Halte au saccage du métro de Marseille !

Tribune
le 31 Oct 2025
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"Marseillaises et Marseillais, sauvegardons notre patrimoine commun !" C'est l'appel lancé par l’Université HLM (hors les murs) de Marseillologie, qui signe cette tribune, parue ce 31 octobre dans La Marseillaise en version courte et que Marsactu publie en intégralité.

Le saccage a démarré à la station Saint-Charles en 2023. Il s’est poursuivi à la Joliette en 2024, puis à Noailles et Estrangin-Préfecture cette année. Les stations du métro de Marseille font actuellement l’objet d’un programme de rénovation d’ampleur, censé accompagner l’automatisation des rames prévue pour 2026. Porté par la RTM et la métropole Aix-Marseille-Provence, le plan “Rénov’Stations” accorde des financements inédits pour la “modernisation” du métro. Ce programme entraîne la disparition progressive des œuvres qui ornaient depuis près d’un demi-siècle les stations du réseau : les décors, les mosaïques et les tôles émaillées qui font tout le charme du métro marseillais sont remplacés par des revêtements de pauvre qualité, uniformes et salissants.

UN PATRIMOINE DU XXᵉ SIÈCLE EN COURS D’EFFACEMENT

Réalisées pour la plupart entre 1977 et 1986 par des tandems associant artistes et architectes, les stations du métro de Marseille ont des qualités spatiales et une esthétique véritablement uniques. Chaque station a été décorée en référence à l’histoire et à l’identité du quartier desservi, et chacune avait sa couleur dominante, permettant au voyageur distrait de se repérer en un clin d’œil durant son voyage. Depuis 2023, pourtant, le plan “Rénov’Stations” prend le parti opposé de cette écriture iconique. Dans le but “d’améliorer le confort, la luminosité et le sentiment de sécurité des voyageurs”, la RTM et la métropole organisent une aseptisation des stations et des rames, qualifiée de “relooking” pour un métro jugé ringard, vétuste et sulfureux.

Sous couvert de modernisation, ce projet occulte la destruction du métro et de son patrimoine ; il uniformise et enlaidit les stations. Le fin travail des ambiances lumineuses qui existait jusqu’alors est remplacé par des bandes de led d’une blancheur éblouissante. Cumulé à l’installation de portiques anti-fraude très coûteux et qui parviennent toujours à être détournés, “Rénov’ Stations” opte pour une apparence du tout sécuritaire à travers un projet cosmétique inefficace, qui ne propose aucune vision ambitieuse digne du potentiel qu’offre le métro de Marseille comme lieu d’expression plastique, mémoriel et patrimonial de la culture marseillaise.

Ce coup de peinture fait à la hâte trouve déjà ses limites, comme l’illustrent les fuites dans la station Saint-Charles qui ont abîmé le nouveau plafond, ou bien les parois glissantes mal raccordées qui salissent rapidement et confèrent une ambiance d’hôpital aliénante et anxiogène. Cette uniformisation produit le contraire de l’objectif recherché en produisant des espaces illisibles. On rate sa station, car tout se ressemble, il n’y a plus aucun repère ou séquençage qui égaye l’expérience de l’usager.

DES ŒUVRES LÉGALEMENT PROTÉGÉES MAIS BAFOUÉES

Les décors des stations historiques relèvent pourtant du patrimoine architectural et artistique du XXᵉ siècle, reconnu par le droit français comme partie intégrante du patrimoine culturel (1). Ils sont également protégés, au titre de la propriété intellectuelle, en tant qu’œuvres de l’esprit relevant de la création architecturale et plastique (2). Leur altération ou destruction sans étude préalable ni concertation porte atteinte à ce double statut patrimonial et moral.

Au-delà du cadre juridique, cette situation contrevient à l’esprit de la Convention de Faro (3), signée par la Ville de Marseille, qui affirme le droit des citoyens à participer à la reconnaissance et à la valorisation du patrimoine culturel comme élément de la mémoire collective. Aujourd’hui, ce patrimoine du quotidien est en train de disparaître dans l’indifférence générale. C’est pourquoi l’Université HLM (hors les murs) de Marseillologie a organisé une balade de sensibilisation lors des Journées nationales de l’architecture le 19 octobre 2025, et lancé une pétition pour stopper le démantèlement en cours.

UNE IMAGE MARCHANDABLE DE LA VILLE QUI IGNORE SON HISTOIRE

Ce programme de rénovation opaque pose des questions alarmantes. Que vont devenir les œuvres déposées sans aucune annonce préalable comme les fresques gravées sur tôle émaillée d’Albert Jaubert à la Joliette intitulées Les Ports, qui ont tout simplement disparu ? Le choix des nouvelles œuvres installées dans le métro n’a rien d’anodin : il efface certains pans de l’histoire populaire et des luttes de Marseille comme son passé ouvrier et portuaire avec la fresque Les Ports, remplacée par une grande photographie du quartier Euroméditeranée, véhiculant une histoire lissée, plus conventionnelle, marchandable, de la ville.

Ce projet révèle encore une fois la fragilité du patrimoine artistique et architectural à Marseille. Il est dommage, dans la plus vieille ville de France, que le patrimoine soit si peu considéré et perpétuellement détruit. Ici, rien ne tient bien longtemps et tout peut disparaître sous l’action d’individus peu visionnaires. “Rénov’Stations” souligne tristement l’absence de transparence des institutions, qui n’intègrent pas les publics aux débats sur l’état et le devenir des lieux qu’ils pratiquent au quotidien.

PRENONS LA PAROLE SUR NOTRE MÉTRO

Prochainement, ce sont les stations Castellane et Désirée-Clary qui vont faire l’objet du lifting destructeur de “Rénov’Stations”. Quand allons-nous nous mobiliser pour défendre notre patrimoine commun ?

Il est temps d’ouvrir un débat public sur ce que doit être le métro du XXI e siècle. Plus qu’un simple outil de mobilité, il est un commun dont nous devons nous emparer. Dénonçons collectivement cette modernité rétrograde, et retrouvons l’enthousiasme et l’avant-garde qui faisaient l’essence du métro de Marseille à son inauguration. Ce chemin est possible, des projets de métros ambitieux existent partout : Munich, Naples, Glasgow, Londres, ou le Grand Paris Express. Alors, pourquoi pas Marseille ? Le temps est venu de nous rassembler pour construire la suite de l’histoire de notre métro !

 

(1) Code du patrimoine, Livre VI – Patrimoine architectural, art. L.650-1 et suivants
(2) Code de la propriété intellectuelle, art. L.111-1 à L.121-1 (droit moral des auteurs)
(3) Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, dite Convention de Faro (2005), art. 4 et 12.

 

Par Liam McCORLEY et Sandro PISCOPO de l’Université HLM (hors les murs) de Marseillologie

Cosignataires :
François AVEROUS (architecte), Alain BARLATIER (documentariste), Pascale BARTOLI (architecte), Joël BARTOLOMEO (artiste), Arthur BATTESTI (architecte), Mariam BENBAKKAR (artiste), Claire BENIT-GBAFFOU (urbaniste), Jean-Daniel BERCLAZ (artiste), Aurore BIZE (artiste), Julien BLAINE (poète), René BORRUEY (historien), Jean-Noël BRET (historien de l’art), Christine BRETON (conservatrice du patrimoine), Guillaume CALAS (architecte), Roland CARTA (architecte), Clément CHAFFAIE (architecte), Jean-Marc CHANCEL (architecte), Julie DE MUER (guide urbaine), Sylvie DENOIX (historienne), Anke DOBERAUER (artiste), Paul DOMELA (curateur), Elisabeth DORIER (géographe), Thierry DUROUSSEAU (architecte), Mary FITZGERALD (journaliste), Anne-Valérie GASC (artiste), Teodoro GILABERT (écrivain), Milan GIRAUD (artiste), Benoît GUILLAUME (illustrateur), Stéphane HERPIN (architecte), Pierre-Alain HUBERT (artiste), Albert JAUBERT (artiste), André JOLLIVET (architecte), Baptiste LANASPEZE (éditeur), Carole LENOBLE (architecte), Sylvain MAESTRAGGI (auteur), Éric MAILLET (artiste), Nicolas MAISETTI (sociologue), Nicolas MÉMAIN (urbaniste), André MÉRIAN (photographe), Gilbert ORSONI (juriste), Matthieu POITEVIN (architecte), Garance POUPON JOYEUX (artiste), Justine PRUVOT (cheffe), Tilman REICHERT (architecte), Rudy RICCIOTTI (architecte), Suzel ROCHE (réalisatrice), Jean RODET (architecte), Ana RUBIO (architecte), Jacques SBRIGLIO (architecte), Oliver SALWAY (artiste), Loévan SICARD (architecte), Alexis STEINMAN (journaliste), André STERN (architecte), Bernard TARAZZI (architecte), Paul-Elias TOURNÉ (architecte), Stephan ZAUBITZER (photographe)

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