Accord sur l’achat de La Provence : Niel et Saadé arrêtent les rotatives

Décryptage
le 1 Sep 2022
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Les deux candidats à la reprise de La Provence ont fini par trouver un terrain d'entente, et il passe par l'imprimerie. Le fondateur de Free et propriétaire de Nice-Matin s'est retiré de la course, mais il participera à la création d'une imprimerie dans le Var détenue à parts égales avec le patron de la CMA-CGM. Signant ainsi la fin des rotatives du journal marseillais.

Dans la salle des rotatives de La Provence. (Photo : JML)
Dans la salle des rotatives de La Provence. (Photo : JML)

Dans la salle des rotatives de La Provence. (Photo : JML)

À partir de début 2024, c’est depuis le Cannet-des-Maures que l’actualité foncera au cœur de la nuit vers toute la Provence. C’est là, dans cette commune de 4 300 habitants du centre Var, que Xavier Niel (patron de Free, mais aussi du groupe Nice-Matin) et Rodolphe Saadé (PDG de la CMA-CGM, et bientôt patron du groupe La Provence) vont construire leur imprimerie commune, exactement à mi-chemin entre Nice et Marseille.

L’accord entre les deux milliardaires est scellé depuis le jeudi 25 août : assis côte à côte dans l’avion présidentiel pour Alger, les deux hommes d’affaires, en compétition depuis des mois pour la reprise de La Provence, ont enfin trouvé un terrain d’entente. Xavier Niel a accepté de vendre ses parts à Rodolphe Saadé, qui, en échange, a renoncé à son projet d’imprimerie à Marseille, un engagement pris auprès des salariés. Les deux groupes pourront donc profiter du plan-filière lancé par le gouvernement qui finance la restructuration des centres d’impression de presse s’ils acceptent de mutualiser leurs rotatives.

La Provence (73 365 exemplaires/jour, chiffres ACPM 2021), Nice-Matin (57 793 exemplaires/jour) et Var-Matin (41 927 exemplaires/jour) seront imprimés au même endroit. Pour les deux patrons, les synergies sont évidentes : moins de salariés à employer et le partage, à 50-50, des investissements nécessaires pour la construction du bâtiment, qui n’a pas commencé, ainsi que la modernisation et la maintenance des machines, soit une trentaine de millions d’euros. La direction de l’imprimerie sera, elle, assurée alternativement par les deux groupes.

Question de formats

Mais d’ici début 2024, date à laquelle le nouveau site doit être opérationnel, il va falloir lancer des négociations difficiles. Le diable se cache dans les détails : par exemple, La Provence est imprimée au format berlinois, un grand format, traditionnel en France, alors que Nice-Matin est au format tabloïd, plus petit de moitié. Qui devra adapter sa taille et refaire entièrement sa maquette ?

Logiquement, cela devrait dépendre, en partie, de l’état des rotatives actuelles. Celles de Nice-Matin, de marque Man Roland, sont plus récentes que les KBA de La Provence. Le journal de Gaston Defferre acceptera-t-il cette révolution ? “Il faudra aussi investir dans une imprimante numérique, affirme Thierry Camusso, délégué Filpac-CGT La Provence. De manière à pouvoir imprimer les suppléments, des magazines…”

Une seule imprimerie, mais combien d’ouvriers ?

Cela signifiera aussi former les ouvriers à de nouvelles machines. À condition d’avoir suffisamment de personnel. Car le plan-filière est généreux et les salariés de plus de 55 ans, et donc éligibles au départ, sont nombreux dans les deux groupes. La tentation de partir avec un chèque va être grande. À Nice-Matin, un tiers des 21 ouvriers du livre rotativistes pourrait partir, ainsi que trois cadres. À La Provence, sur 70 ouvriers du livre, “une trentaine sont éligibles, et possiblement très intéressés”, selon Thierry Camusso.

Resteraient donc une cinquantaine de salariés, alors que soixante seraient nécessaires pour faire tourner les machines, selon les premières estimations des organisations syndicales. Le rapport de force n’est pas forcément en faveur de la direction, comme en témoigne le syndicaliste. Lui se réjouit de l’accord trouvé entre Niel et Saadé : “la CGT est majoritaire à Nice-Matin, et avec l’ajout de nos propres forces à La Provence, nous serons majoritaires dans la nouvelle imprimerie. Et on s’entendra toujours, en famille…”, prévient-il. Une manière amicale, mais non dépourvue de sous-entendus, d’aborder des négociations qui devront être bouclées en janvier pour bénéficier du plan gouvernemental.

Boucler avant l’OM

Enfin, il faudra également revoir la logistique en profondeur : aujourd’hui, les deux groupes impriment les dernières éditions, destinées aux communes les plus proches du lieu de production, à minuit. Il est possible de décaler à minuit trente quand l’actualité l’exige, comme les soirs de matchs de l’OM ou de l’OGC Nice : Marseille et Nice, mais plus globalement les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône, sont ainsi assurées d’avoir les analyses post-match en kiosque dès l’aube.

En revanche, ce n’est pas toujours possible pour les communes les plus éloignées, dans le Haut-Vaucluse, par exemple pour La Provence, ou dans le Haut-Var pour Nice-Matin. Or, “pour Marseille et Nice, cela va devenir plus complexe désormais d’attendre la fin du match et d’avoir un bouclage tardif, puisque les journaux devront toujours être livrés à la même heure, alors qu’ils seront imprimés à 1h30 de camion”, prévient Rodolphe Peté, délégué syndical SNJ Var-Matin. Des ajustements délicats à trancher, mais qui ne devraient, cette fois-ci, pas se régler devant les tribunaux.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Si le journal “La Provence” passe au format “tabloïd”, j’arrêterai de le récupérer au Bar . Trop petit pour l’épluchage des légumes.

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  2. jemamo13 jemamo13

    les milliardaires sont content, la CGT aussi . Mais oui en effet c’est grave si tout le monde ne peut connaitre le résultat de l’ OM à la une.

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  3. Alceste. Alceste.

    On peut d’ailleurs se poser la question de savoir en matière de distribution, comment fait le quotidien l’Equipe, qui lui arrive à distribuer nationalement en temps et en heure son édition quotidienne. Mais mauvais un jour, mauvais toujours .
    Patafanari,ne soyez pas négatif, le nouveau format proposé par la Provence sera très bien adapté comme papier toilettes.

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  4. Marc13016 Marc13016

    Bienvenu à M. Rodolphe Saadé dans le club des milliardaires détenteur d’un “titre” (de presse) ! Qui sait, il sera peut être un vrai patron de presse, outre un patron de porte-conteneurs. Pour le vérifier, très simple : on va voir si dans l’année qui vient, la Provence lève un bon gros dossier subversif, ou intelligent, ou dérangeant. Ou si elle reste dans le sirupeux et le consensuel.
    Hé oui, ça se mérite, le “titre” …

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  5. Lucien LAURENT Lucien LAURENT

    Je crois que marsactu a de beaux jours devant lui

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  6. Oreo Oreo

    Une imprimerie dans le centre Var… Logique, les industriels tombent d’accord, toujours, sur le dos de l’environnement et s’emploient avec constance à detruire le monde.

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    • Avicenne Avicenne

      N’oubliez pas que ces 2 milliardaires vont « profiter du plan filière « du gouvernement !
      Combien de millions ?
      J’avais oublié : c’est pour la pluralité de la presse.
      À La Provence, comme à La Marseillaise, des milliers d’exemplaires font «  retour à l’envoyeur «  car les adresses des abonnés ne sont pas tenues à jour, la charge est lourde pour La Poste puisqu’elle n’est pas rémunérée pour ce service.
      Mais qu’importe puisqu’il peuvent afficher: tant d’abonnés ( c’est valable pour Nice et Corse matin ).

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  7. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Soucieux de ne pas me limiter aux informations diffusées par la « bonne presse »,
    quand ils sont ouverts, j’achète « La Marseillaise » chez les derniers kiosquiers . À défaut je l’achète dans le rayon presse d’une grande surface ,à proximité du stade « Orange ». La clientèle de cet établissement est plutôt conservatrice…… Pourtant, les distributeurs de La Marseillaise ,l’approvisionnent quotidiennement avec au minimum une dizaine d’exemplaires, qui ne seront pas vendus.Sur un an cela fait plus de 3000 exemplaires qui iront au « bouillon ».. Au demeurant ,prudemment, les autres quotidiens de L’Humanité à La Croix en passant par Libé, déposent seulement dans le présentoir deux ou trois exemplaires. Y a-t-il quelqu’un à « La Marseillaise » ou ailleurs qui suive la diffusion du journal dans les points de vente ?

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  8. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    « L’accord entre les deux milliardaires est scellé depuis le jeudi 25 août : assis côte à côte dans l’avion présidentiel pour Alger, les deux hommes d’affaires, en compétition depuis des mois pour la reprise de La Provence, ont enfin trouvé un terrain d’entente. ».

    Cette phrase de l’article ne me semble pas avoir attiré l’attention qu’elle mérite car c’est un peu comme si Macron a été l’artisan de cet accord en invitant ces deux patrons dans l’avion officiel. C’est tout à fait révélateur de la non indépendance de cette presse là ou plutôt de son étroite dépendance des super-riches et du pouvoir qui les représente dans l’Etat tel qu’il fonctionne actuellement.

    On nous parle beaucoup de la « liberté-d’expression- qui- est-l’un-des fondements-de-la république » alors que certains organes d’information indépendants ont les plus grandes difficultés pour se maintenir sur le plan financier alors que d’autres sont très largement financés pour essayer d’imposer une pensée unique et ils y réussissent malheureusement assez bien.
    Par ailleurs, concernant les affaires du « géant marseillais » ainsi que l’appelle le JDD il faut savoir que « tout juste publiés, ses profits engrangés au cours des six derniers mois s’élèvent déjà à 14,8 milliards d’euros, contre 16,8 milliards sur douze mois l’an dernier. « Ils sont très bons », reconnaît du bout des lèvres le PDG en visioconférence; des profits qui ont donc presque doublés.

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