La Canebière capturée par le téléphone d’Eric Pringels

Billet de blog
par Lagachon
le 3 Nov 2015
5

Eric Pringels est un créatif touche-à-tout, un membre prolifique d’instagram et également un ami. Depuis près de deux mois, il poste tous les jours des photos “en remontant la Canebière” qui ont attiré mon attention. Ces instants en noir et blanc font revivre le mythe de la Canebière, promenade où l’on se faisait aussi tirer le portrait. Loin des discours convenus sur le lustre d’antan ou la “tristesse” de la rue, la série d’Eric montre une rue pleine de lumière, de tronches, d’abus, de stress… pleine de vie ! Une vie d’aujourd’hui, en miroir des clichés du siècle dernier. Pour en savoir plus, j’ai pris un café avec lui et nous avons regardé passer les gens… sur la Canebière évidemment !

Nous nous sommes retrouvés au café tabac tout en bas, “une des rares terrasses ! Il y a plus de banques que de terrasses” me fait remarquer Eric. Il m’explique qu’il est “tombé là-dessus”, sur cette rue et sur ces gens qu’il a commencé à regarder et à photographier. “100% citadin, pas de bagnole”, il connait bien la Canebière qu’il arpente tous les jours, c’est vrai qu’il avait plus l’habitude de photographier des culs de camions, des affiches électorales ou des panneaux de circulation. La liberté et la discrétion du smartphone lui permettent d’aller plus près et de faire ce qu’il n’avait jamais osé faire : s’approcher des gens et photographier des tronches.

Et des tronches, il y en a sur la Canebière ! C’est une des choses qui me fascine le plus dans cette série (sans doute mon côté voyeur, j’adore observer les gens !). Eric me parle de visages crispés, de stress, d’histoire d’amour, de groupes de copines… il évoque Martin Parr et son humour qui l’inspire forcément. “Il y a ce look marseillais inimitable”, un peu plus, un peu trop, débridé ou caché… Et les touristes ! Les hôtels flottants déversent en ville des tas de personnages qui viennent compléter le patchwork. Alors que nous parlons, quatre asiatiques avec des chapeaux fluo à strass et des sacs à dos nous passent devant “Oh putain, et eux non !”. Plus tard ce sera une dame âgée bien apprêtée avec bouquet de fleur et sac noir très élégant serré par des ongles rouge vif.

Des tronches donc, mais aussi de la lumière. La Canebière a cette particularité d’être inondée de lumière toutes les fins d’après-midi / début de soirée en fonction de la saison, il suffit alors au promeneur-photographe de remonter l’artère smartphone à la main et de saisir ces visages éblouis au vol. La lumière et la contre-plongée donnent une certaine fierté aux expressions. Et puis il y a ce côté grave, surexposé, les traits creusés qu’il accentue au moment du traitement qu’offre l’application en poussant les contrastes pour que “ça dramatise l’image”.

Voilà pour le style de ces photos, ce qui m’a séduit au premier coup d’œil, en scrollant sur l’appli il y a presque deux mois. Mais plus il continuait et plus cette série m’évoquait d’autres choses. Passé la première impression purement esthétique (j’aime regarder les gens, j’aime la lumière et les photos en N&B), j’y ai vu un miroir de MA Canebière, tout en multipliant les clin d’œil à son mythe.

Cette série en cours montre la Canebière telle que je la pratique aujourd’hui. Elle exhibe son mélange mais aussi le stress de certains face à la décontraction d’autres. On n’est pas dans une représentation idyllique et le noir et blanc donne un côté gangsta, grave (on y revient), triste qui fait aussi partie de la réalité de cette rue. Pendant que nous prenons le café, il me parle de la mendicité, de la prostitution, de ces gens qui sont là, postés, sans que l’on sache ce qu’ils font.

A l’inverse, ces photos donnent aussi à voir le formidable mouvement d’une rue qui reste un point de passage pour de nombreux marseillais. La plupart déambulent, passent pour aller ailleurs, arrivent de rues adjacentes, rejoignent une des trois stations de métros (et oui, trois). Si j’extrapole ce que m’a dit Eric, les sacs de la Canebière disent beaucoup sur les quartiers que la rue tangente : les sacs à dos racontent le tourisme du vieux-port qui s’aventure jusqu’à Noailles, le sac de shopping chic de Paradis, St Fé et le Centre Bourse montrent la place persistante du commerces malgré ce que l’on entend partout, le sac plastique du marché de Noailles comme un stigmate que certains aimeraient cacher, et plus haut ? Les étudiants, les prostituées, les bobos, le petit sac brillant en tissus bio d’un étudiant bobo se prostituant ? C’est encore plus flou mais le travail n’est pas fini.

Et puis, à un moment où on se pose beaucoup de questions sur l’état et le devenir de la Canebière, cette série de photo fait lien entre plusieurs époques même si Eric n’en avait pas forcément l’intention, c’est ce que moi j’y vois. Elle reprend du passé l’idée de déambulation, et de ces gens qui n’étaient pas peu fiers d’aller se faire tirer le portrait en habits du dimanche.

Pensez-en ce que vous voulez, mais je ne peux m’empêcher d’y voir une continuité même si les gens ne sont plus endimanchés, la rue est toujours là avec sa lumière, ses bâtiments et ses tronches ! Elle reprend tout ça du passé mais le montre aujourd’hui, sans l’odeur de naphtaline des ayatollah du lustre d’antan. On est dans la réinterprétation autour du Marseille d’aujourd’hui, de la réalité de cette rue en 2015 ! Et puis, cette série montre que malgré tout ce que l’on entend, la Canebière reste un lieu de vie, un lieu où l’on passe, mais aussi un lieu qui inspire. La lumière, la densité et le mélange sont les trois facteurs qui la rendent intéressante pour Eric qui a débordé sur les rues adjacentes, et même à Toulon et en Belgique, mais apparemment “c’est pas pareil”.

“La Canebière, c’est un sujet en soi” me dit-il au milieu de notre conversation. Un sujet en soir ? Et si c’était elle que j’admirais derrière tous ces gens ? Ces quelques centaines de mètres, la vraie tronche de Marseille, éblouie par le soleil, grave, stressée mais pleine de vie…

Commentaires

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  1. <a href=Michéa Jacobi" src="https://secure.gravatar.com/avatar/?s=96&d=mm&r=g" class="avatar avatar-50 photo" width="50" height="50"> Michéa Jacobi

    FORMID’

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  2. <a href=Doog Mc Hell" src="https://secure.gravatar.com/avatar/?s=96&d=mm&r=g" class="avatar avatar-50 photo" width="50" height="50"> Doog Mc Hell

    De belles tronches de vies.
    On souhaiterait en voire plus.

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  3. De Coen Jean Louis De Coen Jean Louis

    Super, toujours aussi actif et qualitatif.

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  4. nrogier nrogier

    Je trouve intéressant l’angle d’attaque visant à revisiter cette Canebière (que je dévale et remonte moi aussi presque tous les jours) qui ne peut laisser personne fatalement indifférent. Le côté bruyant, bouillonnant et étourdissant de chassé-croisés anarchiques qui rayent l’avenue ne parviennent pourtant pas chez moi à l’aimer véritablement.

    La posture admirative et un peu romantique du photographe qui produit de superbes cliché en noir et blanc, cela ne fait aucun doute, ne peut franchement pas faire croire à une renaissance du mythe Canebière. C’est plutôt l’avenue de la désespérance qui se promène au bras d’une société assez monolithique, plutôt désoeuvrée, qui se vide à la tombée de la nuit et s’évanouit dans une superbe torpeur.

    Mais il est vrai que la lumière du miel qui la recouvre parfois à la tombée du soleil peut faire vaciller les coeurs de Chine.

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