La mission civilisatrice du néo-marseillais
Puisque je n’ai pas tout dit sur le sujet dans ma lettre à Guy Teissier, voilà la suite de ce que m’inspire sa sortie sur Marseille africaine. A mon avis, ce qui rapproche le plus Marseille de l’Afrique sont ceux qu’on y croise, et je ne veux pas parler de ceux qui arrivent d’Afrique, mais plutôt de ceux qui viennent ici pour nous aider. Enfin, je dis “nous”, ceux qui viennent pour aider Marseille. Quoi ? Si, si, vous en connaissez sûrement et vous en êtes peut-être (sans forcément le savoir, je le sais, j’en suis moi aussi).
J’ai plusieurs fois discuté avec des gens partant ou revenant d’Afrique, souvent pour « une mission humanitaire ». Ils partent en général plein d’illusions, avec une sincère envie d’aider l’autre, de permettre à l’Afrique de se rapprocher de ce que nous considérons comme le bonheur.
A Marseille, on croise beaucoup de gens a priori venus « parce que Marseille est en train de bouger ». Mais on les voit passer à un discours plus offensif dès qu’ils se sont pris des taquets d’inertie et qu’ils voient que loin d’être une Fiesta des Suds permanentes, il y a de vrais problèmes et une structure faite pour que justement, rien ne bouge.
Je me mets volontiers dans ce tas de gens revenus ou venus avec plein d’illusions et d’injonctions, je préfère que ce soit clair, s’il restait encore un doute à ce sujet.
Alors ils passent d’un discours d’enthousiasme du type « ça bouge, ça va bouger, quand ça bougera », à un discours d’injonctions : « il faut que ça bouge ». Il le faut parce que quand ça aura bougé, quand ça ressemblera un peu plus à d’autres endroits (celui où ils étaient / nous étions avant), ça sera mieux. Enfin, ça serait mieux, en tous cas dans leur discours.
Et on se rend compte qu’en fait, comme leurs alter-ego partis aider les africains, ils sont venus aider les marseillais, ou de manière plus symbolique, cet objet que serait Marseille (s’il existe). Le fond de la démarche n’est pas si éloigné. Ils s’expriment souvent en « il faudrait que », « c’est quand même pas normal que », et comparent avec l’endroit où ils étaient avant (Lyon, Strasbourg, Lille, Nantes…), qu’ils soient originaires d’ici et de retour d’ailleurs, ou directement parachutés.
Rarement ils se demandent si ceux qui les entourent – marseillais et/ou africains – ont le désir de bouger dans le même sens qu’eux. On est vite face à un paradoxe : on est (re)venu à Marseille (en Afrique) attiré parce qu’elle est mais on aimerait quand même qu’elle ressemble un peu plus à l’endroit où on était avant (Lyon, Paris, l’Europe) parce que, quand même, sur de nombreux aspects, c’est mieux là-bas.
Si je prends une image cliché, c’est un peu comme si après avoir passé quelques années avec une expert comptable pas très fantaisiste, un mec tombait sous le charme d’une comédienne un peu en galère dans sa vie. Et puis au bout de quelques mois, il se mettrait à expliquer à la comédienne que quand même, ce serait bien qu’elle ait un planning, qu’elle économise, qu’elle soit à l’heure. Voire même, cas extrême, qu’elle se mette à la comptabilité, parce que ça permet tout de même d’avoir plus de visibilité, un plus grand appart et que ça fait mieux pour les parents. La question étant : l’aimera-t-il encore quand elle aura fait tout ça ? A mon avis, il lui reprochera de ne plus être funky.
Et si je transforme Marseille en cet endroit où j’étais avant, est-ce que j’aurais toujours envie d’y rester ? Ou est-ce que je la quitterai en disant que c’était mieux quand c’était un peu plus le bordel ? Quand c’était “hyper typique” pour citer Nicole Ferroni dans une super chronique qui en dit beaucoup sur ce paradoxe.
Mais au-delà d’une charmante dissonance, cette observation ne met-elle pas le doigt sur des a priori beaucoup moins charmant ? J’y pensais ce matin en lisant un passage des “passions ordinaires” de C.Bromberger, plus précisément le chapitre sur la passion pour le plein air et la nature écrit par Sergio Dalla Bernadina. L’auteur nous dit que “l’image du promeneur pédagogue apprenant aux paysans, lorsqu’il le faut, les sciences naturelles et la morale, est un fantasme crucial dans l’imaginaire écologique contemporain” (p.402). Il détaille la position actuellement dominante de l’urbain (étymologiquement opposé au vilain des campagnes), domestiquant la nature et au passage ceux qui en sont restés proches. Il cite notamment les bénévoles d’Europe du nord se regroupant en Calabre pour faire interdire une chasse au faucon qu’ils jugent barbare. Il explique que non content de la domestiquer, ce promeneur entend améliorer la nature. Bref, ayant déjà ce billet en tête depuis plusieurs jours, j’ai fait l’analogie.
Il y a dans le comportement de celui qui veut aider Marseille, ou l’Afrique, en la conformant à sa propre norme, une certitude d’être dans son droit, de faire le bien, qui implique nécessairement de pouvoir déprécier les pratiques et la réalité autochtones, les “sauvages” de K.Arkana. En ça, ce ne serait qu’une variante bien intentionnée de la mission civilisatrice de Jules Ferry, mais l’assumons-nous tous vraiment ?
Bon dimanche !
Commentaires
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L’analogie avec une mission humanitaire en Afrique ne me semble pas bonne. Les gens viennent ici pour s’installer, travailler, étudier… comme dans n’importe quelle autre ville.
En plus, ce billet me met très mal à l’aise, et parce qu’il aurait fait mouche. Il me rappelle l’opposition “vrais marseillais / neo marseillais” utilisée par la droite. Sauf que personne n’a de légitimité à distribuer des certificats de “marseillitude”, on est tous habitants de cette ville et c’est tout.
Je trouve au contraire que c’est très bon signe que les nouveaux arrivants se sentent investis dans la vie locale. Toute critique est bonne à prendre, d’autant plus si ça vient d’un regard neuf.
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Merci de votre réaction. Le billet vous met mal à l’aise, ouf ! Les premières réactions enthousiastes m’avaient fait penser que j’étais le seul à trouver ça bizarre… Heureusement que nous sommes mal à l’aise d’en parler, surtout quand ça nous renvoie à nos propres comportements (je parle de moi et de certaines réponses que j’ai reçu sur Twitter).
Vous n’aimez pas l’opposition néo/vrais marseillais et vous avez raison, d’ailleurs, vous n’avez pas lu “vrais” marseillais dans le billet. Tout au plus, j’ai parlé de pratiques, de système, des marseillais dans leur ensemble ou “ceux qui les entourent”… Bref, ne voyez pas chez moi de certificats, je parlerais plus de postures. Je pense que tout le monde peut adopter la posture de néomarseillais que je décris. D’ailleurs, vous avez vu que je parle autant de gens venus que de gens revenus, ce qui sous-entend qu’ils étaient là avant. Entre nous, n’y a-t-il pas plus néomarseillais que celui qui revient de Paris, Londres ou Miami avec l’ambition de modeler Marseille à l’image de son exil ?
Vous dites que c’est un bon signe, je pense que ce n’est ni bon ou mauvais, c’est ainsi. Je pense observer beaucoup de bonnes intentions, de bonne volonté. J’observe aussi des résistances, autant du côté de K.Arkana que de la Gaudinie, pour des raisons qui sont surement aussi bonnes à leurs yeux.
Enfin, vous soulevez le problème de l’analogie avec l’Afrique et le fait que les gens s’installent ici et ne viennent pas en mission et là je n’ai pas de réponse. Effectivement, c’est différent, l’analogie est tirée par les cheveux. Ceci dit, ça ne change pas le fond de l’observation.
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