LA TOUR B DE LA CITÉ BELLEVUE DÉMOLIE

Billet de blog
le 1 Juin 2024
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C’est « Marsactu » qui l’a dit (Article de Benoît Gilles du 13 mai dernier) : la tour B du grand ensemble «Parc Bellevue» dans le quartier de Félix-Pyat va être démolie. Il faut s’interroger sur les significations d’une telle décision.

Signification politique des aménagements urbains

S’il y a un moment où l’on peut se rendre compte de la signification politique de la ville et des aménagements urbains, c’est bien un moment comme celui-là. En décidant de démolir une tour construite en 1960, la municipalité et la métropole font de l’urbanisme une affaire de pouvoir, une question politique. Nous ne sommes plus dans le domaine de l’architecture, mais bien dans celui de la politique de la ville. Dans le cas de la cité du parc Bellevue et de sa « tour B », la dimension politique de l’aménagement apparaît dans le fait que c’est un pouvoir qui l’a voulue, dans les années soixante, et que c’est un autre pouvoir qui a décidé d’en finir. Entre les deux dates, celle de la construction et celle de la démolition, la politique de la ville a changé. Le sens même de l’habitat urbain et de l’espace urbain a changé. Il ne s’agit plus, comme en 1960, de loger les gens, en donnant une dimension fonctionnelle, voire utilitaire, aux choix d’urbanisme, mais il s’agit, aujourd’hui, de tenir compte davantage des conditions de vie et de l’esthétique de l’habitation. L’autre changement politique considérable dont cette décision témoigne est le changement de la population. Les marseillais du parc Bellevue de notre temps ne sont plus ceux des années soixante, ils n’ont plus les mêmes attentes, ni les mêmes exigences, mais ils n’ont plus non plus les mêmes cultures ni les mêmes conceptions du logement et de ville. Au-delà même de celles et de ceux qui l’habitent, c’est la ville même qui a changé : les crises de la vie urbaine, les violences de l’espace urbain, les mutations de l’espace de la ville, le rapport des centres aux périphéries, ont transformé le rôle du logement. En effet, le logement ne sert plus seulement à donner un toit aux habitants, mais on sait désormais qu’il contribue à la fondation de leur identité et à son expression. Sans doute est-ce là la grande transformation politique des aménagements urbains : on a fini par reconnaître que nous nous exprimons dans les espaces où nous habitons, qu’ils représentent une part de nous-mêmes, alors qu’on n’en était pas pleinement conscient dans les années soixante.

 

La démolition : un constat d’erreur

Démolir une habitation que l’on a construite, c’est reconnaître une erreur. Il aura fallu du temps pour que les pouvoirs de la ville le reconnaissent, mais ils finissent, désormais, par en être conscients : ils se sont trompés en prenant de telles décisions et en faisant de tels choix, mais nous nous sommes aussi trompés en les acceptant. Une ville de tours est une ville dont on ne voit pas les habitants, c’est une ville dans laquelle il n’y a pas de place pour la vie sociale, pour la rencontre des autres. C’est aussi une ville dans laquelle on ne reconnaît pas les formes de la construction : une ville de tours est une ville sans paysages. La grande erreur dont on finit par prendre conscience de nos jours aura été là : dans l’absence d’esthétique du paysage urbain. L’autre erreur aura été le choix de la fonctionnalité : on ne construisait pas pour que les gens habitent, pour qu’ils vivent leur culture en habitant et en échangeant avec les voisins, on construisait dans l’urgence pour répondre à des besoins. Mais on ne s’est pas demandé en construisant ces tours ce qu’était l’urgence de la ville. Ou plutôt : à l’urgence de la construction répond aujourd’hui une autre urgence, celle des inégalités et de la violence urbaine. La démolition de la « tour B » est, au fond, un écho à une autre démolition, celle de la société même, que le libéralisme a mené tambour battant en enfermant les classes populaires dans des tours, dans des cités fermées, dans des ghettos dans lesquels les habitants sont enclos, avec tous les services à leur disposition dans les rez-de-chaussée, pour leur donner l’illusion qu’ils vivent dans une véritable ville. Par la démolition, la société finit par reconnaître qu’elle s’est trompée et qu’elle a fait vivre les gens pendant soixante ans dans des tours aujourd’hui détruites.

 

La figure de la tour : une fascination pour une culture venue d’ailleurs

Mais pourquoi les tours ? Il y a, derrière ces types de construction et ces modèles d’architecture, le début d’une sorte de fascination pour le modèle venu des États-Unis. Il n’y a, d’ailleurs, pas que dans les quartiers populaires que les tours se sont construites. Dans le quartier où je suis né, à Paris, nous étions très fiers du premier « gratte-ciel » de cette ville, qui était habité par des classes aisées. C’est l’hégémonie culturelle des États-Unis sur le monde, et même sur l’Union soviétique d’alors et la Chine d’aujourd’hui, qui commençait à poindre en nous imposant des modèles sociaux, et, en particulier, des modèles de ville dont nous ne voulions pas – ou, en tous les cas, dont nous n’étions pas les auteurs. Il y a deux explications à cela. La première est la soumission sans débat à des modèles économiques et sociaux qui nous avaient été imposés dès la fin de la guerre de 1939-1945 et qui étaient censés répondre à une crise du logement urbain. Mais c’est ici que l’on comprend cette toute-puissance d’une culture venue d’ailleurs. Dans les années soixante, des villes comme Marseille, au bord de la Méditerranée, ont fait les frais de la colonisation, puis, donc, de la décolonisation. S’il y a eu une forme d’urgence à laquelle les tours étaient censées répondre, c’est à celle du logement de ces personnes qui arrivaient pour vivre en France et y trouver de nouvelles racines. Mais les tours et les cités n’ont pas de racines à offrir. 

Un sorte de mépris pour les habitants

Enfin, une autre signification politique est à comprendre dans cette décision de démolir (je ne parle pas de choix) : le mépris pour les habitantes et les habitants. En-dehors même du fait que l’on décide de démolir sans que les choses soient très claires quant au relogement des personnes qui vivent, aujourd’hui, dans les logements qui vont être démolis et qui ne savent pas où ils vont vivre, on leur dit que leur vie ne vaut rien, puisqu’on en démolit l’espace. On reconnaît qu’on les a méprisés en les logeant dans des constructions sans autre identité qu’une dénomination technique (« Tour B »), promises à une démolition future et on les méprise en les privant de logement et en n’organisant pas de concertation quant aux modalités du relogement et aux choix de l’urbanisation à venir dans un quartier qui avait fini par devenir le leur. Ce n’est pas à l’État ni au marché de faire à leur place des choix de vie de celles et de ceux qui habitent dans la ville. C’est une façon de les déposséder de la ville qui est leur, c’est une manière de la leur voler.

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