Affaire Preziosi : la présidente de 13 habitat prise dans une tempête judiciaire

Nora Preziosi, entourée par des membres de son conseil d'administration et des proches devant le siège de 13 habitat. (Photo : B.G.)

Plus rien ne filtre du siège de 13 habitat, ce bâtiment blanc, un peu décati, aux baies vitrées qui renvoient le soleil de juillet, à Saint-Just (13e). À quelques mètres à peine de l’hôtel du département, le bateau bleu, des policiers s’affairent aux étages de la direction. Plusieurs sources l’indiquent à Marsactu, les policiers de la brigade financière de Marseille perquisitionnent le siège du bailleur social depuis les premières heures de la matinée. “Ils se sont présentés au siège dès 9 heures. Ils sont une dizaine“, indique-t-on en interne à Marsactu.

Souvent, on moque la justice trop lente. Ici, il n’y a que quelques heures qui se sont écoulées depuis l’ouverture d’une enquête préliminaire pour des faits présumés de prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et recel de ces délits. Ce tournant judiciaire fait suite aux révélations de Marsactu, ce lundi, sur les conditions d’attribution d’un logement social, à la mère de Nora Preziosi, dans une résidence détenue par le bailleur social, aux Catalans, à quelques mètres de la mer.

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Présidente de 13 habitat, Nora Preziosi a placé sa mère dans un logement social aux Catalans

Ces révélations ont d’emblée suscité une forte émotion. À la fois chez les partisans de Nora Preziosi, très présents sur les réseaux sociaux dès la parution de notre premier article pour défendre l’intégrité de la présidente du bailleur social et dénoncer une cabale. Mais aussi, à l’inverse, à travers les messages se sont multipliés vers le standard de notre journal comme sur nos boîtes mail pour dénoncer ce qui est vécu comme un passe-droit.

Communication calamiteuse

Dans sa communication, le parquet de Marseille prend bien soin de mentionner “la parution de plusieurs articles faisant état de l’attribution à la mère de Nora Preziosi, présidente de 13 Habitat, d’un logement appartenant à ce bailleur social”. Car la défense qu’a déployé l’office HLM dans les heures qui suivaient nos révélations s’est avérée calamiteuse.

Dans un premier temps, l’office limite volontairement ses réponses. Jointe par Marsactu, Nora Preziosi nous affirme même attendre de lire ce que Marsactu va écrire avant de répondre. Le lundi, après parution, les premiers éléments que l’office fournit en forme de “droit de réponse” viennent ostensiblement répondre à nos interrogations. Selon le service communication du bailleur, Nora Preziosi n’a pas participé à la réunion de la commission d’attribution concernant sa mère, en juin 2023. Son dossier dormait dans la pile des demandes depuis 2021, assure-t-elle. Âgée de 92 ans, sa mère ne pouvait plus vivre dans son appartement de Font-Vert (14e).

Le lendemain, dans la Provence, elle pose les mêmes éléments de langage, mais va plus loin. Elle met en avant ses origines maghrébines, – “Mais là, parce que je m’appelle Nora, ça pose un problème ?” – sous-entendant que ces révélations relèvent d’un mobile raciste. Plus loin, elle assume un passe-droit :

“J’ai dit à mes services : « Le jour où un T4 se libère, vous le gardez pour ma mère. » Est-ce que je n’ai pas le droit d’aider ma mère ? Si on m’accuse, on accuse la commission d’attribution qui a agi de façon souveraine.”

Puis, elle rajoute une couche à l’arsenal de défense. Citant une source proche de la présidente, La Provence met en avant que l’attribution du logement des Catalans s’est faite sur la base du contigent préfectoral que l’État détient au sein du patrimoine de chaque bailleur social qu’il finance et réserve aux personnes dont le besoin de logement est le plus urgent.

Démenti préfectoral

Mais, contactée par Marsactu et La Provence, la préfecture dément avec force que ce logement ait été attribué sur son contingent et même d’avoir été informée de son attribution. Ce démenti cinglant ajoute une épaisseur au trouble qui entoure cette attribution.

L’élue ne donne pas non plus d’explication solide pour expliquer les travaux entrepris au sein de l’appartement des Catalans. Nora Preziosi justifie le montant “effectivement important” de ces réalisations par la vétusté du logis, “le dernier locataire étant arrivé dès l’inauguration de cet immeuble, en 1977”. Or l’ensemble des sources consultées par Marsactu mettent à mal cette version, évoquant un montant de 33 000 euros de factures, qualifié d'”hallucinant“. C’est à cela que se rapporte la mention du “détournement des fonds publics” dans les chefs de prévention formulés par le parquet. L’épluchage minutieux des marchés de travaux des appartements, mis en relocation, et leur attribution, pourrait donc être riche d’enseignements pour les enquêteurs. Bien entendu, la présidente de 13 habitat et l’ensemble de ses collaborateurs, restent à ce stade couverts par la présomption d’innocence.

De la consécration à la catastrophe

Pour Nora Preziosi, la belle histoire tourne au cauchemar. Le 5 octobre 2022, son arrivée à la tête du premier office HLM de la région avait tout de la consécration. Elle, l’enfant des quartiers Nord, qui a grandi au pied des tours de Font-Vert, prend la tête d’un bailleur adossé au département des Bouches-du-Rhône, dont elle demeure la vice-présidente, chargée de la politique de la ville et de la rénovation urbaine.

“Bien au-delà du symbole d’être la première femme présidente de 13 habitat, c’est un message fort de considération auprès des quartiers populaires. Il n’y a pas, selon moi, plus beau message de mérite que le fait de porter à la présidence d’un office public HLM une enfant ayant grandi dans ces quartiers”, peut-on lire dans le communiqué publié par le bailleur dans la foulée de son élection par le conseil d’administration.

Dans le même communiqué, elle prend soin de remercier Martine Vassal, la présidente divers droite du département et de la métropole, “pour son soutien qui se fonde sur une confiance indéfectible construite dans les épreuves“. Interrogé à plusieurs reprises depuis le début de nos révélations, le cabinet de Martine Vassal s’est refusé au moindre commentaire, indiquant, ce jeudi, “ne pas commenter les affaires de justice en cours”.

Les deux femmes politiques se connaissent bien. Elles ont toutes les deux fait partie des élus de Jean-Claude Gaudin, adjointes au maire en 2008 et 2014 à ses côtés. Nora Preziosi a défendu les couleurs de la droite locale à la région, au côté de Renaud Muselier, puis au département, avec Martine Vassal.

En 2020, Nora Preziosi participe à bâtir la liste de la droite dans les 13/14, qui sortira victorieuse dans ce secteur auparavant aux mains du RN.

Mais, surtout, Nora Preziosi a été une pugnace artisane de la victoire de la liste Une volonté pour Marseille, lors des municipales de 2020, dans le 13/14. C’est là que les “épreuves” évoquées prennent tout leur sens. L’élue a patiemment constitué la liste de ce secteur avec des figures engagées de ces quartiers et d’anciens élus comme l’ex-socialiste Denis Rossi ou le général de gendarmerie, David Galtier, la tête de liste. Ce sont eux que l’on retrouve en première ligne sur les réseaux sociaux pour défendre celle qu’ils appellent tout simplement “Nora”. D’autres, de néo élus qu’elle a accompagnés comme Hayat Atia, vont jusqu’à détourner le désormais célèbre “Je suis Charlie”, en “Je suis Nora”, en soutien à celle qui les a fait entrer en politique.

Photo de profil de l’élue municipale d’opposition Hayat Atia.

En 2020, la droite est défaite à l’échelle de la ville, mais ravit les 13/14 au RN. Le soir de la victoire, dans un petit local de Saint-Just où la future maire de secteur, Marion Bareille, remercie ses équipes, Nora Preziosi traverse la salle sans un mot. Si ses protégés célèbrent la prise de la mairie du secteur, elle, est battue. Comme d’autres cadres de la Gaudinie, elle a prudemment choisi de se placer sur la liste des 6/8, derrière Yves Moraine et Martine Vassal, sûrs d’être élus dans ce bastion de la droite locale. Las, le Printemps marseillais y fait un carton et Nora Preziosi se retrouve à la modeste place d’élue d’arrondissements, dans l’opposition.

Elle aura sa revanche, deux ans plus tard, lors des élections départementales où elle est élue dans le 5e canton de Marseille en tandem avec Denis Rossi. C’est cette élection au conseil départemental qui lui ouvre les portes de 13 habitat. Dans le même élan, elle claque les portes d’Habitat Marseille Provence, le logeur de la métropole où elle était entrée en tant que personnalité qualifiée en septembre 2020, puis vice-présidente. Ses relations avec le directeur d’alors, Christian Gil, étaient réputées exécrables, au point qu’elle est allée jusqu’à déposer une main-courante contre lui, pour dénoncer les entraves à ses initiatives.

Reprise en main

À partir d’octobre 2022, elle a désormais toutes les cartes en main en succédant à Lionel Royer-Perreaut. Ce dernier était à la tête de l’office départemental depuis 2015, avec l’accession de Martine Vassal au dernier étage du bateau bleu. Certes, la maison n’est pas aussi rutilante que par le passé. Le patrimoine a vieilli : on ne compte plus les passoires thermiques qui doivent être réhabilitées en urgence sous peine de ne plus pouvoir être louées.

Qu’importe, Nora Preziosi place son mandat sous le signe du volontarisme. Elle annonce un plan d’investissement colossal de quatre milliards d’euros sur 18 ans et décide d’une impopulaire augmentation de loyers pour relancer la machine. En outre, elle remet en branle la commission d’attribution qui double sa fréquence de réunion, dorénavant bihebdomadaire, qu’elle décide de présider elle-même. La présidente assure, main sur le cœur, avoir le souhait de loger les plus nécessiteux, affirmant avoir connu elle-même la galère des fins de mois difficiles dans les quartiers populaires.

Dans le cadre de son installation à la tête de l’office, elle multiplie les initiatives, se met en scène sur les réseaux sociaux, dans sa tournée des différentes communes où l’office a son patrimoine, de Salon au Puy-Saint-Réparade, en passant par Port-Saint-Louis ou Martigues. Dans cette dernière commune, elle doit faire face à une crise d’ampleur avec le glissement de terrain qui manque d’emporter plusieurs bâtiments de Notre-Dame-des-marins.

Tout habillés dans la piscine

Mais, en coulisses, les dents crissent. Son management ne fait pas que des heureux. Le directeur de l’office, Jean-Louis Ervoes, lie son destin à celui de la présidente omnipotente, dans un pas-de-deux, plutôt rare dans le monde feutré des bailleurs sociaux. Le directeur sautera même tout habillé dans la piscine du très sélect Fortin de Corbières, où elle a convié en juin 2023 la totalité de ses agents pour une séance de team-building. Une séquence, là encore, plutôt discordante dans le monde du logement social.

À ce moment-là l’ambiance est encore à l’allégresse. Clairement, 13 habitat peut constituer pour elle un véhicule politique en vue des échéances à venir. Nora Preziosi n’a plus sa carte chez Les Républicains, elle s’est disputée avec Renaud Muselier. Tranquillement, elle place ses fidèles sur la carte politique locale. Hayat Atia défend avec sa bénédiction les couleurs de la majorité présidentielle face au député sortant LFI, Sébastien Delogu, lors des législatives anticipées de juillet 2024. Son fidèle allié, Kader Gasmi, part sous la même bannière, dans la 3e circonscription voisine. Avant qu’elle prenne la tête de l’office, ce dernier siégeait déjà au sein de la commission d’attribution des logements sociaux de 13 habitat. Il y siège toujours. Dans les bureaux du bailleur, la lumière estivale s’est un peu voilée ce jeudi 18 juillet. Lestée par cette affaire, Nora Preziosi voit son avenir politique potentiel s’assombrir.