DE L’ÉVÊCHÉ À LA POLICE : MARSEILLE SOUS SURVEILLANCE
Essayons, aujourd’hui, de prendre un peu de recul à l’égard de la police marseillaise, de comprendre ses usages et ses codes. Pour cela, questionnons son « domicile ».
Faire parler les lieux de la ville
Les lieux ont un sens, qui leur est donné dans l’histoire. C’est ainsi que faire parler les lieux de la ville, leur donner une signification, c’est donner une signification à l’espace de la ville, c’est faire de la ville un espace pourvu de sens, un espace que l’on peut comprendre en faisant apparaître son identité multiple : identité culturelle, identité urbaine, identité politique. Les lieux de la ville sont les sites qui manifestent la pluralité de ces significations, et se promener dans les rues de la ville, en faisant face à ces sites, c’est comme lire la ville. Peut-être, ainsi, lire la ville est-ce une façon de l’habiter. Nous allons aujourd’hui nous intéresser à un lieu de Marseille, chargé d’une histoire complexe. L’Évêché, le palais des évêques de Marseille, puis de ses archevêques, devenu Hôtel de police, est chargé d’histoire. Il est important de comprendre la signification de ce site aujourd’hui, au moment où les violences de la police amènent à remettre en question la légitimité de son autorité.
L’Évêché devenu Hôtel de police
C’est en 1905, au moment de la séparation de l’Église et de l’État, que le palais de l’Évêché est attribué à l’État qui y installe l’Hôtel de police. Entre les églises et l’État, il s’est joué une scène comparable à ce qui se joue dans un divorce : on se partage les biens, comme, donc, l’Évêché de Marseille, et on se partage les enfants – en l’occurrence les citoyens. Dans le cadre de ce partage, le palais des évêques, attribué à l’État, a, ainsi, été affecté à la police, qui y a toujours son siège. C’est pourquoi, à Marseille, parler de “l’Évêché”, ce n’est pas parler d’un lieu religieux, mais c’est parler de la police. Mais parler de “l’Évêché” à Marseille, ce n’est pas plus parler d’un lieu dévolu aux évêques qu’à Paris, parler du « quai des Orfèvres » ne consiste à parler d’un lieu où travaillent des orfèvres. À moins, bien sûr – mais c’est une autre histoire – que les policiers ne soient ici des sortes d’évêques ou là des sortes d’orfèvres. Qui sait ?
Un lieu de pouvoirs
Près de la Cathédrale, l’Évêché manifeste un pouvoir religieux. Il fut donc, depuis toujours, un lieu de pouvoir. En ce sens, son usage comme siège de la police ne fait que continuer son activité initiale. C’’est que l’Évêché n’est pas un lieu de culte, ce n’est pas un lieu religieux, ne nous trompons pas : c’est un lieu de pouvoir, celui du pouvoir de l’Église. C’est bien pourquoi sa transformation en siège du pouvoir de la police, après la coupure de 1905, est bien une façon de pérenniser sa reconnaissance comme site de pouvoir : il n’y a que la nature du pouvoir concerné qui change. Situé en plein centre de Marseille, à côté de la cathédrale, en quelque sorte par définition, mais non loin, tout de même, des autres sites de pouvoirs de la ville, le palais de l’Évêché fait partie de la grammaire marseillaise des lieux de pouvoir. Situé aussi près de l’Hôtel de ville, il est situé dans l’ancien espace du pouvoir de la ville.
Un lieu de contrôle
Au sein des logiques de pouvoir, l’Évêché est un lieu de contrôle, de surveillance. Le contrôle est ce que l’Église et la police ont en commun. Il s’agit d’avoir l’œil sur les fidèles, sur les citoyens. Sans doute est-ce une façon plus précise, pour la police, de pérenniser la première fonction de l’Évêché. Ce palais est le lieu qui surveille la ville – et qui, même, semble surveiller l’Hôtel de ville et la municipalité. La succession des rôles de ce site permet de mieux comprendre sa signification : ce n’est pas seulement un lieu de pouvoir, c’est, en particulier, un lieu où le pouvoir nous surveille, contrôle nos activités, voire nous réprime. Après tout, c’est bien ainsi que la police continue, aujourd’hui, à jouer le rôle qui était celui de l’Église : celui d’un contrôle moral.
L’Évêché devient Hôtel de police en 1905
La transformation de l’Évêché en siège de la police s’inscrit dans l’ensemble des manifestations de la lutte entre l’église et l’État, qui revendique sa laïcité. C’est que 1905 est une date de confrontation, voire de combat. En 1905, la Troisième république entend se débarrasser de l’Église, afin que l’État laïc soit seul à exercer les missions de contrôle et de pouvoir qui faisaient, jusqu’à ce moment, l’objet d’un partage entre les églises et l’État. L’Évêché devient Hôtel de police au moment où, sous l’impulsion de Jules Ferry, la France se couvre de ces écoles publiques dans lesquelles les enfants se voient transmettre la culture laïque et où, certains dimanches, ont lieu les scrutins. C’est ainsi que l’affectation de l’Évêché à la police est, au commencement, d’abord, un acte de laïcité, qui consiste à remplacer une surveillance par une autre.
Pouvoirs nationaux et pouvoir municipal
Ainsi situés l’un près de l’autre (l’Hôtel de ville n’est pas loin), le pouvoir municipal et le pouvoir national se font, en quelque sorte, face. C’est aussi cela que signifie la mutation du palais de l’Évêché : il s’agit, pour l’État, d’affirmer son pouvoir face à celui de l’Église, son autorité et la surveillance face à celles dont les églises sont les acteurs. C’est dans le cadre de cette confrontation entre les pouvoirs que l’on peut comprendre la signification du site de l’Hôtel de police et son histoire. Ce n’est pas seulement une question de laïcité et d’affirmation du pouvoir d’institutions laïques, encore nouvelles en 1905 : c’est surtout une question de mutation des pouvoirs et de confrontation entre les pouvoirs. Une façon de rappeler que l’État ne se réduit pas aux institutions nationales, mais que les institutions locales comme les municipalités ou les institutions locales de la police font partie de l’État. La mutation de l’Évêché en hôtel de police a aussi cette signification : en 1905, l’État dans lequel nous vivons aujourd’hui est encore en train de naître, de se construire.
La police à Marseille
Questionner l’Hôtel de police, c’est, bien sûr, questionner, une fois de plus, la police à Marseille, la place qu’elle y occupe, le rôle qu’elle y joue, l’identité qui lui est reconnue. À cet égard, on ne peut que constater un écart, une inadéquation, entre ce lieu de l’Hôtel de police, qui représente une sorte de grandeur de l’État, qui vient nous dire que la police fait partie de l’État, et la dégradation des activités contemporaines de la police. Les violences perpétrées par la police ces temps derniers, ces meurtres dont les policiers ont été les auteurs, ne peuvent pas faire partie d’un état légitime. À Marseille comme ailleurs, cela ne suffit pas d’avoir un beau palais pour affirmer une grandeur et une autorité, encore faut-il, pour cela, que les pratiques, les activités, les discours, suivent. À cat égard, sans doute la confiance, qui est le lien entre la population et les institutions, pourrait bien être perdue. L’Évêché n’aurait plus alors pour signification que celle d’une autorité disparue.
Comme souvent, j’ai pu trouver les informations nécessaires à cet article dans l’ouvrage d’Adrien Blès, Dictionnaire historique des rues de Marseille, Marseille, Éd. Jeanne Laffitte, 2001, 526 p.
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