LA BELLE ENDORMIE
Le moins que l’on puisse dire est qu’à Marseille, l’entretien des rues laisse à désirer : poubelles non vidées, sacs d’ordures non ramassés, trottoirs sales et remplis de papiers jetés, tout cela est le paysage urbain marseillais. Il serait temps de se poser des questions et d’apporter les bonnes réponses.
L’espace public
L’espace public, celui dans lequel les gens circulent ou, parfois, se rencontrent et ses réunissent, est, par définition, l’espace du peuple, celui dans lequel le peuple se retrouve. Mais, au-delà, il manifeste l’identité de la ville, ce qu’elle est est pour celles et ceux qui y habitent et pour celles et ceux qui y voyagent. C’est ainsi que l’espace public n’est pas seulement, comme le disait J. Habermas dans le livre qui porte ce nom, paru en 1963, l’espace du débat, de la politique, des confrontation, mais il est aussi, tout simplement, l’espace de la ville qui est à tout le monde, dans lequel nous déambulons, nous circulons. C’est pourquoi il doit être bien entretenu, à la fois pour que nous prenions plaisir à le parcourir et parce qu’il nous renvoie l’image de la société urbaine à laquelle nous appartenons. C’est dans l’espace public que nous retrouvons l’image de nous-mêmes, habitant la ville dans ces espaces communs, et, pour cela, il importe de ne pas réduire les exigences urbaines au tourisme et à l’entretien des quartiers riches.
Hygiène et propreté
C’est ainsi qu’il importe de nous rappeler que c’est l’espace public qui exprime la ville. Or la ville est comme un corps humain : elle repose sur une santé qui repose sur l’hygiène et sur la propreté. L’hygiène et la propreté des lieux de la ville, en particulier, justement, de l’espace public, des rues et des places, permet à ce corps de la ville qui est le nôtre de vivre, de respirer, d’échapper aux divers maux qui peuvent affecter une ville. Dans le beau livre qu’il consacre à un récit d’événements qui se déroulent pendant la grande peste de Marseille de 1720, « L’or et la soie », Raymond Jean montre bien que c’est la santé qui permet à la ville de vivre, tandis que la maladie la fait mourir. C’est pourquoi il est important pour le corps de la ville d’être porteur de l’hygiène et de la propreté.
Mais, en même temps, la propreté marque l’estime que l’on porte à un lieu ou à un aménagement. Il ne s’agit pas seulement d’hygiène et de santé, mais l’entretien des rues et des lieux de la ville montre l’estime qu’on lui porte et qu’on porte à ses habitants. Une ville sale est une ville qui n’est pas tenue en estime par les décideurs et par les pouvoirs. C’est pourquoi le souci de la propreté est une urgence pour Marseille, car, si l’entretien de ses rues et de son espace public ne fait pas l’objet d’une attention soutenue de ses pouvoirs, cela signifie qu’au fond, ils la méprisent.
La métropole et la politique de la ville
Habiter la ville, c’est se retrouver dans son espace. C’est pourquoi la politique de la ville ne se limite pas aux institutions, mais permet à celles et à ceux qui y vivent de l’habiter pleinement, en s’y reconnaissant, en y retrouvent l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. C’est pourquoi la politique de la ville exprime les projets d’habitat portés par les pouvoirs qui, eux-mêmes, manifestent chaque jour, au quotidien, leurs conceptions de la vie urbaine et le souci qu’ils portent aux habitantes et aux habitants. Or, à Marseille, la politique de la ville est marquée par une confrontation incessante entre la ville et la métropole. Peut-être l’absence d’entretien des espaces municipaux, alors qu’il s’agit d’une mission de la métropole, a-t-elle pour rôle de signifier le rejet – voire le mépris – de la métropole pour la ville de Marseille. La négligence de l’entretien des rues reflète, finalement, la division des pouvoirs et la confrontation entre les autorités responsables de la ville, car elle reflète l’abandon de la politique de la ville, par la métropole parce que tout ce qui l’intéresse, aujourd’hui, ce sont les quartiers aisés, sur lesquels repose son pouvoir, et par la ville car la municipalité ne dispose pas des pouvoirs qui lui permettraient d’agir pleinement sur la politique de l’entretien.
Les insuffisances de la métropole
Ces insuffisances de la métropole dans le domaine de l’entretien des rues manifeste aussi, sans doute, tout simplement, une incompétence, une absence de réel projet. Si la dégradation des rues manifeste, en termes politiques, les incidences du conflit entre les pouvoirs, il s’agit aussi, plus prosaïquement, d’une véritable incompétence. Les autorités métropolitaines n’ont pas d’acteurs assez qualifiés et assez compétents pour assumer pleinement les responsabilités de l’entretien des espaces publics de la ville. Mais ces insuffisances dans le domaine de l’entretien des rues manifestent aussi une profonde inégalité entre les quartiers. Tous les quartiers de Marseille ne présentent pas les mêmes caractéristiques d’hygiène et de propreté des rues. Les rues des quartiers Nord ou du quartier du cours Belsunce, celles du quartier de la Plaine et celles du quartier de l’avenue du Prado ne sont pas entretenues et nettoyées de la même façon. C’est bien aussi pourquoi la question de la propreté et de l’entretien est aussi une question politique. Sans doute la métropole n’est-elle pas aussi insuffisante pour certains habitants que pour d’autres.
Le quotidien aussi est politique
Ce débat sur la propreté nous rappelle que le politique ne se limite pas aux idées, aux engagements et aux partis : il s’exprime aussi dans le quotidien, en l’occurrence dans l’hygiène et l’esthétique des rues. L’abandon par la métropole de l’exercice de ses responsabilités traduit l’insuffisance des préoccupations de ses dirigeants dans le domaine de la vie quotidienne des habitantes et des habitants de la ville. Or, c’est dans son quotidien qu’une société comme celle d’une ville se reconnaît, retrouve les expressions de son identité. C’est dire l’urgence que revêt, à Marseille, la préoccupation de l’espace dans lequel vivent celles et ceux qui y habitent, et dans tous les quartiers. C’est ainsi que, finalement, nous parlons ici d’une écologie politique de la ville. L’écologie est la rationalité politique de l’espace, de ses usages, de ses aménagements, de la qualité des paysages urbains que l’on offre à celles et à ceux qui habitent la ville ou à celles et à ceux qui ne font qu’y passer. L’écologie, en réalité, n’est que l’expression quotidienne des politiques de l’espace. C’est pourquoi, en retrouvant la qualité de l’environnement de leur espace public, celles et ceux qui habitent la ville et la métropole peuvent trouver des raisons écologiques d’y vivre.
Une écologie urbaine à repenser
Le problème de l’entretien de la rue va bien au-delà des déchets mal ramassés. Cela n’est qu’un symptôme de l’abandon de l’espace urbain par celles et ceux qui y vivent et par les décideurs. Cette écologie urbaine à imaginer commence par les immeubles à ravaler et à entretenir. Il y a, ainsi, rue de Lodi, près de Notre-Dame du Mont, une rangée d’immeubles qui pourraient être magnifiques s’ils étaient convenablement ravalés et entretenus. Toute une exigence est née dans les villes françaises dans les années soixante, et elle a rajeuni les villes en leur donnant un nouveau visage. C’est ce visage rajeuni dont Marseille a besoin. Le nécessités de certaines urgences de relogement dans les années soixante, mais aussi une politique de petits profits pour les entrepreneurs ont conduit à miter l’espace de la ville avec des immeubles neufs construits n’importe comment et n’importe où, ce qui a contribué à enlaidir le paysage urbain et à faire oublier à la ville d’avoir de véritables exigences écologiques, dans le domaine de l’urbanisme et dans celui de l’architecture. C’est ainsi que la ville s’est endormie sur un passé qui fut glorieux. Il est temps pour Marseille de se réveiller et d’éprouver un véritable désir de ville.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Commentaires
0 commentaire(s)
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.