LA RÉVOLTE
Les émeutes des derniers jours, à Marseille comme ailleurs en France ont, en partie, changé de sens. S’il s’agit toujours de la manifestation d’un rejet violent du projet de société qui nous est imposé, les violences et les pillages donnent une autre dimension aux révoltes. Essayons de la comprendre.
Les pillages et les magasins fracturés
Les vitrines brisées, les magasins pillés, les dégradations de toute sorte, y compris sur des véhicules de transports en commun, témoignent d’un rejet global de la société par la jeunesse. Pour les jeunes qui ont parcouru les rues de Marseille, ces dégradations et ces actes de pillage étaient une façon de se réapproprier une ville dont ils se sentent exclus. La violence qui s’est, en quelque sorte, déchaînée, à Marseille, autour de la mort du jeune Nahel fut aussi dirigée contre la société de consommation, contre les acteurs du commerce et du libéralisme, contre cette sorte d’emprisonnement dont nous sommes tous victimes dans le système économique qui nous est imposé. La violence qui s’est manifestée ainsi était une façon de dire que la jeunesse n’avait pas d’autre moyen de s’exprimer dans une ville comme Marseille, particulièrement soumise à l’hégémonie du commerce depuis le début de son histoire. Mais, dans le même temps, sans doute s’agissait-il d’une révolte dirigée contre la dégradation de la ville et des paysages urbains à Marseille, dominés par les centres commerciaux : à Marseille, sauf dans les quartiers luxueux de quartiers comme l’avenue du Prado, les rues sont mal entretenues, voire ne le sont pas du tout, les quartiers sont mal desservis par les transports en commun, le patrimoine urbain n’est pas digne de ce que l’on peut attendre de celui d’une grande ville.
La justice inégale
Comme cela a déjà été abondamment documenté, y compris dans Marsactu, la justice montre ce qui est peut-être son véritable jour : elle est une justice inégale. Quand une juge siégeant aux comparutions immédiates a parlé aux jeunes qui comparaissaient devant elle, ceux-ci ne comprenaient même pas le sens des mots qu’elle leur disait : il fallait des explications de texte – une bonne manière de montrer à quel point ils se sentent exclus de la société dan laquelle ils se sentent enfermés. La révolte qui a surgi à Marseille fut aussi dirigée contre l’inégalité des institutions, et, notamment de la justice. Alors que la justice devrait être la même pour tous dans un pays démocratique, on se rend bien compte qu’il y a plusieurs justices : notamment à Marseille, il y en a une pour les délits financiers dont les auteurs sont laissés libres – sauf, bien sûr, quand ils sont condamnés au port du bracelet électronique, et une autre pour ce que l’on peut appeler les « délits de rue », comme ceux qui ont été commis par les auteurs des actes commis dans le cadre des manifestations que l’on a fini par appeler des émeutes.
Une violence répond à une autre
Ne nous trompons pas : les actes de violence de la jeunesse ne sont qu’une sorte de réponse aux violences policières. La rue marseillaise est devenue la scène d’un échange de violences. La violence de la jeunesse n’étaient qu’une violence différente de celle de la police, mais, au moins, ils n’ont tué personne. Les jeunes de la ville étaient pris dans une sorte de déroute incontrôlable qui n’était, finalement, qu’une réplique à la violence des policiers qu’ils avaient vue auparavant. La rue n’est plus le domaine d’un affrontement entre bandes, mais celui d’un autre affrontement, entre la violence des jeunes et celle de l’État, qui se conduit comme une bande d’individus armés et casqués qui patrouillent la ville en quête d’un pouvoir que leurs armes ne suffit plus à leur préserver. Pour répondre aux menaces de violence de la jeunesse, la métropole n’a rien trouvé de mieux que d’avancer l’heure de la fin de la desserte de la ville par les transports en commun, sans réfléchir aux incidences d’une telle mesure sur la vie quotidienne de l’ensemble des habitantes et des habitants de la ville qui ne pouvaient plus se déplacer. La violence de la pollution et de la dégradation de l’environnement par la multiplication des voitures particulières est une manière, pour la métropole, de répondre à la violence de la colère de la jeunesse. Marseille est ainsi prise dans une sorte d’enchaînement de violences.
Une jeunesse exaspérée
La jeunesse a dit son exaspération devant une société qui ne leur donne aucune issue, devant une ville elle-même dégradée et privée de ce qui avait fait sa grandeur. Le centre de Marseille a été vidé par les commerces et les magasins partis se déployer dans les « grandes surfaces » qui se sont, elles-mêmes, comme réfugiées dans les périphéries de la ville. La jeunesse est exaspérée par la mort de ce centre de la ville qui, bientôt, n’en sera plus une, mais qui se réduit, peu à peu, à n’être qu’une ville-dortoir. La jeunesse de Marseille s’est identifiée à Nahel, elle se sent elle-même victime des violences policières, mais, au-delà, des violences sociales et culturelles d’une société qui les rejette en réduisant leurs possibilités de trouver des emplois à la mesure de leurs capacités et en ne leur proposant qu’un projet urbain qu’elle ne les a pas appelés à formuler avec elle. La jeunesse de Marseille est exaspérée par les mesures sécuritaires et répressives qui quadrillent la ville. Elle est aussi exaspérée par l’errance du développement des réseaux de transports en commun insuffisants et mal conçus. La jeunesse, finalement, inscrit sa violence dans l’affrontement entre les pouvoirs de la ville de Marseille et ceux de la métropole qui empêche que se conçoive un véritable projet urbain de développement et d’aménagement.
Une leçon des jeunes
Si nous comprenions cette violence des jeunes de Marseille comme une leçon ? Si nous écoutions leur voix, au lieu de la réprimer ou de la rejeter ? Ce qu’ont exprimé les actes de violence des jeunes de Marseille, c’est qu’ils veulent être libérés de la violence d’un libéralisme qui les opprime sans leur proposer d’avenir, mais, en même temps, ils nous disent qu’il est temps de nous éveiller, de sortir de cette torpeur dans laquelle nous nous sommes trop longtemps assoupis, au moment du conflit des « gilets jaunes », au moment de la réforme des retraites, et, à présent, au moment où la police tue. De même qu’il y a deux justices, dans notre pays, il y a deux polices. Les jeunes ont voulu nous rappeler que l’égalité fait partie des principes fondateurs de notre république.
Marseille, la rebelle, a retrouvé sa voix.
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