À Martigues, Bourvil, Fernandel, la cuisine au beurre et le marché public douteux

La sculpture est installée en plein cœur de Martigues. (Photo : site internet office du tourisme de Martigues)

La cuisine au beurre et les doigts dans le pot de confiture ? Une sculpture représentant une scène du célèbre film mettant en scène Fernandel et Bourvil est au cœur d’une affaire judiciaire de probité. La Ville de Martigues a inauguré en février 2020 un bronze représentant les deux acteurs commandée au sculpteur toulousain Sébastien Langloÿs. Elle a été posée sur le quai Aristide-Briand, dans le quartier de l’Île, là-même où, au début des années 60, avait été tournée une des scènes marquantes de la comédie de Gilles Grangier.

Mais la séquence qui intéresse la justice se déroule bien avant que les passants puissent profiter des trois chaises vides pour immortaliser leur rencontre avec les deux monstres sacrés du cinéma français. Elle s’intéresse aux modalités de mise en concurrence qui ont présidé au choix de l’auteur de l’œuvre. Elle estime que celle-ci ne s’est pas faite dans les règles de l’art et que tous les candidats ne sont pas partis sur la même ligne de départ. Déjà auteur d’une autre statue sur le port pour le compte de la mairie, Le pêcheur et la ramendeuse, Sébastien Langloÿs aurait-il été avantagé ?

Soupçons d'”atteinte à l’égalité des candidats”

Le parquet d’Aix-en-Provence a en tout cas estimé qu’il avait réuni suffisamment d’indices pour convoquer un procès pour “atteinte à la liberté d’accès où à l’égalité des candidats dans les marchés publics”, nous confirme le procureur de la République, Jean-Luc Blachon. Deux anciens adjoints du maire Gaby Charroux, Alain Salducci (tourisme) et Patrick Cravero (commande publique), seront jugés le 24 mai 2023 par le tribunal judiciaire. Pour avoir “procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié”, ils risquent jusqu’à deux ans de prison et 200 000 euros d’amende.

L’œil de la justice a été initialement attiré par un sculpteur concurrent de Sébastien Langloÿs, lui aussi candidat à la réalisation de l’œuvre quand la Ville de Martigues a lancé son concours en mai 2019. Mais alors qu’il pensait pouvoir participer à la loyale, il dit avoir obtenu de son fondeur habituel une information stipulant que Langloÿs avait été prévenu en amont des intentions de la mairie. “[Quand] j’ai posé ma demande de devis auprès de [mon] fondeur pour « La cuisine au beurre », il m’a précisé qu’un de ses clients lui avait fait une demande fin 2018 pour le même sujet ! Une maquette en argile était déjà exécutée…”, écrivait-il à Gaby Charroux dès juillet 2019 dans un courrier que Marsactu a pu consulter.

Une statue à 75 000 euros

Son signalement a prospéré lors de l’enquête menée par la police judiciaire de Marseille. S’il ne s’agit certainement pas du plus gros marché de la Ville de Martigues, Sébastien Langloÿs, qui n’a pas donné suite à notre sollicitation, a tout de même facturé sa statue 75 000 euros. Le concurrent proposait une offre plus chère mais il estime, compte tenu des informations dont il a été destinataire, qu’il n’avait pas autant de temps que son concurrent pour la peaufiner.

Marsactu n’a pas été en mesure de joindre Patrick Cravero avant la publication de cet article. Alain Salducci a, en revanche, confirmé sa convocation en justice après avoir été entendu “en décembre dernier”. “Je n’ai pas encore accès au dossier. Je pense avoir respecté les règles, je ne peux pas vous en dire plus, on verra exactement ce qui m’est reproché et on se défendra à la barre”, assure-t-il. Histoire que La cuisine au beurre ne fasse pas les choux gras de la chronique judiciaire.