LA HONTE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT
Un entrepreneur qui détournait l’argent de la solidarité pour son profit personnel a été mis en examen, puis placé en détention, pour escroquerie (« Marsactu » 22 septembre). Cela doit nous faire réfléchir sur l’urgence dans le logement.
Ce que l’on appelle « l’hébergement d’urgence » devrait ne pas exister, mais, s’il existe, il ne doit pas faire l’objet d’un marché, car c’est profiter de l’urgence de la détresse pour faire du profit sur le dos des déshérités et des précaires.
Qu’est-ce que l’urgence ?
L’urgence est une situation dans laquelle les lois ordinaires sont suspendues. Il n’y a plus de droit dans l’urgence : ce qui est nécessaire, c’est de manifester la solidarité des personnes ou celle des institutions. Dans l’urgence, on ne pense qu’à sauver, qu’à protéger, ou à se sauver, à se protéger. L’hébergement d’urgence est le logement conçu pour permettre à des personnes de faire face à des situations dans lesquelles elles ne pourraient pas se loger, dans lesquelles elles seraient forcées de vivre à la rue. De plus, nous sommes aux approches de l’hiver, ce qui rend la nécessité du logement encore plus urgente. Il doit donc exister des solutions permettant à celles et à ceux que l’on s’est mis à nommer couramment les « sans abri » de trouver un lieu dans lequel ils pourraient attendre la fin de l’urgence ou, au moins, son allègement. Soit dit en passant, il est frappant de noter que ce terme « sans abri », ait fini par entrer dans la langue comme s’il s’agissait d’une situation ordinaire, comme s’il était « normal » que des personnes vivent sans abri. C’est en ce sens que l’urgence ne devrait pas exister, car, s’il y a urgence, c’est que l’État ne remplit pas sa mission première, qui est de mettre fin aux situations dans lesquelles des personnes ne sont pas en mesure de faire face à la précarité et à l’insécurité dans lesquelles elles vivent. L’urgence est une situation à laquelle le rôle des politiques publiques est de mettre fin. Mais nous vivons dans un temps, dominé par le libéralisme, dans lequel, faute de lois et d’existence reconnue et légitime d’institutions assez fortes pour faire face aux menaces qui nous agressent, nous ne sommes plus protégés, un temps dans lequel l’État n’est plus là pour protéger et pour assurer l’égalité et la solidarité, et dans lequel ce sont des entreprises qui s’en chargent – moyennant, bien sûr, de pouvoir faire du profit grâce à cela.
L’hébergement d’urgence : une honte pour un pays riche
L’hébergement d’urgence est, ainsi, une sorte de réponse donnée par l’État, sous plusieurs formes – communes, collectivités locales, institutions nationales, à la détresse des personnes qui vivent à la rue, parce qu’elles ont été chassées de leur pays, parce qu’elles vivent dans l’incertitude ou la précarité, parce qu’elles n’ont pas les moyens de se trouver un logement décent. Pour mener à bien ces missions, l’État peut s’associer à d’autres acteurs qui ne sont pas là pour faire du profit, comme les associations de solidarité. Mais l’urgence n’est pas un véritable temps : l’urgence est une attente : il s’agit d’un moment au cours duquel le temps est comme suspendu. En situation d’urgence, qu’il s’agisse d’urgence médicale, d’urgence sociale ou d’urgence économique, on sait à quoi l’on tente d’échapper, mais on ne sait pas de quoi demain sera fait. L’hébergement d’urgence est censé donner les moyens d’affronter des situations dans lesquelles on est dehors, dans lesquelles on ne connaît pas de logement fixe, dans lesquelles on ne demeure nulle part, parce qu’on ne peut pas, justement, demeurer, rester dans un espace fixe. Mais l’urgence qui est, ainsi, un symptôme de détresse sociale, est une honte pour un pays comme le nôtre. Les pouvoirs et les institutions devraient assurer leurs fonctions, celles de la solidarité et de la prévention des souffrances, des maladies, de l’insécurité sociale. C’est, d’ailleurs, pour cela que l’on a imaginé la sécurité sociale. Mais la persistance de situations d’urgence manifeste l’incapacité de l’État à remplir ses missions, ou sa détermination à les ignorer.
L’urgence dans le logement : un échec de la politique de la ville
Les « marchands de sommeil » existent depuis longtemps. Plus exactement, ils existent depuis qu’il est devenu nécessaire pour certains en situation d’urgence, « d’acheter leur sommeil », de consentir à payer pour pouvoir dormir et habiter dans des lieux dans lesquels ils sont protégés. Mais s’il existe de telles urgences dans le logement, c’est que la politique de la ville a échoué, c’est que la ville est devenue un domaine dans lequel l’État a été incapable de remplir les missions de la société. La nécessité urgente de trouver un logement montre que la société a été incapable de prévoir des situations de difficulté à se loger ou qu’elle a laissé le marché régner, par son absence de loi, sur le domaine du logement. C’est aussi en ce sens que la nécessité d’un hébergement d’urgence manifeste un échec de la politique de la ville : elle est le signe que le politique a abandonné le pouvoir en le laissant au marché et, en particulier, a laissé prospérer des hors la loi que sont les marchands de sommeil, ceux qui fondent leur prospérité sur l’urgence dans laquelle se trouvent d’autres.
L’exigence de la solidarité fonde le politique
C’est bien là que l’on peut comprendre la nécessité du politique : c’est la médiation politique, la relation entre le singulier et le collectif, qui permet de faire face aux menaces de l’urgence. C’est par la solidarité que s’exprime le politique en nous permettant de faire face à l’urgence et en nous libérant de l’emprise du marché. Si, même en plein centre de Marseille, il existe des hébergements d’urgence, c’est à la municipalité, l’acteur local de l’État, d’agir, en relation avec les associations qui ont été conçues pour cela, pour mettre fin à la situation d’urgence et pour empêcher les marchands de sommeil de continuer à faire leurs profits sur le dos des personnes emprisonnées dans ces situations. C’est bien dans cette exigence de solidarité que l’on distingue une municipalité de gauche et une municipalité de droite : la gauche donne sa place à la solidarité dans le politique et empêche le profit pour mettre en œuvre une véritable politique de la ville : une action qui permet à la ville de ne plus être un espace de marché pour redevenir un espace politique. Mais ne nous leurrons pas : l’urgence est particulièrement aiguë dans une ville comme Marseille, où l’on se trouve face à chaque coin de rue à la pauvreté, à la précarité, à l’absence d’abri. Sans doute est-ce pourquoi la mise en œuvre d’une véritable politique de solidarité devrait être le cœur d’une politique de gauche. Mais la solidarité ne doit pas se confondre avec l’aumône. La solidarité se manifeste, certes, dans l’aide à des personnes dans l’urgence, mais elle s’exprime aussi dans le temps long : dans une politique d’urbanisme qui en finisse avec la violence de la précarité qui frappe celles et ceux qui habitent notre ville en aménageant mieux l’espace urbain.
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