DÉGRADATION DU PAYSAGE DE MARSEILLE

Billet de blog
le 6 Avr 2024
2

J’ai quitté Marseille en 1993 après y avoir vécu, une première fois, dix ans. Je suis retourné y vivre une deuxième fois en 2016, et une troisième  fois l’année dernière. Cela me donne un recul sur l’urbanisme de la ville

Un patrimoine urbain dégradé

Le patrimoine urbain de Marseille, c’est-à-dire les constructions de la ville, l’entretien de ses rues, la conservation de ses monuments, tout cela a été profondément affecté par une absence de politique réelle. La dégradation du patrimoine urbain est dû, me semble-t-il à trois facteurs. Le premier est, bien sûr, l’appauvrissement de la ville, lié à la transformation de l’activité du port. D’une métropole du transport maritime, Marseille est devenue une ville pauvre, sans souci de son esthétique, sans projet de réhabilitation du patrimoine urbain, des monuments de la ville, des immeubles d’habitation, des voies de circulation. Le patrimoine d’une ville riche à fini par être celui d’une ville devenue pauvre, et, sans doute, sans même que la ville s’en rende compte. Peut-être ne m’en suis-je, moi-même, devenu conscient que pour avoir quitté Marseille pendant de longues périodes avant d’y revenir assez récemment. Et puis j’ai eu l’occasion de comparer le centre de Marseille à celui d’une autre ville où j’ai vécu, Lyon, une ville bien plus riche. Un second facteur peut expliquer cette dégradation du patrimoine : l’absence de politique patrimoniale de la municipalité après la deuxième guerre mondiale. En 1945 et jusqu’aux années cinquante, l’urgence était ailleurs ; il fallait reconstruire, et, sans doute les pouvoirs locaux n’avaient-ils pas le temps de penser une politique patrimoine dans le long terme. De 1953 à 1986, G. Defferre a consacré moins de temps qu’il n’aurait dû à l’autorité municipale en raison de son investissement dans la politique nationale. De 1986 à 1995, la municipalité de R. Vigouroux n’a pas eu le temps de mettre en œuvre une réelle politique du paysage urbain, même s’il était, sans doute, plus concerné par ces questions. Quant aux mandats de J.-C. Gaudin, de 1989 à 2020, ils étaient ceux d’une municipalité de droite qui n’était pas engagée dans ce domaine. Élue en 2020, la municipalité du « Printemps marseillais » a trop de retard à rattraper pour que l’efficacité de son action puisse encore se mesurer.

 

L’histoire de la dégradation

Cette dégradation du paysage de la ville a une histoire, que l’on peut suivre en quatre étapes. La première est la guerre de 1939-1945. La destruction des immeubles du Vieux-Port n’était que le signal d’une lente dégradation encore à venir, car, en même temps que la guerre, il s’est agi d’une mutation des exigences de logement et d’aménagement des villes. La deuxième étape consiste, d’abord, dans la dégradation du port et de son activité, liée aux mutations du transport maritime et à la transformation de ses circulations à l’échelle du monde. Mais cette deuxième étape tient aussi au fait que le port a quitté Marseille – on devrait plutôt dire : a abandonné Marseille en s’étendant de plus en plus loin au Nord. Cet abandon de la ville a entraîné un abandon de ses immeubles et de son paysage. Une troisième étape de la dégradation a été la construction irrationnelle, sans projet d’urbanisme, et encore plus, sans projet esthétique, dans l’urgence de la décolonisation puis dans celle de l’immigration économique. Une dernière étape, celle dans laquelle nous nous trouvons, consiste dans l’appauvrissement de la population marseillaise et dans la venue à Marseille d’habitants ne disposant pas des ressources permettant à la ville de se développer dans une véritable rationalité urbaine.

 

Un paysage de la ville qui a perdu toute dimension esthétique

Un paysage est une esthétique de l’espace. La ville a perdu tout projet esthétique, à la fois parce qu’il a fallu loger dans l’urgence et parce que les municipalités qui se sont succédé après la guerre n’avaient pas de préoccupation esthétique. L’urbanisme était fonctionnel, il devait rendre des services, assurer des fonctions, mais cela ne crée pas une ville. Les immeubles et les tours ont été construits n’importe comment, les grandes surfaces commerciales se sont développées dans la recherche du profit et du moins cher, habiter la ville n’a plus consisté dans la recherche du paysage, mais dans la seule recherche de l’entassement des populations. C’est ainsi que les immeubles d’habitation ont été construits sans projet d’harmonie. Les seuls projets des immeubles d’habitation ont consisté dans la réponse à l’urgence sociale. Même l’habitation réelle, celle qui consiste à pleinement se reconnaître, se sentir chez soi, dans une ville dans laquelle on peut trouver un espace répondant à son identité, cette habitation-là a disparu, et la population de Marseille a cessé d’habiter la ville, de s’y reconnaître chez elle. C’est ainsi que la construction a poussé un peu au hasard des besoins, sans répondre à l’expression d’une véritable identité urbaine. C’est cela, au fond, le problème de Marseille : la ville n’a plus d’identité.

 

Un clivage social accentué entre les quartiers

Mais si cette destruction du paysage urbain et cette construction sans souci esthétique se sont inscrites, en réalité, sans projet politique véritable, on peut dire qu’il n’y a pas eu, à Marseille, comme dans d’autres villes, de véritable politique de la ville. Cela s’est manifesté dans deux caractéristiques de la ville. La première est le clivage entre le Nord de la ville et son Sud. Quand on traverse la Canebière, on ne change pas seulement de quartier : on quitte une ville pour se trouver dans un ensemble de « non-lieux » – ou, plutôt pour s’y perdre. C’est ainsi que le clivage caractéristique de la ville entre son Nord et son Sud représente, en réalité, un clivage social entre quartiers riches ou aisés et quartiers pauvres. Deux mondes se trouvent aux alentours de Périer, du Roucas Blanc ou du Prado et dans les quartiers du Nord de la ville, comme Plombières et, au-delà, dans l’ensemble de cet espace urbain que l’on appelle « les quartiers Nord ». La seconde caractéristique de cette accumulation de maisons, de domiciles, est la fragmentation, le morcellement, de la ville : il y a plusieurs Marseille, le mot Marseille devrait s’écrire avec un « s ». Cette fragmentation entre les quartiers fait que les habitantes et les habitants de Marseille ne se reconnaissent pas dans une ville qui n’en est plus une, mais ne se reconnaissent plus, non plus, eux-mêmes comme celles et ceux qui habitent dans le même espace, alors que le rôle de la ville devrait être de donner, dans l’espace, une identité à celles et à ceux qui y vivent. Cela explique les violences qui se produirsent dans la ville. 

 

Un réveil de Marseille

Il est temps que la ville s’éveille. Il faut que Marseille redevienne la ville qu’elle fut. Pour cela, trois étapes, urgentes, sont nécessaires. La première est la prise de conscience de la gravité de cette situation par les pouvoirs municipaux et métropolitains. La deuxième est l’élaboration et la mise en œuvre de politiques municipale et métropolitaine d’urbanisme et d’aménagement de l’espace soucieuses d’égalité et de solidarité. Dans les quartiers Nord, il est trop tard pour refaire la ville, mais des mesures esthétiques peuvent être mises en œuvre, comme le fait de peindre les façades des tours et des grands immeubles en couleurs vives, ou d’installer des œuvres d’art dans les espaces d’habitation. Enfin, il importe que, par des politiques d’information, de communication et de solidarité, celles et ceux qui vivent dans la ville s’y retrouvent, s’y reconnaissent, se l’approprient – bref, il est urgent que, grâce à des politiques actives et décidées, les pouvoirs locaux fassent reprendre conscience aux habitantes et aux habitants de la ville de la nécessité de lui rendre ses paysages disparus.

 

Une écologie esthétique pour Marseille

C’est en ce point qu’il importe d’être conscient de la double signification du concept d’écologie. Politique de l’espace et de son aménagement, l’écologie comporte, dans l’une de ses dimensions majeures, un projet esthétique. Médiation esthétique de l’espace, le paysage est aussi ce qui exprime l’identité d’une ville. C’est ainsi que Marseille vit, aujourd’hui, une véritable urgence écologique. Pour redevenir pleinement la ville qu’elle a pu être, Marseille doit retrouver l’importance de l’esthétique de ses aménagements. Pour cela, quatre mesures devraient être prises. La première est le retour à une politique du ravalement des façades, de leur nettoyage, à la fois dans les bâtiments publics et dans les immeubles d’habitation. La seconde mesure à prendre est l’exigence d’un entretien des cités, des grands ensembles, et, même, une peinture de leurs façades, afin que ces ensembles d’habitation deviennent des immeubles habitables que l’on ait du plaisir à regarder. Une troisième mesure importante pour le paysage concerne les transports : il importe de réduire la circulation automobile, afin de réduire la pollution que les voitures entraînent dans les façades d’immeubles. Une autre mesure, urgente, est l’entretien des espaces, des rues, des lieux d’habitation et d’échange, qui ont été trop dégradés et trop salis pour rester dans l’état dans lequel ils sont. C’est ainsi qu’il est nécessaire de mieux articuler l’exigence écologique, l’exigence esthétique et l’exigence climatique.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. RML RML

    Je rêve quand je lis votre introduction????
    Tant de papiers sur tant de sujets concernant la Ville, papiers qui se veulent éclairés et (assez) definitifs, et qu’est-ce qu’on apprend?? 1 an de présence l’année dernière et 1 an il y a 8 ans??? ( le reste appartient vraiment au passé d’une jeunesse)
    Les bras m’en tombent. Et la mâchoire aussi ( j aime être un peu théâtral).
    Sans remettre en cause vos longues contributions, ce qui me frappe au regard du style de celles-ci c’est la question de la légitimité. Elle ne vous a jamais frappée? Ne serait-ce que pour infléchir la manière “sachante” de vos analyses? Votre hubris est il à ce point aveugle?
    En fait, je suis consterné…

    Signaler
  2. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Ce billet de blog sur la dégradation du paysage marseillais est intéressant et le sujet rarement traité en tant que tel.

    Cependant concernant les immeubles il ne s’agit pas seulement de les ravaler ou de les repeindre, il faut aussi procéder à leur isolation thermique afin d’assurer un meilleur confort en hiver et en été et de faire des économies d’énergie.

    Par ailleurs il me parait indispensable de développer des jardins et espaces verts peu consommateurs d’eau, de multiplier les espaces de promenades ombragées à toute heure du jour, etc.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire