LA PRESSE : UN CONTRE-POUVOIR

Billet de blog
le 18 Mai 2024
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L'expérience  de « Marsactu » à propos de la municipalité de Rognac nous engage à réfléchir sur le rôle de la presse et des médias dans l’espace public.

Qu’est-ce qu’un contre-pouvoir ?

Dans l’édition de « Marsactu » de mardi dernier, le 14 mai, Coralie Bonnefoy, avec la participation d’Alexia Conrath, nous a donné des informations intéressantes sur la gestion des finances publiques par la maire de Rognac et par son prédécesseur. Ces informations concernent le train de vie fastueux que mènent ces deux élus grâce à un usage immodéré de la carte de crédit municipal dont ils semblent disposer allègrement, alors qu’en principe l’usage des deniers publics devrait être plutôt sur le mode « allegro ma non troppo ». Au-delà des mésaventures de l’argent public et de la municipalité à Rognac, cet épisode nous questionne sur le rôle de la presse et des médias dans l’espace public d’un pays démocratique. Plus que jamais, « Marsactu » joue le rôle essentiel de la presse, qui est celui d’un contre-pouvoir appelé à informer sur les modalités de l’exercice de leurs pouvoirs par les élus, les institutions, et d’une manière générale, par les acteurs politiques, mais, ainsi, à les contrôler. Interrogeons-nous, d’abord, à propos de cette histoire, mais, au-delà, dans la vie politique que nous vivons, sur ce qu’est un contre-pouvoir. Si le terme qui le désigne commence par le mot « contre », c’est bien que la presse et les médias sont opposés aux pouvoirs : ils les surveillent, mais, surtout, ils marquent leurs limites. Grâce à son discours, aux informations qu’elle recherche, qu’elle détient en les partageant avec nous et en leur donnant du sens, la presse parvient à limiter les pouvoirs, c’est-à-dire à maintenir un régime démocratique, un régime dans lequel c’est le peuple, le dèmos, qui détient le pouvoir, le kratos, au lieu que le régime dans lequel nous vivons et l’exercice des pouvoirs par ceux qui les détiennent fasse tomber notre pays dans un régime totalitaire, dans lequel les pouvoirs ne se heurtent à aucune limite.

 

La fiction du « quatrième pouvoir »

Il a beaucoup été écrit et dit sur le rôle de la presse et des médias qui serait celui d’un « quatrième pouvoir ». Rappelons, d’abord, de quoi il s’agit. En 1747, un juriste, politiste et philosophe bordelais, Montesquieu, publie un ouvrage essentiel, « De l’Esprit des lois », qui consiste dans une réflexion sur la loi, sur ce qui la fonde et sur ce qui lui donne son sens. Dans ce livre, Montesquieu nous explique que, selon lui, il y a, dans un pays, trois pouvoirs : le pouvoir législatif, celui qui prépare les lois et qui les institue, le pouvoir exécutif, qui, en faisant appliquer les lois, leur donne une véritable consistance politique, et le pouvoir judiciaire, celui qui veille à l’exécution et à l’application des lois, et qui sanctionne les manquements à la loi.  Cette théorie a eu une importance considérable et on continue de nos jours à réfléchir au politique en se fondant sur ce que l’on peut appeler l’équilibre entre ces trois pouvoirs. Certains ont voulu voir dans la presse et les médias un « quatrième pouvoir », parce que, grâce aux informations qu’elle diffuse et aux analyses qu’elle propose, la presse consisterait en un pouvoir contrôlant les trois autres et, surtout, parce qu’elle imposerait au peuple des façons de penser, des modèles idéologiques, des logiques lui permettant, lui-même de jouer son rôle dans la démocratie. Mais c’est une fiction : en effet, la presse n’est pas un pouvoir, car elle a été conçue, justement, pour que nous puissions échapper aux pouvoirs. Elle n’est pas un pouvoir, mais un contre-pouvoir. En nous informant sur les dérives de la municipalité de Rognac, « Marsactu » n’entend pas exercer un pouvoir, mais veiller à une conception démocratique des institutions en nous informant sur les excès des pouvoirs et de leurs acteurs.

 

La nécessité des médias et de l’information dans une démocratie

Alors, bien entendu, le pouvoir exécutif local, la municipalité, ainsi mise en cause, menace « Marsactu » d’en appeler à un autre pouvoir, celui des juges, pour se protéger. Mais il s’agirait d’une erreur, car, dans une démocratie réelle, aucun pouvoir n’est au service des autres et les pouvoirs sont indépendants les uns des autres. Les juges ne sont pas là pour aider le pouvoir exécutif municipal, en empêchant un journal comme « Marsactu » de nous informer sur les excès d’une municipalité de la métropole. Au-delà, cela nous interroge sur la nécessité d’une information dans une démocratie. L’information et ses acteurs sont là pour permettre au démos, au peuple, d’exercer son pouvoir, son kratos à lui, qui définit la démocratie. Les journaux et les journalistes nous informent : ils mettent en scène la vie politique dans les formes et dans le langage qui permettent de la comprendre, et de l’évaluer. C’est, d’ailleurs, précisément pour cela que je méfie des instances et des procédures « d’évaluation » des institutions. Il ne s’agit que de procédures en quelque sorte techniques qui réduisent les institutions à des organes fonctionnels en fondant l’appréciation de la vie des institutions sur leur efficacité. Il ne s’agit pas d’une appréciation pleinement politique des institutions, car seul le peuple et ses représentants sont en mesure de la mettre en œuvre. Mais justement c’est le rôle des médias et de l’information de permettre au peuple de procéder à cette appréciation et de lsanctionner les acteurs politiques des institutions, notamment au moment des votes. Dans le cas de la municipalité de Rognac, le rôle de « Marsactu » a aussi été de rendre publics – de rendre au « populus », au peuple, en les rendant à l’espace public, à « l’ager publicus », des documents qui, sinon, auraient été soigneusement cachés au peuple par la municipalité. Et nous voilà devant la limite de l’information : la censure. C’est par la censure de l’information que les pouvoirs empêchent les médias, les journaux, d’exercer pleinement leur contre-pouvoir. La confrontation entre « Marsactu » et la municipalité de Rognac n’est, une fois de plus, qu’un épisode de la confrontation entre les pouvoirs et les contre-pouvoirs. Ne nous trompons pas : Rognac est une petite ville, mais cette épisode nous montre, une fois de plus, que, dans notre pays, la démocratie est en danger.

Commentaires

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  1. julijo julijo

    Très intéressant !
    Je suis ok avec votre analyse sur le « contre-pouvoir » opéré par la presse.
    (dans un monde idéal !)

    Que devient ce contre pouvoir, lorsque l’énorme majorité des media, la presse donc, est aux mains de financiers plutôt sans scrupules, qui de temps en temps dénient sans gène aucune le travail d’information ou de décryptage de la presse ?
    je trouve particulièrement choquant, dangereux et absurde la réaction de cette mairie. les comptes sont publics. il est inquiétant dans notre pays aujourd’hui de voir des élus s’insurger quand ils ont outrepassé leur rôle, et attaquer ??? attaquer quoi, la démocratie ?

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