À Plan-de-Cuques, pour bloquer un programme de logements sociaux tous les moyens sont bons
Dans la commune limitrophe de Marseille, un chantier de construction comportant six logements sociaux est bloqué depuis plusieurs mois. La mairie a d'abord interdit l'accès des tractopelles au terrain, puis donné un avis défavorable pour l'obtention de l'aide à la pierre par ce programme.
Le programme immobilier d'Aquipierre est censé voir le jour au 17, rue Georges-Clemenceau. (Photo : Violette Artaud)
“Mon cousin s’est renseigné pour se loger là-bas, mais finalement, le programme immobilier ne verra pas le jour : le maire n’en veut pas !” De son immeuble situé à quelques minutes à pied du centre-ville, Huguette* voit très bien le terrain vague rempli de gravats, juste en face. “Ça devait être du logement social. Mais il parait que la mairie a carrément essayé de racheter le terrain pour éviter qu’ils construisent…”, croit-elle savoir. Cette Plandecuquoise d’un certain âge estime que la démolition d’une veille bâtisse abandonnée à cet endroit a pris fin il y a plus d’un an. Et depuis, rien ne bouge. Pourtant, à l’entrée de cette parcelle de 885 m², un panneau affiche toujours un permis de construire délivré en 2019 pour la “construction d’un immeuble en R+3 de 18 logements dont 6 sociaux impliquant une démolition”.
Le promoteur immobilier chargé du projet, Aquipierre, n’a souhaité commenter l’affaire auprès de Marsactu que via son avocat, Romain Geoffret. Ce dernier vient de remporter une première manche dans le bras de fer qui l’oppose à la mairie de Plan-de-Cuques. Depuis le 28 octobre 2020, cette dernière avait en effet interdit aux véhicules de plus de dix tonnes de circuler sur les deux voies menant au chantier, rue Georges-Clemenceau. Or, la pelleteuse censée se rendre sur le terrain pour évacuer les gravats que voit Huguette depuis sa fenêtre fait justement plus de dix tonnes.
“Le maire ne veut pas de ce projet et a pris cet arrêté pour enclaver le terrain d’assise du chantier”, accuse Romain Geoffret. Une décision “injustifiée et disproportionnée”, estime encore dans sa requête l’avocat d’Aquipierre. Pour lui, cela constitue même “un détournement de pouvoir”.
En attendant de juger le dossier sur le fond, la justice a décidé le 19 octobre dernier qu’il y avait urgence à suspendre la décision municipale bloquant le déroulement du chantier. Et reconnaît “un doute sérieux quant à la légalité de la décision”. Elle a donc enjoint la mairie de Plan-de-Cuques à délivrer dans les sept jours une dérogation à l’arrêté litigieux. Ce que cette dernière a fait le 26 octobre dernier. Pour le promoteur, il semble clair que jusqu’ici, la mairie a voulu bloquer ce chantier.
La mairie invoque des questions de sécurité
“Ça, c’est l’interprétation du promoteur, rétorque d’abord Laurent Simon, le maire LR de Plan-de-Cuques. Ils auraient très bien pu poursuivre avec des véhicules de moins de dix tonnes.” Selon lui, cette décision répondrait à un impératif de sécurité. “Il y a dans ce périmètre un groupe scolaire avec 450 enfants, une médiathèque, une salle polyvalente, une cantine scolaire. Limiter la circulation des camions à cet endroit est une question de sécurité évidente.”
Mon prédécesseur a accordé un permis de construire, mais ce n’est pas l’endroit où il fallait construire. Sur ce terrain, il fallait un parking.
Laurent Simon, maire de Plan-de-Cuques
Mais, Laurent Simon explique vite qu’il n’est pas non plus favorable au projet sur le fond. “Mon prédécesseur a accordé un permis de construire, mais ce n’est pas l’endroit où il fallait construire. Sur ce terrain, il fallait un parking”, poursuit-il. Le fait que le projet comprenne des logements sociaux expliquerait-il son opposition assumée au projet ? Le maire jure que non : “Je n’ai aucun problème avec le logement social”, répète-t-il à plusieurs reprises. Avant d’admettre, du bout des lèvres, avoir “peut-être dit” qu’il ne voulait pas de logement social lors d’une réunion avec le promoteur. Selon nos informations, un enregistrement clandestin de cette entrevue aurait été produit devant la justice.
“En tout cas, [aujourd’hui], je ne le pense pas. Ce que je reproche à ce projet ce n’est pas tellement qu’il comprenne du logement social, mais l’endroit où il est implanté. J’aurais le même avis si c’était du haut standing”, insiste-t-il. Pour prouver sa bonne foi, le maire de Plan-de-Cuques affirme avoir trois projets en cours qui comportent du logement social. Le plus avancé prévoit de construire rue Bailly de Suffren (à près de deux kilomètres du centre-ville) 85 logements dont 26 sociaux. Soit 30 % du programme, comme l’oblige le plan local d’urbanisme. L’élu LR ajoute : “Nous sommes sur un territoire très contraint par rapport au foncier. C’est très compliqué de construire du logement social neuf.”
Deuxième blocage : l’aide à la pierre
Suite à cette première décision de justice, rue Georges-Clémenceau, le chantier donc va pouvoir reprendre. Mais un autre obstacle se trouve désormais sur la route du promoteur. En effet, Aquipierre n’est pas sûr de disposer des financements nécessaires à la poursuite des travaux. Et le maire de Plan-de-Cuques n’y est pas pour rien. Pour comprendre, un petit cours de finances publiques s’impose : lorsque des logements construits sont ensuite loués à bas coût, constructeurs et bailleurs sociaux peuvent demander une aide de l’État afin de respecter un certain équilibre financier, l’aide à la pierre. Celle-ci est conditionnée à un agrément, sorte de Graal du logement social, délivré par la métropole.
Dans le cas du programme plandecuquois d’Aquipierre, cet agrément “a été donné, puis refusé”, indique Jean-Philippe D’Issernio, directeur départemental des territoires et de la mer (DDTM), qui chapeaute la question du logement pour l’État. Or, au sein d’Aix-Marseille Provence métropole, les maires font partie des personnes consultées dans l’étude de ces dossiers. “C’est dans ce cadre que l’agrément nous a été refusé, le maire de Plan-de-Cuques n’a pas donné son accord “, complète Pierre Fournon, le directeur régional de la CDC Habitat, le bailleur social de la Caisse des dépôts à qui Aquipierre a vendu une partie de son opération. Contactés, ni le service communication de la métropole, ni le vice-président en charge du logement n’ont répondu à nos demandes d’éclaircissement.
“Un argument absurde et incohérent”
Laurent Simon, lui, confirme s’être opposé à l’agrément. “J’ai suivi l’avis de la DDTM qui voulait augmenter le taux de logement social dans ce programme. Ce que refuse le promoteur”, jure l’édile. Un argumentaire qui agace l’avocat d’Aquipierre : “Le maire ne veut pas de notre projet et les faits sont accablants pour lui. On ne peut pas en plus reprocher à un acteur privé de ne pas faire assez de logements sociaux dans un programme qui en contient, pour lequel il a obtenu un permis de construire. Qui plus est dans une commune qui en manque.” Plan-de-Cuques fait en effet partie des 34 communes des Bouches-du-Rhône qui ont terminé l’année 2020 avec une pénalité infligée par la préfecture car elles n’avaient pas rempli leurs objectifs en termes de logements sociaux.
Comment peut-on à la fois s’opposer à un projet et dire qu’il devrait comporter plus de logements sociaux ?
Alain Ofcard, directeur adjoint de la DDTM
Du côté de la DDTM, on explique ne pas bien comprendre la logique du maire de Plan-de-Cuques. “S’il veut faire plus de logement social, il n’y a pas de problème. Mais cet argument est complétement absurde et comporte des incohérences”, réagit Alain Ofcard, directeur adjoint de ce service d’État. Ce dernier s’interroge : “Comment peut-on à la fois s’opposer à un projet et dire qu’il devrait comporter plus de logements sociaux ? Ce projet existe parce qu’il a un permis de construire sur un terrain donné”.
Entre 2017 et 2019, 118 logements sociaux ont été construits à Plan-de-Cuques, soit 43 % de l’objectif total, fixé à plus de 400 logements. “Un objectif inatteignable”, se défend Laurent Simon arrivé sur le siège de maire en 2020. Depuis, aucun logement social n’est sorti de terre dans sa commune, dans un contexte certes marqué par la pandémie. “Dans les mairies volontaires, on fait en sorte de faciliter les choses. Et l’agrément est précieux pour faire avancer les programmes”, réagit le directeur adjoint de la DDTM.
Décidé à débloquer son aide à la pierre, le promoteur a entamé une nouvelle procédure contre la métropole. Dans le même temps, le dialogue n’est pas coupé avec la mairie et des négociations sont ouvertes pour trouver un terrain d’entente. L’hypothèse d’un accord financier mettant fin au projet tout en dédommageant l’entreprise n’est plus exclue.
*Le prénom a été modifié
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
“Sur ce terrain, il fallait un parking” : est-ce que ce maire se rend compte de l’indécence qu’il y a à affirmer que loger des bagnoles est plus important que loger des êtres humains ?
Par ailleurs, il y a dans ce pays une règle de continuité qui, heureusement, implique que les décisions prises par une autorité politique et administrative survivent aux élections. Ce maire n’est pas d’accord avec un permis délivré par son prédécesseur, mais il s’impose à lui comme à tout le monde.
Se connecter pour écrire un commentaire.
La loi est très mal faite. Le logement est un droit pour tous, y compris pour les citoyens qui ont de petits revenus et les municipalités se doivent d’obéir à la loi. Las celle-ci ne pénalise que peu les cités contrevenantes. Il faudrait centupler le montant des amendes budgétaires, et aussi emprisonner les maires responsables de crapuleries au logement social.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Bravo pour la décentralisation qui a donné de tel pouvoir de nuisance aux maires
Se connecter pour écrire un commentaire.
ce problème d’abus de pouvoir des maires qui imposent de ne pas respecter leur PLU est tellement récurrent dans la région, c’est le principal frain à la construction, autant que la rareté du foncier selon moi (et je bosse là dedans). Bref l’Etat, s’il tenait vraiment à la mixité sociale, devrait mettre son nez là dedans et reprendre la main sur le logement et le logement social en France (via les DDTM ?)
Se connecter pour écrire un commentaire.