LA SURVEILLANCE N’EST PAS LA SÉCURITÉ
Les rues de Marseille vont donc être habitées par encore plus de caméras de vidéosurveillance que prévu. Une sorte d’habitat sauvage d’un genre nouveau…
Réfléchissons à ce vers connu d’un très grand poète du XIXème siècle :
« L’œil était dans la ville et regardait la rue »
Sans doute ce vers peut-il nous aider à mieux comprendre la décision folle du maire de Marseille, Bruno Payan, de mettre un terme au moratoire décidé par la gauche d’en finir avec le déploiement de nouvelles caméras de surveillance – au moins jusqu’à ce que soit entreprise une véritable étude critique de leur efficacité, dans le cadre de ce que l’on appelle l’évaluation des politiques publiques.
Allons, disons-le : le vers cité plus haut n’est pas d’un grand poète, mais il a été librement inspiré d’un vers de Victor Hugo. Le bon vers, c’est :
« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn »
Il s’agit de l’œil du remords qui poursuit Caïn après qu’il eut tué son frère, Abel. Il ne peut pas se libérer de ce regard, celui de ce que l’on appelle son « sur-moi », celui de la conscience de la faute. Si cela peut nous aider à mieux comprendre cette politique aberrante engagée par le maire de la ville, c’est parce qu’il nous permet de mieux apprécier les deux volets de cette politique. D’un côté, il y a l’œil : il s’agit de ce que l’on peut appeler une politique du regard. L’ennui, c’est que le regard n’agit pas. Regarder la rue, c’est l’observer, c’est même enregistrer ce qui s’y passe, mais ce n’est pas agir sur elle. Et, à supposer que le regard puisse observer quelque chose de répréhensible en train de se dérouler, le temps qu’il enjoigne à des agents de police d’y mettre fin et d’engager une procédure conte son auteur, et que ceux-ci arrivent sur les lieux, cela fait longtemps que ce dernier sera parti. La politique du regard n’est pas une politique de l’action. De l’autre côté du vers, il y a la rue. Les caméras surveillent la rue, parce que c’est la rue qui est, a priori, suspecte. C’est l’espace public qui est soupçonné, presque par définition. C’est de la rue que vient l’insécurité, et c’est pourquoi on la surveille. C’est ainsi que des dépôts sauvages sont presque criminalisés : c’est tout de même une drôle de façon de faire accepter la doctrine des caméras de surveillance que d’expliquer qu’elles serviront à tout regarder, pas seulement les crimes.
Une rupture avec les engagements de la gauche
C’est la première idée qui vient quand on réfléchit à cette nouvelle décision du maire. La vidéosurveillance entre en contradiction avec les engagements de la gauche, qui, au contraire, ont toujours recherché dans la rue la source de la légitimité du pouvoir. Rappelons tout de même que c’est sous J.-C. Gaudin que les caméras avaient fleuri et que c’est au terme d’un drôle de partenariat avec E. Macron, G. Darmanin et la police nationale que cette décision vient d’être prise. En décidant ce recours à la vidéosurveillance, le maire socialiste de Marseille abandonne son engagement socialiste et met en œuvre une politique imaginée par son prédécesseur, alors que la ville n’a plus voulu du pouvoir de son parti politique de droite en élisant une municipalité de gauche. Mais pourquoi, peut-on se demander, la gauche est-elle depuis toujours hostile aux politiques de surveillance ? Pour cette raison très simple que la gauche sait très bien, alors que la droite le dénie soigneusement, que ce n’est pas la surveillance qui mettra fin à l’insécurité mais l’amélioration des conditions de vie des habitants. Parce que la gauche sait très bien qu’au lieu de surveiller les classes populaires, il faut en finir avec l’inégalité. C’est ce qu’elle a toujours dit et c’est ce qui, depuis toujours la distingue de la droite. À commencer, d’ailleurs, par le poète que je citais au début de cet article. Au lieu de surveiller et de punir, pour reprendre le titre du grand livre de Michel Foucault, on ferait mieux d’engager une politique de la solidarité.
Ne pas confondre sécurité et surveillance
L’œil n’est pas le regard. Cela veut dire que, come le regard n’agit pas, la vidéosurveillance ne sert à rien, ou, en tout cas, à pas grand-chose, comme l’a remarqué la Cour des comptes. La vidéosurveillance fait de nous les acteurs involontaires d’un film proposé aux policiers qui assistent à sa représentation. Ce n’est pas cela, la sécurité. La garantie de la sécurité, au contraire de la surveillance, repose sur une véritable politique de protection, mise en œuvre par des femmes et des hommes réels que l’on peut rencontrer dans la rue, qui peuvent nous parler, qui peuvent intervenir quand c’est nécessaire – et pas seulement pour verbaliser (verbaliser, cela veut dire faire du verbe, de la parole), mais surtout pour protéger et pour prévenir les menaces et empêcher la violence de se dérouler. Rendre un espace sûr, c’est aménager cet espace de façon qu’il ne connaisse pas de violences et de dégradations et faire en sorte que cet espace ne soit pas protégé de façon illusoire par des regards, mais qu’il le soit par des agents de sécurité avec qui les habitantes et les habitants de la ville puissent avoir des relations, leur parler de ce qui se passe, se faire écouter d’eux au sujet de menaces à la sécurité. Peut-être, d’ailleurs, cela permettrait de ne plus réduire les fonctions des agents de police à de la répression, mais de faire retrouver au mot « police » son véritable sens, celui d’une organisation rationnelle de la polis, de la cité.
La municipalité et la métropole
Enfin, la vidéosurveillance nous confronte de nouveau à la relation entre la municipalité et la métropole. Si la vidéosurveillance, payée par la municipalité, sert aussi à vérifier qu’il n’y a pas de dépôts illicites d’ordures ni d’atteintes à l’environnement, c’est qu’elle fait un travail qui devrait être accompli par la métropole : c’est à la métropole de mettre en œuvre une politique efficace de protection et de sécurité de l’environnement. La ville de Marseille devrait-elle payer par la vidéosurveillance l’incompétence de la métropole ? On se rend compte que, bien au-delà des caméras, le débat sur la vidéosurveillance devrait s’engager sur tous aspects de la sécurité urbaine. La municipalité risque de payer très cher cette décision brutale : elle risque de transformer son engagement en ayant besoin d’aller chercher des soutiens à une telle politique du côté de la droite et, ainsi, de faire perdre à la gauche le pouvoir populaire qu’elle avait fini par retrouver après tant d’années.
La gauche et la droite
Le commentaire de la droite marseillaise permet de confirmer que la décision de la municipalité est bien une décision de droite. Entre la gauche et la droite, faut-il comprendre que la municipalité a choisi un autre camp que celui auquel on s’attendait et que les électrices et les électeurs avaient choisi. Toujours est-il qu’il est intéressant de noter que le communiqué de la droite évoque une décision « de bon sens ». On sait bien que la référence au « bon sens » est toujours destinée à empêcher le débat et l’on sait que les choix ou les discours « de bon sens » ne sont pas fondés sur une rationalité, mais sur le suivi de l’opinion dominante. On peut craindre, en lisant cela, que le maire de Marseille n’ait oublié ce qui caractérise la gauche et ce qui la distingue de la droite : la dénonciation de l’autorité et la résistance à elle. Triste jour, en tout cas, pour la gauche marseillaise.
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