ANATOMIE DE LA VILLE (2)

Billet de blog
le 24 Juin 2023
0

Poursuivons, aujourd’hui, l’examen, entrepris la semaine dernière, de ce que nous proposons d’appeler l’anatomie de Marseille.

L’axe Nord-Sud

Le tracé de la succession des rues qui part de l’entrée Nord de Marseille, qui passe à la porte d’Aix pour se poursuivre par la rue de Rome et l’avenue du Prado forme un axe Nord-Sud de la ville, qui croise, en quelque sorte, l’axe Est-Ouest que noua avons évoqué la semaine dernière. Cet axe Nord-Sud est à la fois un axe de circulation, c’est en suivant cet axe que l’on traverse la ville, et un axe d’unification. : c’est justement en permettant la circulation et les échanges entre les deux mondes de la ville qu’il fait de Marseille une cité, un espace urbain porteur d’une identité partagée par celles et ceux qui y vivent. Cet axe Nord-Sud n’a, ainsi, pas seulement la signification d’une voie de circulation, mais on pourrait dire que c’est lui qui fonde l’urbanité de Marseille, tandis que l’axe Est-Ouest dont nous parlions la semaine dernière a plutôt la signification d’un axe structurant la rencontre et la réunion des différents espaces de la ville de Marseille.

L’articulation du centre de la ville et de ses périphéries

C’est un autre axe essentiel pour comprendre pleinement Marseille. Comme nous le remarquions dans le premier volet de cette étude, Marseille n’a pas de remparts. C’est la différence entre le centre de la ville et ses périphéries qui en tient lieu. Mais ce que nous pouvons remarquer, c’est qu’au-delà de cette confrontation entre des espaces, c’est une confrontation entre les promesses du développement de la ville et la crainte de son déclin. Tandis que, dans d’autres villes, l’histoire de l’urbanité s’est fondée dans le développement des échanges et de la communication entre les différents lieux de la ville, on a le sentiment qu’à Marseille, l’histoire a, au contraire, renforcé les clôtures, les ségrégations, les replis – on pourrait, aujourd’hui, parler des confinements. C’est, d’ailleurs, pourquoi je me demande si l’on peut parler de l’articulation entre les espaces du centre et ceux des périphéries, ou si l’on ne peut pas observer qu’entre les espaces du centre de la ville et ceux des espaces périphériques (on ne peut pas à proprement parler de banlieues à Marseille), c’est une absence de relation qui domine ce que l’on pourrait appeler la géopolitique de la ville.

Les cités au Nord, les immeubles luxueux au Sud

Il y a quelque chose de trop simple, voire de caricatural, dans cette géographie des habitations modernes. Et pourtant, c’est bien la réalité de la géographie marseillaise du logement. Si le centre de la ville est fait des immeubles construits au fil des temps de l’histoire de la ville, et s’il s’agit d’une architecture construisant des immeubles ouverts, des maisons conçues pour les échanges et les relations, les cités au Nord et les immenses immeubles plutôt luxueux au Sud présentent ce trait commun d’être des espaces de clôture. À Marseille, les immeubles de la modernité figurent des sortes de forteresses. Il n’y a pas à en sortir puisque tous les commerces et tous les services sont disponibles sur place, il n’y a pas à prévoir d’échanges avec les autres espaces urbains voisins : les cités et les immeubles résidentiels, qui sont aussi des cités, sont conçus pour exister les uns à côté des autres, dans une cohabitation sans échanges et sans parole. En ce sens l’urbanisme de Marseille n’est pas un urbanisme de communication et d’échanges, mais ce que l’on pourrait appeler un urbanisme de simple cohabitation.

La circulation et les échanges et les formes de la ségrégation

Mais, tout de même, comme toute anatomie, celle de Marseille repose sur les flux, sur les circulations. Si l’urbanisme de la ville est son identité urbaine sont fondés sur des juxtapositions plutôt que sur des échanges, l’anatomie urbaine repose sur les circulations, sur les réseaux de transports. Il y a donc deux lignes de chemin de fer métropolitain, trois lignes de tramway et beaucoup de lignes d’autobus, dont le rôle est de tenter de dépasser les ségrégations en rendant possibles des échanges et des circulations censés unir les quartiers et les lieux dans une politique unificatrice de transports en commun. Sauf que cela ne fonctionne pas pleinement. D’abord, les transports en commun n’ont pas réussi à débarrasser Marseille du fléau de la voiture particulière qui constitue une forme spécifique de clôture sur soi et de déni de l’existence de l’autre. Les transports en commun n’ont pas réellement été conçus pour mettre fin au règne de la voiture particulière, mais ils n’ont constitué qu’une fonctionnalité de plus, sans vraiment de signification politique et sociale. Par ailleurs, ces transports en commun n’ont pas réussi – mais avaient-ils été réellement conçus pour cela ? – à libérer Marseille des clôtures et des barrières qui la fragmentent, qui font d’elle une ville morcelée. Les transports en commun n’ont pas permis que s’instaurent des circulations et des échanges entre les espaces séparés de la ville, mais peut-être ont-ils, au contraire, renforcé les ségrégations en étant, au fond, utilisés seulement par les classes aisées au lieu de l’être par les classes populaire, comme dans d’autres villes comme Paris. Enfin, les circulations ne consistent pas, à Marseille, dans des parcours entre les espaces et les sites différents de la ville, mais, au contraire, il semble qu’elles aient accepté les ségrégations et les séparations en prolongeant, dans les parcours, l’enfermement des habitantes et des habitants da ville. 

Les ségrégations et les inégalités

Si, à Marseille, les ségrégations ne sont pas raciales, elles persistent sur le plan des appartenances sociales et des pratiques culturelles. Tout se passe comme si les ségrégations sociales avaient continué à exister dan la ville sous la forme des différences entre pratiques sociales et entre pratiques culturelles, entre façons de construire et d’habiter les immeubles et les constructions, entre modes de vie et pratiques politiques et modes d’engagement. Mais, si les ségrégations demeurent aussi fortes que dans le passé, c’est qu’à Marseille, les ségrégations constituent, en réalité, le symptômes de la persistance des inégalités qui l’ont toujours marquée et qui l’empêchent de devenir une véritable ville dont l’urbanité reposerait sur la conception et l’usage d’espaces communs et de lieux partagés. Sans doute se trouve là le véritable enjeu d’une politique municipale de gauche en quoi elle se distinguerait réellement d’une politique de droite. Mais les clôtures, les ségrégations et les inégalités sont devenues si fortes, à Marseille, qu’il faut véritablement reconstruire une ville. La tâche est difficile.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire