Une rencontre manquée

L’ABSENT

Billet de blog
le 8 Avr 2018
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Le président de la République devait venir à Aix-en-Provence, ce dimanche, en compagnie de son invité, le prince Salman d’Arabie Saoudite. Mais il n’est pas venu, ce qui nous conduit à réfléchir à ce que l’on peut appeler le sens de l’absence en politique.

Un rendez-vous qui n’a pas lieu

Il se disait que le chef de l’État viendrait ce dimanche, à Aix, avec le prince Salman d’Arabie Saoudite à l’occasion d’une manifestation culturelle engageant la relation entre la France et ce pays. C’est pourquoi, dans le cadre de la confrontation entre l’exécutif et les syndicats, dans le cadre de la réforme de la S.N.C.F. et dans le cadre des multiples autres débats aujourd’hui en cours dans l’espace public, l’Union départementale de la C.G.T. avait organisé une petite manifestation d’accueil à laquelle participait tout de même une petite centaine de personnes. Mais le héros du jour, le président de la République, n’était pas là. Il avait, en quelque sorte, posé un lapin aux syndicalistes et aux militants qui, eux, étaient à l’heure au rendez-vous, pour débattre, pour exposer des revendications et des opinions sur la politique menée par l’exécutif, pour exprimer des engagements – bref : pour donner de la vie à un espace public qui se trouve singulièrement atone en-dehors, justement, des manifestations et de l’expression des revendications. Ce rendez-vous qui n’a pas eu lieu était, finalement, le rendez-vous du pouvoir avec le peuple, le rendez-vous de l’exécutif avec le véritable espace public, celui des opinions et des idées, qui se distingue, par sa vie et par sa force, de ce qu’est devenu l’espace des institutions et de l’État : un espace sans engagements, un espace de soumission et de conformisme politique.

 

L’impossible rencontre du peuple

Ce que signifie ce rendez-vous manqué est l’impossibilité de la rencontre du peuple et des pouvoirs. Sans doute nous retrouvons-nous, une fois de plus, dans une telle situation, dans une logique politique plus proche de la monarchie que de la démocratie. En effet, c’est là que se situe la différence entre les régimes démocratiques, dans lesquels c’est le peuple qui se voit reconnaître le pouvoir, et les régimes monarchiques, dans lesquels le pouvoir est exercé par un acteur seul (c’est ce que signifie le terme grec « monos ») sans être soumis au contrôle du peuple et sans que les pouvoirs soient exercés à l’issue de délibérations réelles. L’impossibilité d’une réelle rencontre du pouvoir et du peuple, comme celle qui aurait dû avoir lieu à Aix mais qui n’a pu se produire, a une signification simple : le peuple et le pouvoir ne se situent pas dans le même monde ; il n’y a, finalement, pas un espace du politique, mais le politique se situe dans plusieurs espaces qui ne communiquent pas, qui n’échangent pas, qui ne se rencontrent pas, et c’est cette multiplicité des lieux dans lesquels le politique se parle et dans lesquels les pouvoirs s’exercent qui est le signe d’un recul du politique, voire de sa disparition. Les Grecs nous ont appris que c’est dans l’agoraque s’exerce la réalité du débat public qui fonde le politique et Habermas nous a appris que c’est dans l’espace publicqu’ont lieu les débats et que s’échangent les informations dans une société démocratique. Cette impossible rencontre du peuple vient manifester, finalement, l’absence de démocratie réelle dans notre pays, la réduction de la démocratie à des mots et à des images sans une pleine signification.

 

Un échec de la politique

C’est en ce point que l’on peut parler d’un échec de la politique. En effet, au-delà même de l’opinion que l’on peut avoir sur la politique menée par le président de la République et par le gouvernement qu’il a nommé sous la direction du premier ministre, c’est toute la société politique qui se trouve en situation d’échec, en situation de crise. L’échec du politique se situe, en fait, dans ce recul du débat et dans cette impossibilité de la confrontation entre eux des acteurs politiques et des idées et des engagements dont ils sont porteurs. Mais gardons-nous d’esquiver notre responsabilité dans cette régression : si l’exécutif a pu, ainsi, endormir le débat, c’est aussi parce que nous avons élu, à l’Assemblée, une majorité docile (encore, d’ailleurs, que des résistances commencent à se manifester dans ses rangs) ; si l’exécutif peut échapper à la confrontation, c’est aussi parce que nous ne manifestons pas assez nettement d’idées, d’opinions et de projets assez forts pour réveiller le politique. À nous tous de rendre au politique toute sa force en faisant retrouver sa fermeté au débat public.

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