À Tarascon, la papeterie polluante impunie rentrera-t-elle dans les clous ?
Par sa production de pâte à papier, Fibre excellence Tarascon génère d'importants rejets de particules, de métaux lourds et de produits chimiques dans l'air du voisinage et l'eau du Rhône. Depuis fin mai, l'usine est à l'arrêt pour des travaux de mise en conformité. L'industriel promet qu'il se conformera enfin aux normes au redémarrage prochain de l'unité.
Fibre excellence, l'usine de papeterie de Tarascon est régulièrement pointée du doigt pour ses rejets.(Photo : PID)
L’usine de pâte à papier Fibre Excellence Tarascon et le collectif « Halte à la pollution de Fibre Excellence » – composé de citoyens et d’une dizaine d’associations – sont à couteaux tirés. « Nous voulons que Fibre Excellence travaille dans le respect de l’environnement, de la santé des riverains et de ses employés », résume Philippe Chansigaud, force vive du collectif et président de l’Association pour la Défense de l’Environnement Rural (ADER). L’association porte une plainte au pénal depuis février 2017 pour « mise en danger de la vie d’autrui, pollution atmosphérique et pollution des eaux superficielles et souterraines ».
Fibre Excellence envisage des plaintes pour « diffamation » à l’égard de ses détracteurs qui raconteraient « tout et n’importe quoi », dit Marie-Caroline Garnier, la responsable de la communication qui a pris du temps sur ses vacances aoûtiennes pour répondre aux interrogations de Marsactu. L’usine est arrêtée depuis fin mai pour de grands travaux. Conformément à un arrêté préfectoral, elle devait se mettre en conformité au dernier jour de juin. De fait, les rejets sont temporairement à l’arrêt.
Cocktail toxique en bord de Rhône
Fibre Excellence est une filiale du géant indonésien Asia Pulp & Paper (APP), régulièrement brocardé par les ONG environnementales pour ses pratiques entraînant la déforestation des forêts indonésiennes. La filiale française a été constituée au moment du rachat en 2010 des sites, avec Saint-Gaudens en Haute-Garonne, du canadien Tembec. À Tarascon, classée Seveso 2, elle transforme jusqu’à 1,2 millions de tonnes de bois en 250.000 tonnes de pâte à papier par an. Cette industrie s’est implantée en 1951 au milieu des vignes et des vergers. « Dans les années 1970, les poussières rendaient les cultures impropres à la consommation », se souvient Daniel Gilles, un paysan riverain septuagénaire. L’usine a été reconstruite en 1981. Les nuisances n’ont pas pris fin pour autant. Par mistral, du côté d’Arles, « ça sent Tarascon », disent les locaux. « Des odeurs très fortes de chlore et de souffre », percevait Michel Duffy, un tarasconnais membre du collectif. Jusque là, les riverains retrouvaient fréquemment des poussières noires dans leurs piscines ou sur leur terrasses.
« Halte à la pollution de Fibre Excellence » s’inquiète de l’impact sur la santé, en particulier sur celle des enfants de l’école du Petit Castelet, voisine de quelques centaines de mètres, et sur celle des usagers de la base nautique de Beaucaire, à moins de 3 km en amont sur le Rhône. Bernard Giral, médecin à Fontvieille depuis 45 ans, un village des Alpilles situé sous le mistral de Tarascon, observe « un envahissement de cancers ». Aucune étude ne permet d’établir une causalité avec les activités papetières. Mais un diagnostic de territoire de l’observatoire régional de santé de 2016 interroge. Il montre que Tarascon et l’ouest des Alpilles souffrent d’un taux de surmortalité de 14 points de plus que la moyenne en Paca.
Après une inspection à l’usine en 2016, la Direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL) a reconnu que les dépassements de seuil réglementaire étaient 14 fois supérieurs pour les poussières, 12 fois supérieurs pour le cadmium, 6 fois supérieurs pour les autres métaux lourds et 3 fois supérieurs pour les gaz oxydes d’azote. Pour 2016 également, l’agence de l’eau estime les rejets de Fibre Excellence dans le Rhône à 4.000 tonnes de matières en suspension (MES), 3 tonnes de métaux lourds, 66 tonnes de phosphore et 104 tonnes de chlore. Cela fait de l’entreprise “le principal pollueur du bassin du Rhône”, considère l’agence de l’eau.
Incidents à répétition
Tout aussi alarmant, le site industriel est le théâtre d’incendies récurrents. Celui du 4 novembre 2017 a emporté 1.000 tonnes de copeaux stockés dans le silo à bois et de l’amiante. Dans un arrêté pris le 12 décembre, la préfecture demandait de « faire réaliser une campagne de mesure des retombées de particules et de concentrations de fibres d’amiante ».
Dans la nuit du 30 au 31 mai, un nouvel événement a touché le silo à bois. La presse locale a parlé d’un incendie qui a mobilisé 40 pompiers. Pour Marie-Caroline Garnier, responsable de la communication à Fibre Excellence, il s’agissait d’un « léger dégagement de fumées sur le haut du silo en cours de travaux de rénovation ». Dans une lettre au préfet, adressée le 16 juin, le collectif considère que « ces incendies à répétition démontrent une carence dans le système de sécurité ». Il demande « les résultats de l’enquête judiciaire et la nature des pollutions générées ». « Il n’y a aucun impact sur le milieu ni sur les travaux en cours », affirme la communicante de Fibre Excellence.
Autre incident selon le collectif, dans la nuit du 8 au 9 juin, une mauvaise manipulation aurait contribué au déversement de bioxyde de chlore dans le Rhône, « en quantité significative ». Selon Marie-Caroline Garnier, il y a bien eu un incident, qui se serait déroulé le 30 mai au cours duquel « 4 m3 environ de bioxyde ont été envoyés en station d’épuration ». Pour Philippe Chansigaud, « l’usine est hors-de-contrôle ». Avant l’été, Philippe Agut, le directeur du site a démissionné. Marie-Caroline Garnier nous le confirme en évoquant des « raisons personnelles. Le nom du nouveau directeur sera annoncé en interne en septembre », complète-elle.
Depuis 2010, la préfecture a accumulé les prises d’arrêtés de mises en conformité, sans que ceux-ci ne soient jamais suivis de sanctions lorsqu’ils n’ont pas été respectés. Le sous-préfet d’Arles, Michel Chpilevsky, se montre lui soucieux de la préservation des 270 emplois de ce site dans un bassin au 13% de chômage (11% dans les Bouches-du-Rhône). Son recensement ne prend pas en compte « les emplois agricoles et touristiques qui pourraient être impactés par les pollutions », regrette Xavier Body, le directeur de la base nautique de Beaucaire. « Pour autant, cette préoccupation majeure pour l’emploi n’est en rien prioritaire sur les conditions de santé des riverains et le respect des règles environnementales », a assuré le sous-préfet à France 3 en février 2018. Actuellement en congés, le sous-préfet d’Arles, Michel Chpilevsky, n’a pas pu répondre à nos questions. Nous avons eu des précisions du service de la communication de la préfecture..
Sur la voie des normes ?
Depuis fin 2017, Air Paca, rebaptisé récemment Atmo Sud, l’organisme de mesure de la qualité de l’air en Paca, est missionné pour assurer un suivi des particules fines de moins de 10 micromètres, les PM10, à l’école du Petit Castelet. Pour une zone rurale, les valeurs relevés en PM10 sont « comparables aux mesures des villes du département », assure la préfecture. Sauf que l’on observe certains jours (voir graphique ci-dessous) des valeurs dépassant fortement celles des grands centre-villes.
« Si vous regardez les mesures depuis le mois de juillet, alors que l’usine ne fonctionnait pas, les valeurs sont équivalentes aux centre-villes. C’est la preuve que les pollutions sont aussi à rechercher ailleurs », brandit Marie-Caroline Garnier. « Les pics de valeurs correspondent aux jours de vent durant lesquels les particules sont rabattus vers le capteur. Si les valeurs sont équivalentes aux centres-villes hors période de production, c’est que des particules pourraient provenir des stockages de bois », nuance Xavier Villetard, le directeur opérationnel d’Atmo Sud. « Le seuil de recommandation et d’information fixé à 50 microgrammes par m3 a été dépassé sur 2 jours depuis le 22 décembre 2017. 35 dépassements sont autorisés par an », se satisfait la préfecture.
De son côté, le collectif regrette que les mesures ne prennent pas en compte d’autres polluants dont en particulier les PM2,5 qui pénètrent plus profondément dans les bronches.
Atmo Sud va poursuivre ses mesures au moins jusqu’en décembre et livrer une analyse détaillée des polluants au premier trimestre 2019. Un « protocole d’investigation complémentaire » a été mis en place par l’agence Santé Publique France en collaboration avec Atmo Sud et des médecins relais « pour approfondir le recensement des plaintes avec la description des pathologies et symptômes observés chez les patients », tel que précise un communiqué de la préfecture après la réunion du comité de suivi de site (CSS) de mars.
La chargée de communication de Fibre Excellence ne nie pas l’état de pollution. Désormais, « faire en sorte que cette usine soit la plus propre possible est la condition sine qua non de sa réussite », plaide-t-elle. Pour la préfecture, « depuis un an, la situation s’est améliorée. Les rejets de la chaudière à liqueur noire sont conformes à 100%. Ceux de la chaudière à écorces sont conformes à 78% ». Selon Marie-Caroline Garnier, l’usine est prête à redémarrer depuis la dernière semaine de juillet. « Nous attendons l’autorisation de la préfecture et la fin de la période de risque liée à l’ozone », ajoute-t-elle. L’usine devrait donc bientôt se remettre à tourner. D’ici octobre, un électrofiltre devrait être installé sur l’évacuation de la chaudière à liqueur noire. C’est un début d’amélioration qui s’annonce. Les services de l’Etat se montreront-ils enfin à la hauteur pour sonner la fin définitive de ce scandale de pollution, laissé en jachère depuis 8 ans ?
Le coup de pouce de Nicolas Hulot
Interpellés par le collectif « Halte à la pollution de Fibre Excellence », Nicolas Hulot et son ministère de la Transition écologique et solidaire* n’ont pour l’instant pas réagi. A contrario, le ministre a donné une formidable occasion à l’industriel de verdir son image. Fibre Excellence Tarascon produit aussi de l’électricité. Les chaudières à écorces et à liqueur noire font tourner une turbine à vapeur de 12 MW. Le 28 février, le ministre a annoncé 11 lauréats pour le développement de l’électricité à base de biomasse, qui « seront soutenues par un complément de rémunération garanti pendant 20 ans ». Celui de Fibre Excellence Tarascon, de remplacer la turbine actuelle par une turbine de 25 MW, en fait partie. Il est même de loin le plus important des lauréats.
* Contacté, le ministère de la transition écologique et solidaire n’a pas souhaité nous répondre.
Commentaires
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Quand on sait que les préfets et sous-préfets touchent des indemnités qui sont fonction notamment de l’évolution du taux de chômage sur leur territoire, peut-on espérer une autre position de leur part ? C’est le même problème à la raffinerie Total de La Mède. On vend la planète et notre santé pour quelques dizaines d’emplois…
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On demande aux particuliers de faire l’effort d’économiser l’eau et l’électricité, de trier leurs déchets, de privilégier les transports en commun, etc., tous gestes certes indispensables aujourd’hui. Mais ils ne doivent pas masquer la mansuétude dont bénéficient les grands industriels, responsables de la majeure partie des atteintes à l’environnement. On sait que plus de 70 % des émissions de carbone sur la planète sont imputables à une centaine d’entreprises seulement. Mais personne ne bouge une oreille face à cette réalité : le chantage à l’emploi fonctionne à plein, et le court terme l’emporte par KO face au long terme.
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