LA CRISE DU COMMERCE AU CENTRE DE MARSEILLE
Dans « Marsactu », mardi dernier, Marie Lagache a présenté une étude de la Chambre de commerce sur l’état du commerce dans le centre-ville de Marseille. Cette étude, publiée récemment, conclut à une situation certes préoccupante, mais non critique - surtout à une situation qui est celle d’un grand nombre de centres-villes en France, mais aussi, sans doute, dans d’autres pays. La première partie de notre chronique sera consacrée à l’histoire.
Marseille, une ville née des échanges par la mer
Il y a 2600 ans, l’histoire est maintenant connue, des Grecs venus de Phocée découvrent le Lacydon et fondent Massalia. Mais ils n’étaient pas venus par hasard : ils étaient là pour échanger. C’est ainsi l’union de la mer et du commerce qui fonde la ville. En même temps, Marseille se bâtit sur l’union de l’Est et de l’Ouest de l’Europe, elle s’institue, dès sa naissance, comme une ville d’échange et de dialogue entre plusieurs mondes, entre plusieurs cultures. Mais l’important, pour notre propos, c’est qu’en se construisant le long du Lacydon et autour de lui, Marseille se construit autour de la mer, c’est, dès le début, la mer qui aménage Marseille, à la fois en lui donnant sa forme et en construisant ses échanges et ses métiers : c’est comme si la mer donnait à la ville son corps et son esprit, en concevant son identité.
La forme originelle de la ville
Le Lacydon, fragment de mer, donne ainsi sa forme à la Marseille, il en dessine le plan, car la ville se construit sur ses bords. La mer n’est pas que le bord de la ville, elle devient véritablement son noyau urbain. Par la légende de sa fondation et le mythe de la rencontre de Protis et de Gyptis, la mer donne son identité à la ville, car c’est toujours le rôle des mythes : en se racontant et en se transmettant d’une génération à l’autre, ils donnent à leur peuple l’identité qui le fonde comme nation. Le Lacydon n’est, ainsi, pas seulement le lieu où naît Marseille, il lui donne la vérité de son histoire, celle des échanges et de la mer.
Le commerce de la mer au Moyen Âge
À partir du XIIème siècle, un commerce moderne va naître à Marseille, qui devient ce qu’A. dell’Umbria nomme « la porte de l’Orient ». Nous sommes au temps des Croisades, et Marseille s’impose comme le port français de la Méditerranée. Cette naissance de l’identité politique fondée sur les échanges avec ce qui devient peu à peu cette partie du monde difficile et violente que l’on appellera le « Proche-Orient » donne à Marseille le statut d’une cité autonome de « fondougues » (les fondouks dans les langues arabes), les marchés orientaux où se met en œuvre le commerce qui devient pour toujours l’activité de Marseille. Les négociants deviennent, peu à peu, les dirigeants de la ville.
Au seizième siècle, le commerce issu de la mer prend le pouvoir sur la ville
C’est ainsi que l’époque qui prendra le nom de « Renaissance » sera celle qui donnera pleinement le pouvoir politique sur la ville aux formes modernes du commerce issu de la mer. Durant de 1529 à 1589, le château d’If devient la construction qui, à l’entrée du port, sera l’outil de l’État pour contrôler Marseille, pour la surveiller aussi. Mais c’est aussi l’époque où, devenus de plus en plus riches et de plus en plus puissants, les marchands de Marseille donnent à la ville assez de pouvoir pour s’affronter au pouvoir central. L’histoire de Marseille devient, dès lors, celle d’une confrontation ininterrompue avec le pouvoir central français, comme en témoignent le fort Saint-Jean au Nord et le fort Saint-Nicolas au Sud, qui enserrent la ville dans une sorte de ceinture de pierre imposée par le contrôle royal.
Colbert, la mer et le centralisme
Mais le contrôle ne sera pas seulement politique : il sera aussi économique. Pour Marseille, le dix-septième siècle ne sera pas tant celui de Louis XIV que celui de Colbert. Le pouvoir va développer Marseille, son port et son commerce pour donner à la ville une configuration fondée à la fois sur le commerce, les lieux des échanges et les espaces des marchés, et sur le droit et l’administration, les lieux et les fonctions du contrôle et de l’État. C’est qu’il n’est pas question de revenir au temps des franchises et de l’indépendance économique et commerciale de Marseille : la mer n’est plus seulement l’espace de la ville et de ses entreprises, elle devient l’espace du pouvoir central. Paris conquiert et contrôle la mer de Marseille.
L’Arsenal des galères a façonné le Sud de la ville
Pour être sûr de bien asseoir son pouvoir, l’État construit pour la construction et l’entretien des galères, au temps de Louis XIV et de Colbert, un arsenal destiné à la guerre sur la Méditerranée : la mer n’est plus seulement un espace de pouvoir, mais elle devient un espace de confrontation entre les pouvoirs et entre les pays pour la souveraineté. Au temps de l’Arsenal, la géopolitique fait son entrée à Marseille. L’Arsenal devient aussi le point où la rive Sud du Lacydon se développe et agrandit la ville en lui donnant de nouveaux quartiers, un nouvel urbanisme. Cet urbanisme va durer bien au-delà de la vie de l’Arsenal, puisque c’est toujours lui qui donne sa configuration au quartier qui se situe entre le quai, le cours Jean-Ballard et le cours d’Estienne d’Orves, une sorte d’îlot urbain conservant sa forme dans l’inconscient maritime de la ville. Autour de cet îlot urbain se trouvait jusqu’à son comblement en 1923 un petit canal, bordé par un quai, le quai du Canal.
La rupture : le port de la Joliette
Au XIXème siècle, le port, devenu trop petit pour accueillir la navigation des bateaux désormais immenses, va devenir le « Vieux-Port » et le port véritable du commerce et des voyageurs va être aménagé à la Joliette. C’est toute la ville qui va, ainsi, connaître un nouveau plan. C’est pourquoi l’aménagement de la Joliette constitue une rupture. La mer continue à donner sa forme à l’urbanisme de Marseille en donnant naissance au port du commerce devenu aussi celui des voyageurs, mais également en donnant à la ville la configuration des rues et des immeubles de ce temps, qui va durer jusqu’au temps de l’haussmanisation sous l’influence du préfet de la Seine Haussmann qui, au temps de Napoléon III, donne leur forme aux villes modernes de ce temps en France. En réalité, ce n’est pas seulement Haussmann qui imagine cet urbanisme nouveau, car ce sont toutes les villes du monde qui découvrent ces grands immeubles dans lesquels nous continuons à habiter et ces rues dans lesquelles nous continuons à circuler : le plan contemporain des villes se construit au temps de la Joliette.
La mer et l’industrialisation
En même temps que naît le port de la Joliette, Marseille va connaître l’industrialisation, dans laquelle la mer va jouer un grand rôle. À la fois parce qu’il faut bien construire des bateaux et parce que les bateaux vont apporter en France de nouveaux matériaux, mais aussi parce que l’industrialisation fait découvrir à tous nos pays de nouveaux marchés et de nouvelles activités financières, la Bourse se construit à Marseille, les banques s’y installent, et un nouvel « urbanisme des affaires » donne de nouveaux traits à la ville et à son urbanisme. La mer va ainsi, faire découvrir à Marseille les activités qui font d’elle une grande ville, dans le domaine du transport mais aussi dans celui des grandes entreprises et dans celui de la culture et des spectacles. Ainsi, indirectement, peut-on dire qu’à Marseille, la mer fait naître les lieux encore vivants du théâtre et de la musique.
Une nouvelle Méditerranée
À cette époque, une nouvelle Méditerranée commence à se façonner en connaissant la colonisation et en nous faisant découvrir de nouvelles nations, de nouveaux pays, avec lesquels les échanges vont habiter Marseille, qui, ainsi, se transforme, peu à peu en une ville de migrations. Ce ne sont plus seulement les biens qui se déplacent à partir de Marseille ou en y arrivant, ce sont aussi les femmes et les hommes. La mer transforme aussi la population de Marseille en un véritable orchestre d’habitants qui parlent toutes sortes de langues dans la ville, qui la peuplent de nouvelles cultures dialoguant entre elles et enrichissant Marseille de toutes sortes d’échanges. La mer va ainsi faire de Marseille une capitale culturelle et un espace de relations entre tous les pays de cette Méditerranée nouvelle qui s’imagine et se construit au XIXème siècle, notamment à partir des travaux de Lesseps et de l’ouverture du canal de Suez qui fait se rencontrer à Marseille l’Ouest et l’Est de l’Europe et du monde. Cette nouvelle Méditerranée est celle de l’ouverture et des échanges.
La mer et la métropolisation de Marseille
En devenant, grâce à la mer, une véritable grande ville contemporaine, Marseille devient une métropole. La ville change de rôle, son identité se transforme et Marseille devient la ville que nous connaissons de nos jours, une « ville-mère », ce qui est le sens du mot grec « métropole ». Ce que l’on pourrait appeler la métropolisation de la mer va accroître ce qui a toujours été le rôle de Marseille et celui qui lui a, depuis toujours, donné sa place : celui d’une porte entre l’Orient de la Méditerranée et son Occident. Par la métropolisation, la mer fait de Marseille une ville du monde et une « ville-monde ». Cela lui donne sa richesse, mais aussi sa fragilité,. C’est pourquoi il importe que se poursuivent les échanges entre les peuples de la mer, et qu’ils se renforcent au lieu de se soumettre aux aléas des guerres et des migrations. Devenir une métropole méditerranéenne donne à Marseille une importance qu’elle n’a pas toujours la force d’assumer, ces échanges apportent avec eux une violence et une précarité sociale et économique qui font de Marseille un colosse dont les pieds se révèlent parfois d’argile. C’est au peuple de la ville, à celles et à ceux qui y vivent, de donner une véritable puissance au colosse. C’est ainsi que la crise contemporaine du commerce à Marseille trouve son origine et ses causes dans le temps long de la ville.
Une grande partie des informations qui nourrissent cette chronique ont été puisées dans le livre très riche d’Alèssi Dell’Umbria, « Histoire universelle de Marseille » (Éditions Agone, 2006) et dans le « Dictionnaire historique des rues de Marseille », d’Adrien Blès (Éditions Jeanne Laffitte, 2001).
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