AVE CÆSAR, PRÆEMPTORI TE SALUTANT
Ça y est : la municipalité vient de décider de préempter les locaux de l’ancien cinéma Le César, place Castellane. Une bonne nouvelle pour celles et ceux qui sont attachés à la culture
Qu’est-ce que la préemption ?
La préemption est le droit des collectivités locales d’avoir la priorité sur d’autres acquéreurs potentiels lors de la vente d’un bien immobilier ou foncier. Ce droit revient à reconnaître l’importance du secteur public, et représente un des derniers véritables pouvoirs de l’État – en l’occurrence de la municipalité – face aux acteurs privés. La préemption est une arme publique face à l’importance grandissante du marché dans l’activité économique, mais aussi dans la politique de la ville. C’est un outil très important dans les politiques municipales, et il importe que les villes le conservent. À Marseille, trop de locaux abandonnés, de magasins fermés, d’espaces vides, manifestent l’affaiblissement des politiques publiques dans la conduite des politiques de la ville, et, en ce sens, la préemption du César est peut-être le signe d’un réveil des acteurs publics dans cette sorte de restitution des espaces privatisés à l’espace public, celui des habitantes et des habitants de la ville. En préemptant un lieu et en le faisant entrer dans l’espace public, la municipalité joue pleinement son rôle à la fois en manifestant la supériorité face à l’espace privé d’un acteur social porteur d’un pouvoir qui lui a été donné par les habitantes et les habitants et en trouvant dans cette opération un moyen de renforcer la politique de l’urbanisme et de la culture de la ville.
Le « César »
Il y a une histoire des lieux, et c’est très important d’y être attentif, car leur histoire contribue à leur signification. Dans le site de l’Office du tourisme, on apprend que le cinéma César a remplacé un ancien cinéma, qui portait ce nom. Le premier cinéma nommé « César » avait été ouvert en 1938 par Marcel Pagnol sur les lieux d’un ancien dépôt d’autobus. D’où son nom, celui d’un personnage de Pagnol. Ce lieu est, ainsi, un peu emblématique. Il s’est agi d’un cinéma avant même que l’actuel, ouvert en 1974 pour remplacer le premier, puis repris en 2017 par Jean Mizrahi en même temps que les Variétés, ne ferme ses portes, parce qu’il était devenu impossible de faire face à son financement. Même avant d’être un cinéma, c’était un lieu public, et non d’un lieu privé et puis, tout de même : un cinéma déplace les gens qui vont au spectacle, il leur permet, le temps d’une représentation, de changer de lieu, de se déplacer hors de leur quotidien. En ce sens, comme un dépôt d’autobus, le lieu du César a toujours été un lieu destiné aux voyages.
L’importance des lieux dans la politique culturelle
En faisant l’acquisition de l’espace du César, la municipalité montre l’importance de l’espace, des locaux et de leur aménagement dans la politique de la ville. C’est, en effet, d’abord, dans l’espace qu’une municipalité peut manifester son pouvoir : c’est ainsi que la Ville peut se voir. L’urbanisme est un domaine politique essentiel qui se donne à voir dans nos déplacements, dans nos regards, dans nos découvertes ou nos redécouvertes de l’espace urbain. En faisant du César un instrument de sa politique culturelle, la municipalité nous rappelle que les lieux, les espaces, les aménagements inscrivent la politique de la ville dans le paysage urbain. Reste à savoir ce que deviendra le César. La fermeture du cinéma avait été un mauvais signal donné aux acteurs et aux usagers des lieux de culture de Marseille, mais sa réouverture consacré au service public de la culture est le signal d’une force retrouvée. Selon le communiqué cité par Marie Lagache dans Marsactu du 29 janvier, « La Ville de Marseille recherchera l’implantation d’une activité commerciale attractive, conservant la vocation cinématographique et historique du lieu. Un appel à projets sera publié dans les prochains mois afin d’attirer de futurs porteurs de projets ». Nous pouvons donc espérer que la vocation culturelle de l’espace du César sera maintenue. Qu’il s’agisse de cinéma ou d’une autre activité culturelle, l’activité à laquelle sera consacré le lieu échappera à la mainmise du commerce. C’est ainsi que la politique de la ville peut libérer certains espaces de l’emprise du marché, et c’est pourquoi il est important qu’elle conserve ces outils politiques qui sont à sa disposition.
La place Castellane, à Marseille
Nous ne sommes pas n’importe où. C’est important de réfléchir au fait que le César se situe place Castellane. Qu’est-ce donc que cette place, à la rencontre de plusieurs espaces de Marseille, et, en même temps lieu de déambulation pour les habitants et les habitants de la ville – mais aussi pour les touristes ? La place Castellane est, avant tout, une place, c’est-à-dire un des lieux de l’espace de la ville essentiellement consacrés à la rencontre. Une place est un carrefour, carrefour de rues, mais aussi carrefour de piétons. La place est, depuis toujours, d’abord, un espace public, comme l’était l’agora ou le forum. Dans une place, on n’est pas avant tout chez soi, mais on y trouve les autres. C’est, d’ailleurs, aussi pourquoi une place est un espace politique : la place publique est le lieu où l’on faisait les proclamations et d’où partent et ou arrivent les défilés et les manifestations. La place est ainsi un lieu emblématique de l’urbanité. Mais, à Marseille, la place Castellane est aussi un autre carrefour : lieu de rencontre entre la rue de Rome et l’avenue du Prado, elle est le lieu où la ville passe de son centre à sa périphérie, elle marque le passage entre le centre historique de la ville de Marseille et l’espace plus récent de ses aménagements et de sa croissance, au dix-neuvième siècle. Surtout, la place Castellane est un lieu où des quartiers populaires rencontrent les quartiers bourgeois et riches. La place Castellane fait partie des poumons économiques de Marseille, de ces lieux ouverts au commerce et à l’échange. En ce sens, la piétonnisation en cours va contribuer à rendre la place au peuple de Marseille qui va pouvoir s’y déplacer librement, la parcourir sans être soumis à l’hégémonie de la voiture particulière. C’est ainsi que les projets des nouveaux usages du lieu occupé par le César devraient s’inscrire dans cette dynamique nouvelle de la vie urbaine : celle qui rend l’espace de la ville à des usages sociaux débarrassés des contraintes et de pollution de la voiture particulière. Grâce à la piétonnisation et au tramway, les modes de transport vont, eux aussi, redevenir des lieux de vie sociale, d’échanges, de parole et de rencontre. Le futur César a toute sa place dans ce renouvellement de la ville.
« Ave, Cæsar, morituri te salutant », ceux qui vont mourir te saluent : c’étaient les mots des gladiateurs au moment où ils allaient commencer leurs combats
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