Affaire Hedi : devant la cour d’appel, un aveu partiel et les détails du lynchage

Reportage
le 4 Août 2023
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L'audience devant la cour d'appel d'Aix est allée bien au-delà du débat autour du maintien en détention du policier incarcéré. Sa demande a été rejetée tandis qu'un autre mis en examen obtenait de reprendre ses fonctions.

Cour d
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Palais Monclar, le 3 août 2023. (Photo : Floriane Chambert)

Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Palais Monclar, le 3 août 2023. (Photo : Floriane Chambert)

Le délibéré était annoncé pour 16 heures. La chambre de l’instruction a manifestement eu besoin d’un peu plus de temps pour se prononcer. Avec près d’une heure de retard, le verdict tombe : Christophe I., le policier incarcéré depuis le 20 juillet, reste en détention provisoire. Le second policier passé devant la cour d’appel d’Aix, Gilles A., se voit alléger son contrôle judiciaire. Il pourra continuer à exercer dans la police durant le temps de l’instruction à condition qu’il ne soit pas affecté sur la voie publique. Deux décisions prises à l’issue d’une audience très attendue.

L’ambiance était bien calme au petit matin. Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, pas un seul rassemblement de policiers pour soutenir leurs deux collègues inquiétés dans l’affaire Hedi. Seules trois personnes, se décrivant elles-mêmes comme des “citoyens lambda” portaient à bout de bras une grande banderole bleu-blanc-rouge. “Respect et soutien total à nos forces de l’ordre”, pouvait-on y lire. Un calme qui tranchait pourtant avec l’agitation suscitée dans les rangs de la police nationale depuis le début de cette affaire. La veille, les syndicats de police lançaient un message d’apaisement. Il a manifestement été entendu. Les seuls policiers présents sur les lieux assuraient la sécurité du palais Monclar.

Pour l’occasion, l’audience de la chambre de l’instruction était délocalisée dans la grande salle de la cour d’assises, plus à même d’accueillir la multitude de journalistes ayant fait le déplacement depuis la capitale pour la plupart. Le box vitré des détenus était encore vide lorsque les juges ont fait leur entrée. Après s’être assuré de la présence de tous les avocats, le président de chambre appelle le dossier de Christophe I. Avant que le visage de son client ne soit révélé, son avocat Pierre Gassend s’empresse de demander le huis clos “pour préserver le secret de l’instruction“. Après quelques minutes de réflexion, les juges rejettent la demande. Peut-être ont-ils considéré que le secret de l’instruction était déjà assez entaché, le Monde ayant publié le matin même le détail du réquisitoire écrit par le parquet général. Aussitôt dit, les escortes font entrer le détenu. Crâne rasé, avant-bras tatoué et t-shirt blanc avec le logo d’une célèbre marque de whisky, l’homme de 35 ans ne semble pas être impressionné par la solennité qui plane dans la salle d’audience.

“L’extrême minimisation” des faits

Le président de la chambre commence par rappeler le cadre de l’audience. L’appel ne concerne que la décision de détention provisoire qui est justifiée par deux critères : le risque de concertation entre co-auteurs et le risque de pression sur la victime. Dans son exposé des faits, il rappelle que la scène s’est déroulée dans le contexte tendu des émeutes, que dans la nuit du 1er au 2 juillet, Hedi est conduit par un commerçant aux urgences gravement blessé à la tête et qu’il déclarera avoir été touché à la tête par un tir de LBD, traîné dans un coin sombre et frappé violemment par plusieurs policiers. Une version déjà relatée dans les médias par le jeune homme après de multiples opérations. Le magistrat expérimenté confirmera également que les quatre policiers mis en examen ont été identifiés grâce aux diverses vidéosurveillances.

Après ce court exposé qui sonnait presque comme un rappel tant les médias s’en sont chargés précédemment, le président aborde la version des faits côté policiers : “Le positionnement des policiers est presque de dire qu’il n’y a pas eu de tirs de LBD, un seul admettra qu’il a donné un coup de pied. Les policiers sont dans une extrême minimisation de ce qu’il s’est passé, pour ne pas dire une dénégation totale“, lance-t-il avant de préciser que Christophe I., pourtant longuement entendu par les enquêteurs, a déclaré qu’il n’était pas l’auteur du tir de LBD. “Il n’y avait pas d’attroupements au sens de la loi, il n’y avait pas de constatation d’infractions commises par la victime ou de menaces faites contre les fonctionnaires de police qui étaient là“, conclut-il.

“J’ai pris la décision de faire usage du LBD”

Sur ces mots, Christophe I. demande à faire une déclaration spontanée. Pris au dépourvu, le président lui accorde cette faveur, en précisant que les propos recueillis seront transmis à la juge d’instruction. Derrière la vitre de son box, le policier se lance alors dans un long récit la voix assurée. Il explique qu’il a croisé deux individus, capuches relevées, sur le cours Lieutaud alors entièrement plongé dans le noir, qu’ils ont marqué un temps d’arrêt et sont allés vers la rue d’Italie avant qu’un des deux ne s’enfuie. Il dit avoir vu Hedi sortir de la rue “en armant son bras poing fermé“. “J’ai pris la décision de faire usage du LBD. L’individu est tombé. Son visage était toujours dissimulé. Un fonctionnaire [de police] l’a extrait au niveau de la rue d’Italie. Après quelques secondes de vérification, j’ai fait quelques pas en direction de mes collègues. Je n’ai constaté aucune tache de sang, j’ai estimé que la situation était gérée par mes collègues. J’ai fait demi-tour et j’ai repris ma position cours Lieutaud“, révèle-t-il.

Son avocat prend le relais. Il insiste lourdement sur le code vestimentaire de la victime ce soir-là. “Il présentait toute la panoplie d’un émeutier, d’un pillard. Quand on vient par curiosité, porteur d’une capuche et d’un masque anti-Covid, à quoi peut-on s’attendre ?“, plaidera-t-il. Des détails repris par le porte-parole national d’Alliance dans ses déclarations à la suite de l’audience. Pierre Gassend ajoute que rien ne prouve que c’est le tir de LBD qui a occasionné les lésions de Hedi, allant même jusqu’à s’étonner qu’il soit en capacité de parler à la presse 48 heures après ses opérations chirurgicales. Sur les critères de la détention provisoire, il estime que le risque de concertation est inexistant, dans la mesure où son client n’a rien vu de ce qui s’est passé avec ses collègues.

Jacques-Antoine Preziosi, l’avocat d’Hedi, le 3 août à Aix-en-Provence. Image : Floriane Chambert

Jacques-Antoine Preziosi ne tarde pas à répondre, pour son client Hedi, absent : “La concertation non frauduleuse a déjà eu lieu. Ils [les quatre policiers] se sont téléphoné à l’instant où ils ont reçu les convocations des enquêteurs. Tout le monde s’est entendu pour dire le moins de choses possibles. Il ne peut pas y avoir d’amnésie collective. Compte tenu de ce précédent, peut-on réellement dire qu’il n’y a pas de risque sérieux de concertation ?“. L’avocat de la victime prend alors à partie le policier alors très attentif dans son box : “Vous êtes dangereux monsieur. La balle a été tirée à 3 mètres. Vous avez visé la tête et mon client a seulement commis la faute de porter un vêtement à capuche“.

Les détails glaçants d’une scène de lynchage

L’avocat général se lève. Ses premiers mots iront aux forces de l’ordre. Il saluera leur dévouement durant le contexte difficile des émeutes. Puis, il poursuit : “Le contexte est connu. Il ne dispense pas de s’attacher aux règles d’intervention et ne permet jamais de s’affranchir des lois essentielles de la République.” Il se met alors à donner le détail de la scène filmée par les caméras de vidéosurveillance : “Caméra rue d’Italie, 1 h 55 : arrivée de la partie civile et de son ami capuches relevées. Caméra de la synagogue, 1 h 56 : les policiers en civil apparaissent et ils prennent la fuite. Il y a un policier sur le trottoir d’en bas. On voit ensuite le plaignant marcher en titubant. Un second policier effectue un balayage, le fait chuter au sol, lui donner deux coups de pieds vers le bassin et le ventre. Ce même policier, se baissant vers le plaignant, donne un nouveau coup de poing. Un troisième policier arrive et lui porte un coup de poing à la tête. Le plaignant se relève, prend un nouveau coup. On le laisse partir à tel point que ce sera un commerçant qui l’amènera à l’hôpital.

Il continue en listant très clairement les éléments objectifs d’ores et déjà établis à ce stade de l’investigation : “On a un plaignant qui n’est pas interpellé en possession de quoi que soit, ne présente pas une attitude qui le laisserait entendre, qui n’apparaît pas en contact avec les fonctionnaires de police, qui s’enfuit et qui chute très lourdement la tête en avant. Le médecin légiste parle d’un objet contondant. La suspicion que sa blessure ait été causée par le tir de LBD est légitime.” L’avocat général finit par demander la confirmation de l’ordonnance de détention provisoire, en le motivant sur le risque de concertation frauduleuse. 

Le dernier mot est laissé au mis en examen. “Il n’y a jamais eu la moindre intention de blesser qui que ce soit. Lors de ce tir, le but n’a jamais été d’impacter la tête de la victime. Je ne suis pas un fou de la gâchette”, précise-t-il en soulignant qu’aucun fonctionnaire de police n’est en capacité de viser spécialement un point précis avec le LBD.

Le président de la chambre de l’instruction clôt les débats. Il annonce alors que l’audience reprendra à 10 h 30 le temps de prendre un dossier à huis clos. A l’heure indiquée, devant la salle d’audience, l’avocat d’Hedi et celui du second policier mis en examen, Arnaud Lucien, sortent. On apprend avec surprise que l’audience a eu lieu, que ce dossier à huis clos, c’était celui de Gilles A. Des débats, on ne connaîtra que ce que Maître Preziosi en dira au sortir de l’audience : “La question, c’était de savoir si cet appelant était un bon policier et qu’il fallait le réintégrer dans la police comme il le demandait. Il a fait valoir qu’il avait des notes de service extraordinaires, que sa hiérarchie le notait bien, qu’il était un bon père de famille avec des enfants étudiants. Le dossier démontre qu’il ment, qu’il n’est pas un bon policier.” Une position que n’a pas adoptée la chambre de l’instruction, sans que l’on comprenne réellement tous les tenants et les aboutissants. Preuve que la justice n’a pas souhaité lever toutes les zones d’ombre qui entourent encore cette affaire.

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Commentaires

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  1. didier L didier L

    Question : pourquoi la Bac poursuit deux jeunes qui partent en courant sans avoir commis semble-t-il la moindre effraction ou infraction, rien d’illégal sinon avoir une capuche sur la tête, alors qu’au même moment des dizaines de personnes – ” émeutiers” – brisaient les vitrines et volaient rue St Ferreol et ailleurs dans le centre ville. Ces policiers manifestement n’étaient pas au bon endroit, leur job étaient de protéger les vitrines, pas de massacrer des jeunes gens qui à cet instant – ni avant – n’avaient rien commis d’illégal. A quoi sert la police ? Dans le cas de ces hommes et de leurs agissements on peut légitimement se poser la question. Violence, manque de maîtrise on peut appeler ça des fautes professionnelles gravissimes.
    J’ai l’impression que d’autres fonctionnaires de l’Etat chargés du maintien de l’ordre – gendarmes, CRS etc …- maitrisent mieux leur comportement et leurs gestes. Est-ce un problème de formation ? de sélection ? Y aurait-il plus de ” cow-boy” dans les Bac que de ” vrais policiers”. Question ?

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  2. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, a exprimé son soutien au fonctionnaire marseillais incarcéré. Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, a indiqué dans un tweet partager l’opinion du patron de la police nationale. Le ministre de l’intérieur Darmanin couvre tout cela et garanti le plus souvent l’impunité de ces policiers-voyous et avec Macron, président, et Borne, première ministre ils sont les plus hauts responsables de tous ces agissements coupables de la et de la dangerosité des moyens utilisés par la police.

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  3. Alceste. Alceste.

    Une chose positive , au moins dans ce dossier , c’est l’utilisation la vidéo-surveillance qui a permis de voir cette scène d’agression et d’en préciser le déroulé. Ces équipements sont utiles contrairement aux imbéciles qui en soupconnent les effets liberticides (mot à la mode en ce moment )

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Mort de rire. Du moins, je le serais, si le sujet n’était pas si grave. Oui, ces équipements sont utiles, à condition d’installer une caméra tous les 20 mètres. Ça en fait combien au total pour le seul linéaire de la voirie marseillaise ? Sinon, il est assez rare que le délinquant qui a envie de passer à l’acte se place juste dans le champ de vision de l’une d’elles. Sans parler de celles qui sont “en panne”, comme celle qui aurait pu permettre d’identifier le policier meurtrier de Zineb Redouane.

      Ce ne sont pas les caméras qui sont liberticides, mais l’usage qu’on en fait. Tout le monde se souvient du projet de la nullicipalité gaudiniste d’installer une “intelligence artificielle” pour en exploiter les images. Le jour où, comme en Chine, nous serons suivis pas à pas dans l’espace public, le mot “liberticide” ne sera plus un “mot à la mode”, mais une réalité.

      Dans un régime policier comme tend à le devenir le régime macroniste, et comme le sera le régime lepéniste qu’on prépare tranquillement pour 2027, ce n’est pas seulement la petite délinquance qui sera traquée par ces appareils, mais aussi et surtout l’activité des opposants politiques.

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  4. Tyresias Tyresias

    Oui, en effet, c’est un usage imprévu mais réel

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  5. RML RML

    Il tire dans la tête à 3 m et dit qu il ne comptait pas blesser. Ils passent à tabac quelqu’un qui a juste fait un bras d honneur si on en croit le policier. C’est plus la police, c’est la milice Wagner. Franchement il faudra lingteavant que la police a Marseille soit crédible, surtout vu le comportement de soutien des collègues

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  6. Alceste. Alceste.

    Electeur du 8e (modèle déposé), je crois qu’il est temps de prendre pour vous le maquis à la Bédoule ou à Carnoux, afin de lutter contre cette dictature qu’est devenue la France et de jouer ainsi le “Pedrolito revolucionario,” version place Delibes .
    8e (modèle déposé) , si vous vous ne voulez pas être “fliqué” commencez par jeter votre carte bancaire, votre carte vitale, votre téléphone portable, votre ordinateur, votre carte de péage ( mauvais exemple vous êtes anti voiture), votre carte RTM, votre abonnement au vélo en ville et votre abonnement à Marsactu , etc. Vous serez ainsi “libre” , libre de quoi ?, je me le demande.
    Toutes les organisations ne sont pas parfaites , surtout si la matière est humaine et les corps d’Etat en font partie. Certains éléments humains de ces organisations ne correspondent pas aux missions confiées à ces organisations , il faut donc les en exclure.C’est la règle. Nous en sommes d’accord.
    Inclusion, liberticide,résilliance,sédition, immersive (le dernier,) des mots que des mots aucun concept , aucune idée ! . Notre mode n’est fait que de communication, du vent en fait, cela dure une quinzaine et nous passons à autre chose.C’est ce qui a tué la Gauche au passage pour sombrer dans la NUPES qui elle, pour le coup ( mot à la mode) est une dictature potentielle car idéologue.
    “L’idéologie est la science des idiots.” disait John ADAMS au XVIIIe , c’est une constante qui ne date pas d’hier.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Vous avez tout à fait raison sur un point : les gens de droite pensent que seule la gauche fait de “l’idéologie” et qu’eux-mêmes n’en font jamais. Comme si les idées de droite n’avaient rien d’idéologique mais reflétaient seulement la nature, la “normalité”, la raison. C’est avec ce “raisonnement que le pitoyable Yves Moraine croyait pouvoir disqualifier ses adversaires politiques.

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  7. Alceste. Alceste.

    Vous avez tout à fait raison les gens de droite pensent que seule la gauche fait de l’idéologie.Mais l’honnêteté intellectuelle aurait été de dire que la gauche pense aussi que seule la droite fait de l’ideologie.Les débats, enfin ce que les journalistes appellent les débats cet hiver à l’Assemblee, en sont la parfaite illustration .
    Je n’ose imaginer un débat con-frontants Bompard et Moraine , et là vous reviendrai la citation de Joh Adams.

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  8. Alceste. Alceste.

    Vous reviendrez à la pensée de John Adams.

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  9. kukulkan kukulkan

    tant qu’ils ne feront pas une large purge dans la police le système sera voué à l’échec et à la violence pire en pire.

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