, pour la ville, à redevenir un espace social. Il s’agit, en premier lieu, pour la municipalité, d’élaborer une politique destinée à la jeunesse et de la mettre en œuvre, tant sur le plan des installations, des équipements et des associations que sur le plan de la formation. La jeunesse devrait, ainsi, être l’un des destinataires majeurs à qui est destiné la politique de solidarité de la ville. Par ailleurs, Marseille doit ne plus donner l’impression d’être abandonnée par l’État. La municipalité doit renforcer sa participation à l’ensemble des pouvoirs de l’État, la métropole, la police, mais, dans le même temps, la politique de l’État ne doit pas être une politique décidée sans concertation, comme imposée à la population, mais doit faire l’objet d’un débat au cours duquel les habitantes et les habitants de tous âges puissent s’exprimer, plutôt que d’avoir à ne rencontrer que le silence. Il est, ainsi, nécessaire d’en finir avec la timidité persistante de la politique économique et sociale de la municipalité et de la métropole pour la remplacer par une véritable politique de la ville, dans tous les domaines de l’action municipale : transports et voirie, formation et culture, environnement et aménagement de l’espace, logement et politique immobilière et foncière. Pour faire de nouveau de la ville une véritable société urbaine, il faut, en bref, en finir avec les inégalités qui font violence à Marseille.
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