Tragédie du 5 novembre
CHRONIQUE DES ÉVACUES DE MARSEILLE
Mi-décembre 2018 un premier constat avait donné lieu au texte « MARSEILLE, LE PEULPLE VS GAUDIN ». De leurs rencontres avec les familles évacuées de leur logement, et plus de trois mois après la catastrophe, les écrivains insoumis de Marseille, impliqués dans le Collectif du 5 novembre, ont rédigé l’histoire peu réjouissante de ces évacuations et du quotidien de ces personnes. Déprimées au point d’en avoir des conséquences physiologies, elles sont également inquiètes pour leurs enfants que le stress amène également à être malades, à se rendre à l’école honteux et démotivés… Plusieurs d’entre eux ont été amenés à consulter l’équipe de psychologues mise en place par le Collectif.
Ou de l’invisibilisation des délogés… par les écrivains insoumis de Marseille
Avec l’effondrement des deux immeubles rue d’Aubagne le 5 novembre 2018, le mal logement, l’habitat indigne, insalubre, dangereux, se sont révélés brutalement et dans toute leur ampleur à Marseille : immeubles vétustes, appartements en ruines, humidité, moisissures, rats, punaises de lits, habitats précaires, hôtels meublés dangereux, marchands de sommeil, bailleurs sociaux défaillants, copropriétés indignes… la liste est très longue !
Un lieu de recueillement rue d’Aubagne, situé près de la statue d’Homère, rappelle l’identité des huit victimes de l’effondrement : Oloume (55 ans) mère de famille originaire des Comores qui laisse deux orphelins dont un de 9 ans, Chérif (36 ans) et Taher (58 ans) originaires d’Algérie, Julien (30 ans), Simona (30 ans) étudiante italienne originaire de Tarente, Pape Maguette Niasse (26 ans) d’origine sénégalaise, Fabien (54 ans) artiste peintre, Marie-Emmanuelle (55 ans).
Après les évacuations en urgence du secteur de la rue d’Aubagne (plus de 350 personnes), l’onde de choc s’est propagée bien au-delà du quartier de Noailles, dans le 3ème arrondissement et dans les quartiers nord de la ville, comme la copropriété du Parc Corot (13e). D’autres copropriétés dégradées existent dans les quartiers nord : Bel Horizon (13e), Maison Blanche (14e), les Bourrelys et Kalliste (15e). A la mi-novembre, 102 immeubles étaient évacués et plus de 800 habitants sinistrés. Ils seront plus de 1 500 personnes évacuées à la veille de Noël. En janvier, le chiffre est de plus de 1 800 personnes et début février à plus de 2 000, d’autant que les évacuations d’immeubles reprennent en centre-ville, rue d’Aubagne, rue de la Palud.
La ville de Marseille a mis en place un dispositif d’accueil unique (EAPE, rue Beauvau) où les personnes enregistrées peuvent bénéficier d’une aide sociale et entamer la procédure d’hébergement et de relogement. Les personnes évacuées de leur logement sont hébergées dans une trentaine d’hôtels de la ville de Marseille, et ceci dure depuis plus de 3 mois.
Le dispositif municipal s’est révélé très insuffisant pour faire face à l’ampleur de la situation. Le Collectif du 5 novembre s’est donc rapidement constitué pour répondre à l’urgence sociale et accompagner les personnes sinistrées (assistance sociale, juridique et psychologique). Un guide de survie aux évacuations a été élaboré et enrichi au fil du temps.
Au-delà, c’est évidemment le combat politique pour le logement social à Marseille.
Le groupe des écrivains insoumis de Marseille a décidé de se joindre au Collectif dès novembre et d’aller directement au contact des personnes évacuées. Un premier contact a eu lieu fin novembre à proximité de l’Hôpital européen et dans le quartier de la Joliette.
Le bon accueil initial des personnes de la réception s’est vite heurté à une fin de non-recevoir suite à des instructions de la Mairie pour bloquer notre démarche. Il est apparu très clairement que la ville de Marseille ne voulait pas divulguer les lieux d’hébergement provisoire des évacués, ni le nombre des délogés hôtel par hôtel. Pire que ne pas divulguer, la position manifeste adoptée était d’INVISIBILISER les personnes évacuées, autant dans l’espace marseillais qu’entre elles. Les réceptionnistes des hôtels visités se sont montrées gênées de répondre « on ne peut rien dire, ordre de la direction ». La protestation exprimée auprès de la responsable de l’espace d’accueil s’est révélée sans effet. Pour justifier cette position, la Mairie affirmait qu’une personne référente serait présente dans chaque hôtel pour informer les personnes hébergées. C’était une information totalement fausse. Nous avons seulement réussi à obtenir la liste des hôtels logeant les personnes hébergées, soit une trentaine, vraisemblablement par erreur des services.
L’urgence sociale était là, et elle l’est toujours, malgré les déclarations lénifiantes de la Mairie, en grand décalage face à l’ampleur du désastre. Les informations recueillies ont montré sans ambiguïté l’état des logements évacués : murs fissurés, fuites d’eau au plafond, escaliers décollés du mur, planchers tanguant, portes d’entrée ne fermant plus, canalisations hors d’usage….
Une chose est sûre, les personnes évacuées ne sont pas concrètement soutenues par les services de la Mairie. Voici quelques cas concrets :
- Une femme seule avec 7 enfants (3 à 16 ans), n’a reçu que 92 € d’aide et 90 € en tickets restaurant. Hébergés dans plusieurs chambres, les enfants n’arrivent plus à travailler et la santé de la maman est fragile. L’accompagnement n’est pas à la hauteur de la situation vécue.
- Quatre personnes originaires d’Algérie, sans papiers, sont démunies par rapport aux démarches à faire ; elles sont en France depuis plusieurs années.
- Une famille albanaise vivait à 5 dans un T2 de 25 m2, elle est à l’hôtel depuis fin novembre, en attente d’une procédure d’asile et d’un relogement par un propriétaire qui reste silencieux.
- Une famille bulgare de 5 personnes, les parents et trois enfants scolarisés dans le 1er et 2ème arrondissement, hébergés dans un hôtel du 5ème arrondissement. Le père travaille dans le 14ème arrondissement. Cette famille a subi les menaces de son bailleur (privé) qui veut les reloger dans un T2 dans les quartiers nord. De la ville.
L’action des écrivains insoumis au sein du Collectif du 5 novembre se poursuit toujours, au contact des sinistrés pour les informer de l’aide que peut apporter le Collectif « Ne restez pas isolés ! Venez faire le point de votre situation ». En janvier 2019, sur 800 familles évacuées environ, seules 200 familles étaient connues. La politique de la Mairie INVISIBILISE toujours un grand nombre de personnes qui ne disposent pas d’informations suffisamment précises pour connaître les dispositifs communaux et associatifs : démarches à faire, conseils juridiques, besoins de vêtements, produits d’hygiène, soutien psychologique (d’autant plus nécessaire que le temps s’écoule dans l’attente), aspects pratiques quotidiens : laver son linge, se nourrir. La restauration proposée par la mairie à la Cité des Associations n’est pas de bonne qualité, ni suffisamment diversifiée ni adaptée pour les évacués relogés hors du centre-ville.
Là encore quelques exemples montrant la persistance de l’urgence sociale plus de trois mois après le drame de la rue d’Aubagne :
- Un couple évacué à la fois de son logement et de son restaurant rencontre de grandes difficultés pour effectuer les démarches avec la Mairie et la Chambre de commerce, avec l’impression d’être, comme ils disent, baladés.
- Un couple avec 3 enfants hébergé est dans un hôtel, alors que la femme enceinte doit accoucher très prochainement ; le relogement provisoire reste en attente malgré la situation d’urgence.
- Une famille nombreuse demande d’être au moins transférée dans un « Appart city », muni d’un coin cuisine et demande un soutien psychologique pour les enfants.
- Une jeune femme avec deux bébés (8 et 21 mois) exprime le besoin de disposer de pots bébés et de tickets restaurant pour se nourrir (la restauration mise en place par la Mairie ne convient pas) et de disposer couches.
- Une jeune femme est seule avec 6 enfants à l’hôtel ; elle a besoin d’un soutien matériel (vêtements, produits d’hygiène, couches), d’une aide pour le lavage du linge et d’un accompagnement pour sa procédure de relogement.
- Un jeune homme divorcé, logé à l’hôtel, ne peut plus prétendre dans la situation actuelle à assumer la garde alternée de son fils (une semaine sur deux), si ce n’est que de le voir le week-end.
Ces exemples loin d’être exhaustifs montrent combien la Mairie de Marseille n’est pas à la hauteur du désarroi des gens évacués de leur logement et de l’aide à apporter dans l’urgence, l’accompagnement et la procédure de relogement qu’il soit provisoire ou définitif.
Elle se montre sourde et aveugle au relogement des personnes étrangères, en attente d’une carte de résident ou d’une procédure d’asile politique, qui avaient pourtant trouvé un bailleur privé et un travail souvent pénible et non déclaré.
L’usure par le temps écoulé marque de plus en plus durement les personnes hébergées : personnes âgées, enfants, parents. Le Collectif du 5 novembre pallie pour le mieux par ses bénévoles au soutien social, juridique, psychologique, mais ne peut pas tout faire. Il est désastreux de voir ce bénévolat se heurter au mur d’une politique municipale qui veut INVISIBILISER les personnes évacuées, ceci quel qu’en soit le prix qu’elles doivent payer, et malgré le fait qu’elles n’en portent aucune responsabilité.
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