Festival de Marseille

Idées de sortie
le 21 Juin 2024
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Pour sa vingt-neuvième édition, le Festival de Marseille se déploie dans toute la cité pour la transformer « en un terrain d’exploration, de recherche et de partage, où les corps s’expriment et les idées se rencontrent. » Tour d’horizon(s).

Be Careful de Mallika Taneja. (Photo : David Wohlschlag)
Be Careful de Mallika Taneja. (Photo : David Wohlschlag)

Be Careful de Mallika Taneja. (Photo : David Wohlschlag)

C’est le plus marseillais des festivals. Et pas seulement parce qu’il porte le nom de la ville. Il y a d’abord sa programmation, ultra cosmopolite, reflétant la diversité de la cité phocéenne et de ses habitant·es — appelé·es, cette année plus que jamais, à participer à l’effervescence artistique festivalière via une série de formes collaboratives. Il y a aussi sa façon de sillonner la ville, traversant pas moins de dix-huit lieux du Nord (le Théâtre de la Sucrière, le Zef…) au Sud (le Ballet National de Marseille, la Cité Radieuse…), en passant par son « grand centre » (de la Friche au Mucem en passant par la Criée), et en prenant même le large via une incartade au Frioul … Mais ce qui fait du Festival de Marseille un événement singulièrement ancré dans son territoire, c’est son public, ou plutôt ses publics, au(x)quel(s) est portée une attention toute particulière. Un coup d’œil au menu du site web de la manifestation suffit à s’en rendre compte, puisque l’une des cinq occurrences annonce, entre le programme et les infos pratiques, « Un Festival pour les Marseillais·es ».

Dans un entretien qu’elle nous accordait il y a deux ans, la directrice de la manifestation, Marie Didier, affirmait d’ailleurs l’importance « que la majorité des spectateurs soient d’ici, et que cela
demeure ainsi »
, précisant vouloir en priorité « agrandir [la] base sociale » du festival. Ce que matérialise parfaitement sa politique tarifaire, avec des tickets compris entre 5 et 10 euros, et une billetterie solidaire à 1 euro accompagnée de programmes de médiation gratuits menés en amont. Ce que traduit aussi toute une série d’ateliers et d’animations gratuits et ouverts à tous·tes, ainsi qu’un programme d’éducation artistique et culturelle proposé tout au long de l’année auprès d’un millier d’élèves et d’étudiant·es.

Au-delà de ces actions concrètes, la programmation reflète également la volonté d’accessibilité et d’inclusivité de l’équipe du festival : « C’est un aspect assez important de l’équation que de proposer des œuvres qui résonnent avec les préoccupations et les désirs des gens. Il ne s’agit pas forcément de donner ce que les gens attendent, mais quelque chose qui les concerne. » La preuve avec cette vingt-neuvième édition, qui foisonne de créations dont le mouvement, les corps habités par les urgences politiques et écologiques, sociales et intimes bouleversant le monde sont le moteur. « Cette année, de nombreuses œuvres s’intéressent à l’expression de la violence, à l’hybridation entre les luttes émancipatrices et langages artistiques », souligne Marie Didier dans son édito.

C’est le cas de …How in salts desert is it possible to blossom… (Comment fleurir dans un désert de sel ?) de la sud-africaine Robyn Orlin, qui fera l’ouverture du festival. Dans cette création imaginée avec les six danseur·ses du Garage Dance Ensemble, la chorégraphe interroge les mécanismes de violence à l’œuvre à Okiep, « ancienne région minière de la province du Cap-Nord qui concentre à elle seule l’histoire de l’Afrique du Sud colonisée », et tente d’en exorciser les démons contemporains via le pouvoir rédempteur du mouvement. La même idée de rédemption possible des corps malmenés — ici par la guerre — traverse la pièce Under the Flesh. Les artistes libanais Bassam Abou Diab et Ali Hout y affirment le pouvoir évocateur et libérateur de la musique, et la résistance des corps via la danse.

Violence sourde et invisibilisée, le handicap s’affiche ici comme élément transformateur de l’art et du monde. Le Festival Transform!, consacré aux créations queer contemporaines, s’installe au Mucem pour une journée de rencontres, performances et films dédiée aux croisement des identités. Quant à l’artiste lisboète Diana Niepce, paralysée après un grave accident, elle remet en question les normes, et plus précisément celles liées au corps, dans sa performance autobiographique Anda, Diana, où elle mène la danse, non en dépit de mais avec sa « différence ». Malgré une flagrance que seuls les plus insensibles continuent de nier, l’environnement semble être le grand perdant des élections européennes… La violence contre le vivant est pourtant une urgence dont nombre d’artistes s’emparent aujourd’hui.

C’est le cas de l’immense Anne Teresa De Keersmaeker, qui revient au Festival accompagnée de Radouan Mriziga. Dans Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione, les deux chorégraphes nous invitent à réfléchir aux bouleversements climatiques en revisitant, par le mouvement, Les Quatre Saisons de Vivaldi. Benjamin Dupé nous embarque quant à lui en mer avec (f)riou(l), un opéra maritime, une expérience sensorielle hors du commun qui célèbre le vivant dans toutes ses dimensions.

La question des violences faites aux femmes sera, elle, au cœur du double programme au Ballet National de Marseille : en version satirique avec Be Careful de Malika Taneja, qui prend à rebours les préceptes du bon comportement des femmes en société ; en version participative avec Joie UltraLucide de Maryam Kaba et Marie Kock, qui célèbrent l’écoute de soi et de ses désirs profonds en redonnant vie par le mouvement aux corps brutalisés de dix-sept danseuses amatrices de la Maison des Femmes. Nombre d’autres créations célèbrent la puissance des femmes, à l’instar de la pièce Sorcières / Kimpa Vita, dans laquelle le chorégraphe DeLaVallet Bidiefono honore la prophétesse congolaise Kimpa Vita, condamnée au bûcher pour s’être engagée en faveur de l’indépendance de son pays.

Face à ce « vieux monde » qui ne sait que trop bien résister aux révolutions d’aujourd’hui, le Festival de Marseille réaffirme le besoin d’altérité, la force du commun, la transcendance du collectif. En témoignent les pièces de Lisa Vereertbrugghen et du collectif cairote Nafaq. Ou encore l’ode dansée, musicale et dramaturgique que le néo-Marseillais Emanuel Gat livre à sa ville d’adoption. Dans un élan vital porté par les notes de Beethoven et Kanye West (!), Freedom Sonata tend un miroir solaire et libertaire à la cité phocéenne. Une ville loin d’être hors du monde, et qui lui donne rendez-vous pendant trois semaines intenses où, à n’en pas douter, les cœurs battront à l’unisson.

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