LA « RÉNOVATION URBAINE » À MARSEILLE
Cette expression, « rénovation urbaine », désigne l’ensemble des projets et des prévisions qui ont pour but de rénover la ville, de la rendre « nouvelle », « plus jeune ». À Marseille, ces mots prennent une dimension particulière.
Une vieille urgence
À Marseille, la rénovation urbaine est une vieille urgence. Qu’il s’agisse de l’installation des Grecs de Pythéas venant refonder Phocée ou de celle des marchands et des négociants du continent aménageant Marseille comme un comptoir des échanges entre l’espace méditerranéen et le continent, la ville n’a pas cessé de se transformer, et, ainsi, de se « rénover », de devenir une ville nouvelle. À Marseille, la rénovation urbaine connaît deux temps. Le premier est celui de l’urgence, quand l’actualité, les événements, les crises, obligent à rénover. C’est ce qui s’est produit, à Marseille, lors des crises qui, chaque fois, ont dégradé un peu plus l’espace de la ville, et, surtout, ont obligé Marseille a se rénover pour accueillir de nouveaux habitants. Ce fut le cas dans les années soixante, à la fin de la guerre d’Algérie, puis, depuis, avec l’afflux de travailleurs étrangers venant s’installer dans la ville pour y trouver le travail que leur pays ne leur proposait pas. C’est le cas, encore aujourd’hui, en raison des crises et des guerres du monde qui poussent vers Marseille de nouveaux migrants. Mais l’autre temps de la rénovation est le temps long : c’est celui de l’invention d’une nouvelle ville. Grâce aux nouveaux quartiers et aux nouveaux sites qui font l’objet d’une politique urbaine d’aménagement, la ville s’invente et se réinvente chaque fois. Au-delà de l’urgence, il s’agit, tout simplement, de la croissance de la ville. Le renouvellement urbain est le temps des grandes villes et des métropoles. Mais ce temps du renouvellement ne peut se penser, en termes politiques, que dans la recherche de l’égalité : les villes nouvelles et les quartiers renouvelés ne doivent pas être seulement des « villes de pauvres » ou des « quartiers de pauvres » – plus : il ne doit pas y avoir des quartiers de pauvres et des quartiers de riches, mais la ville doit être l’espace politique d’une véritable égalité.
Cinq moments de la rénovation moderne
On peut penser l’histoire de la rénovation urbaine de Marseille en cinq époques. La première est celle de la rénovation continue avec le développement du port, depuis les origines jusqu’au dix-neuvième siècle. Ensuite, l’histoire ira plus vite. Toute cette histoire moderne de la rénovation de Marseille date de 1830 et de la conquête de l’Algérie. C’est à cette époque que naît le nouveau port, celui de la Joliette, et que la ville connaît une nouvelle croissance qui se manifeste notamment par le percement de la rue de la République et par les transformations du quartier du centre. La guerre d’Algérie (1954-1962) est un troisième moment important de la modernité. Il est marqué, dans la rénovation de Marseille, par l’installation, à Marseille et dans l’agglomération, d’un grand nombre de « rapatriés », venant d’Algérie lors de l’indépendance, mais qui n’étaient pas vraiment des rapatriés, puisqu’ils étaient, pour beaucoup, nés en Algérie, et qu’ils n’avaient jamais vu la France. Un quatrième temps de la rénovation est celui de l’immigration de populations algériennes en France, pour des raisons économiques : dans l’attente du développement de leur pays, elles viennent chercher du travail en France et arrivent à Marseille, qui devient la porte des migrations. Enfin, la rénovation urbaine connaît, à Marseille, un cinquième moment, celui de la descendance de ces algériens installés en France et de la venue de nouvelles populations, mais aussi celui de l’émergence de nouvelles façons d’habiter la ville. C’est le temps de nouveaux projets d’urbanisme et d’aménagement à Marseille.
La dette et la rénovation urbaine
La rénovation urbaine désigne ce que l’on peut appeler le règlement d’une dette. Elle fut contractée par la ville de Marseille au cours de toutes ces années d’extension et d’agrandissement, mais aussi de toutes ces années de dégradation urbaine liée à des installations et à des aménagements conçus, dans l’urgence, sans plan et sans projet. Pourquoi parler de dette ? Eh bien tout simplement, parce que quand Marseille compte de nouveaux habitantes et de nouveaux habitants et qu’elle se transforme, elle se trouve face à de nouveaux devoirs envers celles et ceux qui y vivent. L’aménagement urbain est une dette de la ville à l’égard de ses habitantes et de ses habitants.
Que, de Gaston Defferre à Sabrina Agresti-Roubache, le gouvernement ait compté des marseillais signifie que la ville est un espace stratégique pour les pouvoirs de notre pays. La deuxième ville de France par le nombre de ses habitantes et de ses habitants est un monde, à elle toute seule, parmi les villes de France. Mais l’engagement de la nation à l’égard de Marseille doit en être véritablement un. De son côté, le plan « Marseille en grand » conçu à l’initiative du président E. Macron est présenté comme une des manifestations du règlement de la « dette marseillaise » de l’État. Et c’est en ce point que nous nous trouvons devant une crise. Les projets de rénovation urbaine parrainés et financés (en partie seulement) par les pouvoirs nationaux de l’État sont loin de répondre aux exigences de la croissance urbaine de la ville. La dette ne sera éteinte que quand Marseille se verra reconnaître les mêmes nécessités d’investissement et d’engagement que les autres villes de notre pays, et, surtout, quand le retard de Marseille dans le domaine de l’aménagement urbain sera enfin rattrapé par les projets qui sont en train de se concevoir.
En réalité, la dette de la rénovation urbaine ne sera pleinement éteinte à Marseille que quand l’urbanisation ne sera plus une réponse à l’urgence, quand il ne s’agira plus seulement de répondre à des nécessités du temps court, mais quand Marseille sera en mesure d’imaginer un véritable futur. Une véritable politique de la ville s’inscrit dans le futur autant que dans le présent, et, à Marseille, elle doit tenir compte de la mémoire d’une grande ville. La dette de la France à l’égard de Marseille est aussi celle du pays à l’égard d’une ville qui a, plus que d’autres, contribué à son développement et à sa richesse. C’est dans ce dialogue entre Marseille et la France que la rénovation urbaine doit s’inscrire – afin que la ville redevienne une véritable ville nouvelle, une ville de nouveau imaginée.
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