Dépérissement de l’État
Il ne faut pas se contenter de lire l'attentat de Nice comme une manifestation de violence de plus. Il faut tenter de comprendre ses significations et les symptômes qu'il manifeste de l'affaiblissement de l'État et du politique.
Dépérissement de l’État
Sans doute importe-t-il que Marsactu revienne sur les événements de Nice, à la fois parce que Nice est tout de même proche de Marseille, et parce que cet attentat nous interroge, une fois de plus, sur le rôle de l’État et sur ce qui semble bien manifester, une fois de plus, ce que Marx et Engels, en d’autres temps, nommaient le dépérissement de l’État. Quand les auteurs du Manifeste communiste prévoient le dépérissement de l’État et voient en lui la manifestation de la montée du communisme et de l’avènement d’une société politique sans état ni classes, nous sommes au moment de la montée du capitalisme, et Marx et Engels voient dans l’approche du dépérissement de l’État une forme de symptôme de la crise du capitalisme. Mais les événements de Nice et la montée du terrorisme islamiste nous engagent à lire dans la crise actuelle de nos sociétés politiques une autre signification du dépérissement de l’État.
C’est que la violence que le terrorisme islamiste, quelle que soit sa forme, État islamique ou d’autres, fait peser sur notre société est une sorte de symptôme de plus de la dégradation de l’État et de son rôle dans la société. En effet, les événements de Nice manifestent à la fois l’impossibilité de l’État de prévoir, et, par conséquent, son impossibilité de protéger, ce qui est une de ses fonctions majeures et l’absence de projet politique de nature à susciter l’adhésion et l’engagement des populations qui, en raison de cette absence, se tournent vers d’autres formes d’engagement qui leur sont proposées comme les fondamentalismes religieux et le terrorisme sous toutes ses formes. Et, de fait, on mesure bien l’absence de l’État, à la fois dans l’impossibilité où se trouvent nos institutions de répondre même à la critique visant l’absence de la police dans l’espace public et dans la montée du terrorisme, mais cette fois pas seulement en France mais dans le monde.
Si le terrorisme occupe aujourd’hui une telle place, c’est que l’État ne sait plus quel discours tenir sur la société, ne sait plus comment exercer son pouvoir de régulation et d’organisation de la société civile et ne sait plus comment recueillir la confiance et l’adhésion de ceux qui vivent dans l’espace social. Mais, si c’est aujourd’hui que la crise atteint une telle violence, le dépérissement commence bien avant. C’est en mars 1953, par exemple, qu’en Grande-Bretagne, Richard Beeching propose les premières formes de démantèlement du réseau public des chemins de fer. C’est en 1954, en France, que commence la guerre d’Algérie, qui va durer jusqu’en 1962, et qui, en plus de la revendication de l’indépendance par l’Algérie, est un symptôme de plus de l’affaiblissement de l’État. Sans doute, d’ailleurs, la montée du terrorisme islamiste, dans un nombre croissant de pays dans le monde, est-il une forme de plus de la réponse des populations musulmanes à la colonisation. Le dépérissement de l’État aura connu une forme de plus avec la crise de la ville, des espaces urbains et des banlieues, manifestations du refus des populations de se voir enfermées dans des sites et des immeubles sans aménagements et sans perspectives.
Ce dépérissement de l’État, sous toutes ses formes, est la manifestation de la montée du libéralisme économique et de l’affaiblissement puis de la disparition du rôle de l’État dans la vie économique, désormais entièrement et exclusivement dominée par le marché, sans reconnaissance des droits de ceux qui travaillent et sans reconnaissance de la place de l’État et du politique dans la vie économique. À cet égard, la loi El-Khomri sur la réforme du droit du travail est une manifestation de plus de ce dépérissement de l’autorité de l’État et du politique dans ses fonctions de régulation des rapports sociaux et de protection des droits des salariés. De la même manière, le projet Macron de renforcement des transports routiers est, comme le rapport Beeching de 1953 en Grande-Bretagne, une façon de plus de réduire le rôle de l’État dans les transports, façon essentielle de réguler les usages de l’espace, et de les soumettre au libéralisme.
En ce sens, les événements de Nice ne sont surtout pas à lire, de façon isolée, comme des manifestations d’un terroriste solitaire et fou, mais ils s’inscrivent bien dans un ensemble d’évolutions et de situations qui témoignent de l’urgence qu’il y a, pour la société civile, à retrouver le sens de l’engagement politique et à reconnaître de nouveau l’importance du rôle de l’État. À force de refuser de soumettre l’économie au politique, à force de réduire le rôle de l’État dans la vie sociale, le libéralisme recueille les fruits de cette réduction du politique à de la gestion et à de la technocratie.
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