LA MÉMOIRE : DE L’HOMMAGE AU PROCÈS

Billet de blog
le 8 Nov 2020
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Deux ans après l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne

LA MÉMOIRE : DE L’HOMMAGE AU PROCÈS

 

Benoît Gilles, dans « Marsactu » du vendredi 6 novembre, nous a fait le récit de l’hommage qui a eu lieu rue d’Aubagne, à l’occasion de l’anniversaire de l’effondrement des immeubles qui se sont écroulés le 5 novembre 2018, entraînant la mort et la souffrance de leurs habitants, mais aussi, pour le quartier de Noailles, une blessure qui ne se refermera pas de sitôt.

 

L’hommage et le procès

Tout le quartier s’est donc réuni jeudi, le 5 novembre, pour rendre hommage aux victimes de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, mais aussi pour se rappeler, ensemble, la violence de l’événement et pour dire que le quartier tout entier s’est réuni dans l’expression d’une solidarité qui s’inscrit dans la durée. Cette manifestation de soutien, cette rencontre dans l’émotion et dans le souvenir, est une des formes multiples que va prendre ce que l’on peut déjà appeler le procès de la rue d’Aubagne. C’est qu’un procès ne saurait se réduire à une procédure judiciaire. Un procès, c’est, bien sûr, la parole des victimes et celle des témoins, l’identification des coupables et l’expression de leur défense, la décision des juges, mais c‘est beaucoup plus que cela. Un procès ne se tient pas seulement dans les lieux de l’institution judiciaire : un procès commence à se tenir le jour même de la survenue de l’événement qui en est l’objet. Un procès, c’est l’ensemble des échanges et des débats qui tentent de donner une signification à un événement, qui tentent, par les propos qui sont tenus, par les paroles qui sont dites, de rendre justice aux victimes de la violence jugée.

 

Faire le deuil

L’hommage de jeudi s’inscrit dans un ensemble de rituels, de gestes, de paroles, de scènes, qui sont appelés à permettre aux victimes de l’accident et à ceux qui, sans en être nécessairement victimes, en ont été témoins, de faire le deuil. Faire le deuil, c’est faire passer la mort de la violence au sens, c’est accepter que l’événement ait eu lieu en lui donnant une signification, en le comprenant, en le faisant passer de la dimension réelle de la violence de la souffrance à la dimension symbolique de la rationalité, c’est prendre vis-à-vis de l’événement la distance qui nous permet, non de nous y résigner, car on ne se résigne jamais, mais de lui faire face par des mots. Faire le deuil, c’est ainsi partager le souvenir de l’événement avec celles et ceux avec qui on parle, pour que le souvenir ne consiste plus seulement dans la violence singulière de la douleur, mais s’inscrive aussi dans l’échange avec les autres qui inscrit l’événement dans l’histoire, à la fois dans l’histoire de la famille et, en ce qui concerne la rue d’Aubagne, dans l’histoire de la ville.

L’hommage et le procès

Mais, si l’hommage est l’un des événements qui font partie du procès, c’est aussi parce que nous devons le situer dans l’ensemble des échanges et des débats qui constituent le procès. Le procès ne se réduit pas à la mise en œuvre des actes institutionnels prévus par la loi, mais il a aussi la dimension complexe d’un retour sur le passé pour le comprendre et pour identifier les coupables et la dimension politique d’un ensemble d’échanges destinés à ce qu’un tel événement ne se reproduise pas. Le retour sur le passé que constituent l’hommage et le procès est aussi destiné à contribuer à l’élaboration d’une nouvelle politique de la ville – d’autant plus que c’est une nouvelle municipalité qui est en charge de Marseille. Mais il importe d’aller plus loin : l’hommage aux victimes de la rue d’Aubagne a aussi une place essentielle dans l’ensemble des mesures destinées à permettre à Marseille de redevenir ce qu’elle ne doit pas cesser d’être : une métropole, c’est-à-dire un espace urbain porteur d’une identité située à la fois dans le passé de la mémoire, dans le présent de la politique et dans le futur du projet. L’autre signification de l’hommage et de la mémoire est de contribuer à fonder une véritable égalité entre tous ceux qui vivent dans la ville : il faut en finir avec les inégalités entre les quartiers, avec la division de la ville en une ville riche et une ville pauvre, et, en reconnaissant les inégalités dont ils ont été les victimes, l’hommage aux morts de la rue d’Aubagne a aussi ce rôle. Il n’a pas seulement la signification d’un rituel et d’une manifestation de solidarité : il a aussi la signification pleinement politique d’une reconnaissance des inégalités afin que la ville en soit enfin libérée.

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