À Marseille, la structure d’aide aux demandeurs d’asile a pénalisé des dizaines de migrants
Entre novembre et janvier, la structure d'accueil des demandeurs d'asile marseillaise a égaré plusieurs dizaines de courriers recommandés. Dans la plupart des cas il s'agissait de notifications cruciales pour leurs procédures, qui réceptionnées trop tard, ont pu occasionner la sortie de la procédure d'asile, la perte des allocations et la fin de l'hébergement d'urgence.
La structure d'accueil des demandeurs d'asile à Belsunce (Image LC)
“Le premier cas, on a dit au client qu’il avait dû rater le courrier. Mais les cas se sont accumulés au fil des jours. Les gens recevaient un message qui les informait qu’ils perdaient leur droit au recours, à l’hébergement et à leur statut de demandeur d’asile, c’est dramatique”. C’est au mois de décembre que Flora Gilbert, avocate marseillaise spécialisée dans le droit des étrangers, a commencé à nourrir de sérieuses inquiétudes concernant les procédures suivies à la SPADA locale. Cette structure de premier accueil des demandeurs d’asile (ex-PADA) est le point de contact des étrangers souhaitant déposer une demande de protection dans la région. Tout au long de leur procédure, qui peut durer des mois, voire des années, s’il ne leur est pas proposé d’hébergement – ce qui est particulièrement fréquent même si contraire à la loi – la SPADA reste leur principal lieu de référence pour être tenu au courant de l’avancée de leur dossier, et recevoir tous leurs courriers.
Entre novembre 2019 et janvier 2020, l’avocate et le collectif militant de défense des migrants Al Manba, soupçonne que des dizaines de courriers n’aient pas été remis à leurs destinataires, entraînant pour eux jusqu’à une rupture de leur procédure, et avec elle, leur droit au séjour sur le territoire français et à l’allocation des demandeurs d’asile (autour de 400 euros mensuels au maximum).
Précisément, ce sont les notifications de décision de l’OFPRA, l’office chargé par le gouvernement d’étudier les demandes d’asile, qui ne sont pas parvenues à leurs destinataires. Après passage en entretien à Paris, l’OFPRA donne sa réponse à la demande. S’il s’agit d’un refus, celui-ci dispose d’un mois pour faire appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Autant dire que chaque jour compte.
“Je reçois des SMS qui disent qu’on m’a coupé l’argent, pourquoi ?”
L’avocate a recensé 86 de ces situations, et le collectif Al Manba estime même que 150 demandeurs auraient pu être affectés. “Et il y a beaucoup de gens qui n’ont pas dû comprendre que le problème venait de la SPADA”, souligne Pierre, militant bénévole qui accompagne l’association des usagers de la SPADA. “Les gens venaient à la permanence juridique du Manba pour nous dire “je reçois des sms qui disent qu’on m’a coupé l’argent, pourquoi ?” En novembre, puis en décembre, il y en a eu de plus en plus. À un moment, forcément, il y a eu un dysfonctionnement interne”.
Avocats et militants affirment alors avoir pris contact avec Forum réfugiés, l’association qui gère la structure marseillaise dans le cadre d’un marché public depuis 2016 (lire notre article sur le changement de gestionnaire). “En face il y a eu un déni du problème”, estime Pierre. “On a tenté des solutions à l’amiable dans un premier temps”, complète Flora Gilbert. “Ils savaient qu’il y avait eu un vrai problème et il n’en ont pas assumé la responsabilité, ils auraient pu écrire aux institutions pour demander un délai, ils ne l’ont pas fait”, déplore l’avocate.
Forum réfugiés reconnaît “une erreur qui n’aurait jamais dû arriver”
Contacté, Forum réfugiés répond par la voix de son directeur général national, Jean-François Ploquin. Il reconnaît “une erreur qui n’aurait jamais dû arriver”. “Il y a eu un incident suite à un changement dans le mode de distribution du courrier par le bureau de poste dans la distribution des courriers recommandés. Il a fallu plusieurs semaines pour s’en rendre compte”, précise-t-il. Pour le dire plus simplement, ce sont les avis de passage du facteur pour des lettres recommandées qui auraient été perdus, alors qu’auparavant, celui-ci remettait directement les recommandés à la SPADA.
Lors de cette prise de conscience tardive, en janvier, la SPADA a informé les concernés via son site internet et par SMS de leur courrier à venir récupérer. Selon Jean-François Ploquin, seules 28 personnes n’ont pas pu être jointes et ont donc été mises en difficulté. “Nous gérons 6000 à 7000 courriers par mois. Sur des années de fonctionnement, c’est une première, mais c’est une de trop”, plaide-t-il.
Des personnes se sont retrouvées déboutées de leur procédures du jour au lendemain, sorties des hôtels où elles étaient hébergées, avec leurs allocations coupées
Pour plusieurs sources internes à l’association, le chiffre avancé par Jean-François Ploquin est largement minimisé, puisqu’il ne prend pas en compte les personnes qui ont été informées du courrier à retirer avec plusieurs semaines de retard, ou juste à la veille du délai, les mettant de toute façon en grandes difficultés pour faire valoir leurs droits. “On parle de 250 avis de passage pour des courriers recommandés perdus, retrouvés dans une boîte, glisse un salarié sous couvert d’anonymat. Tous n’étaient pas des décisions OFPRA, mais ça donne une idée de l’ampleur du problème Des personnes se sont retrouvées déboutées de leur procédures du jour au lendemain, sorties des hôtels où elles étaient hébergées, avec leurs allocations coupées.“ Ils rejoignaient ainsi les nombreuse personnes se retrouvant déjà souvent à dormir à la rue, à proximité de la plateforme (lire notre article sur le nettoyage de ce lieu en mars 2019).
“Pour chacun des dossiers, on n’a de cesse de faire en sorte de suivre les situations des personnes. On leur doit de réparer la situation. C’est un impératif, notre responsabilité est engagée.”, répond le directeur général. Pour permettre aux personnes concernées de faire valoir leurs droits, des demandes d’aide juridictionnelle ont été lancées et la structure a demandé la reprise des allocations quand elles avaient été coupées.
Ces tentatives pour rattraper la situation n’ont pas été sans turbulences, et ne convainquent pas du tout les défenseurs des demandeurs d’asile. “Ils ont envoyé des recours sommaires à la CNDA [la cour nationale du droit d’asile, instance où les réfugiés peuvent faire appel du rejet de leur demande d’asile, ndlr] à la hâte soit hors délai, soit de façon minimale avec une simple feuille avec écrit “je conteste la décision”. ce n’est pas sérieux, c’est forcément vite traité”, déplore Flora Gilbert. D’ordinaire, les salariés de la SPADA ne s’occupent pas de ces procédures de recours, ils ont donc dû improviser pour réparer la bourde.
Un “dysfonctionnement global”
En réponse à la perte des courriers, mais aussi à une prise en charge que beaucoup jugent de plus en plus sommaire, une association des usagers de la SPADA a vu le jour en mars dernier. Elle compte aujourd’hui 150 adhérents et a inscrit dans ses statuts la possibilité d’aller en justice au nom de ses membres. “La SPADA a le rôle de prendre tous les courriers, c’est important parce qu’il y a des délais, rappelle Amadou Siradio Diallo, son président, lui-même réfugié. Parfois, pour le courrier, tu peux attendre deux heures, trois heures, et parfois tu ne peux pas du tout le récupérer, il y a des bagarres, des couteaux. Il n’y a pas d’organisation pour mettre tout ça dans les normes, c’est tout le temps le désordre.” Fin mars, l’association a directement sollicité l’OFII (Office français pour l’immigration et l’intégration) pour rétablir les droits à l’allocation des demandeurs d’asile de six personnes, et a obtenu satisfaction pour deux d’entre elles.
“C’est très grave, insiste un observateur coutumier de la SPADA au sujet de la perte de ces courriers. La distribution du courrier est une des obligations du marché qui lie Forum réfugiés à l’Etat. Ces gens ont été privés de leurs droits par une association censée les protéger”. Comme beaucoup de personnes interrogées, il pointe une structure en souffrance chronique.
Plusieurs sources avancent l’erreur d’un nouveau salarié inexpérimenté pour expliquer la perte des courriers, mais toutes évoquent avant tout une pression ingérable, avec un très fort turn over. “Personne ne reste plus d’un an”, déclare un salarié qui explique que l’incident est devenu “un tabou” en interne. “Si un salarié fait une faute, ce n’est pas normal qu’on mette trois mois à s’en rendre compte, c’est la preuve d’un dysfonctionnement global“, reprend l’observateur cité plus haut.
L’année dernière nous avons suivi près de 7000 personnes
Jean-François Ploquin
“C’est une des plus grosses SPADA de France, la première hors Île-de-France. L’année dernière nous avons suivi près de 7000 personnes”, veut mettre en perspective le directeur général de Forum réfugiés qui admet que la structure, qui emploie 19 salariés, travaille dans “un contexte avec beaucoup d’inertie. Il est difficile de s’ajuster dans le contexte d’un marché public. On est en permanence dans un arbitrage entre un accompagnement idéal et pouvoir recevoir tout le monde”. Jean-François Ploquin rappelle aussi qu’en théorie, ne devraient être suivies par la SPADA qu’une minorité de demandeurs d’asile n’ayant pas de prise en charge en centre d’hébergement où un suivi social est intégré. Sauf que depuis des années, le nombre de places dans ces centres est nettement insuffisant, dans les Bouches-du-Rhône comme dans le reste de la France.
La SPADA marseillaise est actuellement en plein déménagement pour rejoindre des locaux plus spacieux près du métro Bougainville. Une perspective qui devrait permettre un meilleur accueil, en privilégiant la prise de rendez-vous, et des files d’attente moins tendues. Même si plusieurs observateurs pointent le risque, en s’éloignant du centre-ville, de perdre son rôle de lieu repère pour les migrants fraîchement débarqués à Marseille.
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