Affaire Chervet : “La corruption, c’est une pourriture”
Pris la main dans le sac en train de se faire corrompre, Renaud Chervet, un cadre du département, vient d'entendre les réquisitions du parquet à son encontre : sept ans de prison et 200 000 euros d'amende. Son bras droit s'est vu attribuer cinq ans de prison. Le procureur a ainsi souhaité "une décision ferme pour dire qu'à Marseille plus qu’ailleurs, la corruption n’a pas sa place."
Capture d'écran de la vidéo de la corruption de Renaud Chervet par un entrepreneur.
La mosaïque de quatre photos s’affiche sur les sept écrans du tribunal. Le procureur Mathieu Vernaudon a demandé sa diffusion pendant la quasi-totalité de ses deux heures de réquisitoire. Elles constituent en fait un ensemble de quatre captures de la vidéo qui a dévoilé à la justice la corruption de Renaud Chervet, cadre du service de la construction au département des Bouches-du-Rhône. Celle sur laquelle s’est basée l’enquête, l’instruction à la barre et donc l’argumentaire du représentant du parquet de Marseille.
“Nous avons beaucoup souri, avec la diffusion de la vidéo, avec la diffusion d’écoutes mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est avec gravité que je veux prononcer mes réquisitions. […] Ce cliché inspire le dégoût“, pose-t-il rapidement. Pour lui, si ce dossier n’est pas unique, il reste “un modèle du genre dans l’impact et l’ampleur de la corruption”. Il insiste :
“La corruption c’est une pourriture. Cette pourriture, elle a un certain nombre de caractéristiques. On ne sait pas où elle s’arrête. Est-ce que l’adjoint de Renaud Chervet est corrompu ? Est-ce que les chefs de service sont corrompus ? Est-ce que les agents territoriaux sont corrompus ? Est-ce que le directeur juridique est corrompu ? Est-ce que les supérieurs hiérarchiques sont corrompus, est-ce que la directrice générale des services est corrompue ? Est-ce que le président du conseil général est corrompu ? C’est la caractéristique des dossiers de corruption, on sait où elle commence, on ne sait pas où elle s’arrête.”
Le représentant du ministère public doit pourtant se fier au périmètre qu’ont délimité les juges d’instruction. Il ne peut ainsi pas inclure les entreprises qui ont obtenu frauduleusement des marchés, puisqu’il n’a pas été décidé qu’elles seraient jugées. Devant lui, sont prévenus une dizaine d’entrepreneurs qui auraient bénéficié de marchés grâce à l’entremise de Renaud Chervet pour un total de “40 à 50 millions d’euros“. Après une semaine d’audience, il s’interroge sur “le caractère mafieux” du “système” : “Ce n’est pas moi qui ai parlé de parrain, c’est Franck C.*, ce n’est pas moi qui ai parlé de famille, c’est Saïd M.*, ce n’est pas moi qui ai parlé de petit cercle, c’est Renaud Chervet.”
Une “menace” sur le “pacte démocratique”
Les condamnations qu’il réclame sont à la hauteur de cette lecture, au nom de “la menace” que font peser ce genre de comportements sur “le pacte démocratique”. “Cette histoire de mentalité marseillaise appellera une décision ferme pour dire à Marseille plus qu’ailleurs, la corruption n’a pas sa place”, ajoute-t-il. Un retour en prison, après leur détention provisoire en 2016, pour Renaud Chervet (sept ans demandés) et Jérôme Disdier le “numéro 2”, assistant à maîtrise d’ouvrage de la collectivité.
En bas de la hiérarchie des prévenus, le procureur de la République place ceux qui récupéraient moyennant rémunération des informations confidentielles leur permettant de remporter des marchés publics. “N’allez pas penser que les pauvres entrepreneurs étaient des victimes. Tout le monde avait intérêt dans ce système. Il n’y a pas eu d’extorsion, pas eu d’escroquerie”, prévient-il toutefois. Les peines permettent pour tous ceux qui ne sont pas en état de récidive légale, de ne pas connaître la prison. Elles seraient toutes purgées dans le cadre de détention à domicile avec bracelet électronique. Elles vont de quatre ans de prison dont la moitié avec sursis à deux ans avec sursis selon les degrés d’implication, les sommes versées et reçues. Les deux derniers dont Saïd M. l’auteur de la vidéo, déjà condamnés pour des faits d’autre nature, voient réclamer à leur encontre trois ans de prison. À l’instar de Renaud Chervet et Jérôme Disdier, ces réquisitions sont assorties d’une demande de dépôt, ce qui signifierait, si la demande était suivie, une détention qui démarrerait dès le 2 décembre, date à laquelle le tribunal rendra son jugement.
La comparaison avec l’affaire Guérini
Face à des réquisitions perçues comme lourdes, la défense des principaux prévenus n’a pu qu’appeler le tribunal à plus de clémence. “Des dossiers emblématiques, il y en a eu d’autres et pas à la hauteur de ce qui vous a été demandé par le procureur”, pointe Fabrice Giletta pour Jérôme Disdier. “Une certaine unité des peines doit régner dans une juridiction. Il serait déraisonnable de fixer la responsabilité de cet homme à hauteur de sept ans”, insiste Frédéric Monneret, l’avocat de Renaud Chervet. Tous deux pensent alors à l’affaire Guérini : jugé par la même 6e chambre bis du tribunal judiciaire, l’entrepreneur Alexandre Guérini, frère du président du conseil général d’alors, avait écopé de huit ans de prison avant que la cour d’appel d’Aix n’abaisse la peine à six ans.
Frédéric Monneret refuse que l’on fasse un exemple de son client et critique la manière dont a argumenté l’accusation, comparant la diffusion de captures de la vidéo aux “photos les plus odieuses d’un rapport d’autopsie” qu’on diffuserait lors d’un procès criminel. Fabrice Giletta dépeint son client en homme qui se serait laissé griser, son confrère le sien en homme sur le chemin de la réinsertion. Les derniers arguments sont jetés. Jusqu’à mercredi, les avocats des entrepreneurs vont se succéder à la barre. Avec l’espoir, selon les mots de l’un d’eux, Olivier Rosato, que le tribunal ne cède pas au “Marseille bashing”.
* Les anonymisations sont le fait de la rédaction. Nous avons choisi de le faire concernant les prévenus qui n’étaient pas titulaires d’une mission de service public.
Commentaires
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Moralité: Mettre une cagoule ou porter un masque ( de Picsou par exemple) pendant le transfert.
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Merci pour le suivi détaillé de cette affaire.
Un repere que je n’ai pas en tête : cette affaire de corruption a eu lieu sous Guerini ou sous Vassal ?
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Martine Vassal était en poste depuis un an quand a été découverte la combine. Mais l’essentiel s’est déroulé durant le dernier mandat de Jean-Noël Guérini.
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Merci pour cette précision !
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On n’avait pas besoin du proc pour enfoncer une porte ouverte : « la corruption est une pourriture » ! Ça fait sans doute passer un frisson dans le dos mais on sait qu’à Marseille le problème est ailleurs :
– les connivences entre politiciens, clientèle électorale et entreprises bénéficiaires d’achats publics sans oublier les subventions. La particularité dans cette affaire est qu’elle met en cause un fonctionnaire véreux et des entreprises. Mais les politiciens et élus ne sont jamais bien loin ne serait-ce que pour raison de défaut de vigilance de la part de la hiérarchie de ce délinquant.
– le désarmement des moyens police et justice permettant aux délinquants politico financiers de mener leurs affaires
-les condamnations rares et qui finissent par du sursis au bout de procédures interminables faisant la fortune d’avocats payés sur argent des collectivités locales
La vague de médiatisation passée, la poussière retombe. C’est Marseille bébé !
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Un fois de plus apparaît le nom de l’éternel présumé innocent sénateur Guérini. C’est pour quand son jugement en appel ?
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