À Marignane, sur ces terres du Front où les droites se confondent

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le 11 Déc 2015
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Au premier tour des régionales, les électeurs marignanais ont voté à 57,64% pour Marion Maréchal-Le Pen. Rien d'étonnant sur cette terre où les frontières entre la droite et son extrême sont depuis longtemps abolies.

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L'une des entrées de Marignane avec les rares affiches des régionales.

L'une des entrées de Marignane avec les rares affiches des régionales.

Trois jours avant le second tour des élections régionales, il faut faire sept ronds-points diversement décorés avant de trouver des affiches des deux derniers candidats en lice, Christian Estrosi et Marion Maréchal-Le Pen. Dans une terre qui a offert 57,63% des suffrages au FN lors du premier tour (contre 17,39 % au candidat LR) on imaginait la ville couverte de flammes frontistes. Mais ce patchwork indéfini de lotissements crépis, de résidences plus ou moins fermées et de zones d’activités est plutôt repeint aux couleurs de Noël. Régulièrement, un avion déchire le ciel puis la ville retombe dans son train-train d’avant-fête.

Le centre-ville bat à un rythme lent.

Le centre-ville bat à un rythme lent.

Nul besoin pour les militants frontistes de battre le pavé et d’appeler à la mobilisation patriotique. La ville comme sa voisine Saint-Victoret (59,73 %) y votent FN des deux mains. Le maire divers-droite Le Dissès ne s’y est pas trompé au soir du premier tour. Devant la caméra de Maritima.info, il analyse le vote marignanais sans pincette sur le nez : “Il est temps d’écouter le peuple gronder (…). Castaner fait le score que fait la gauche sur Marignane, c’est à dire 10%. Estrosi qui était [sic] un bon candidat paie la politique non souhaitée par la population française. Les partis traditionnels doivent entendre ce que les gens ont à dire et ne diabolisent pas un parti qui est aujourd’hui le premier parti de France”. Lui-même “indépendant” a été élu maire en 2014 dès le premier tour (53,22 %) loin devant la liste du FN mené par René Amodru (17,82 %). À Marignane, les électeurs frontistes sont les siens et les frontières partidaires sont depuis longtemps un concept dépassé.

“Mieux avant”

Sur la zone piétonne qui a remplacé la départementale D6c au pied de l’hôtel de ville, les chalets du marché de Noël sont en pleine installation. Deux marignanais sexagénaires y goûtent le tiède soleil de décembre. L’un a voté Estrosi, le second Le Pen et même s’ils choisiront le même bulletin dimanche prochain, ils ont plein d’idées – pas toujours neuves – en commun. “C’était mieux avant”, soupire le second, rapatrié de Tunisie, arrivé en 1973 “quand Marignane était un village”. “Il n’y avait pas tous ces lotissements”, opine le premier. “Et puis il n’y avait pas non plus ces Maghrébins, ces Turcs et ces Kurdes. Vous savez qu’ils ont leur propre épicerie avec des produits écrits dans leur langue ? Ce qui a changé, c’est le vivre-ensemble”, avance-t-il en guise d’explication du vote FN.

Le centre-ville de Marignane

Le centre-ville de Marignane

Ils pensent tous les deux que Daniel Simonpiéri a fait un bon premier mandat sous les couleurs du FN, avant d’être réélu sous l’étiquette MNR, puis battu sous celle de l’UMP. Cette capacité à transcender les lignes date du maire historique de la ville, Laurens Deleuil élu sans étiquette de 1947 à 1995 mais “bien de droite” quand même. C’est lui qui a accompagné la transformation de Marignane. D’un petit village provençal de 5000 habitants, elle est devenue une ville moyenne de 27 500 habitants en 1971.

La ville s’est bâtie vite comme beaucoup de communes péri-urbaines : un centre ancien qui dépérit, une mosaïque de quartiers résidentiels et de zones économiques avec l’aéroport et l’usine Airbus Helicopter en poumon économique. Les rives de l’étang de Berre accueillent de nombreux rapatriés d’Algérie. Marignane est une capitale pied-noir de l’Ouest de Marseille comme Carnoux à l’Est.

Stirbois en treillis

Ces derniers n’ont pas voté immédiatement pour le Front national. Pierre Manfredi s’en souvient, il était candidat suppléant aux législatives en 1973 sous les couleurs de qui n’était alors qu’un groupuscule d’extrême-droite. “Nous avions fait 2,5%”, sourit l’ancien premier adjoint de Simonpiéri. Ce Lorrain de naissance est un compagnon de route de Jean-Marie Le Pen depuis les années 60, “je l’ai rejoint parce qu’il soutenait l’Algérie française. Sans être pied-noir, j’étais sensible à cette cause”.

L'élu municipal FN, Pierre Manfredi devant l'hôtel de ville de Marignane.

L’élu municipal FN, Pierre Manfredi devant l’hôtel de ville de Marignane.

Au début des années 70, sa société le mute dans le Sud où il atterrit sans renier ses idées. Il y crée la première section FN sous les auspices bienveillants de Laurens Deleuil, dit-il aujourd’hui. “Je ne le dirais pas comme ça, raconte une source en mairie qui a bien connu les édiles successifs. Disons que le maire avait un œil sur tout et ne négligeait aucune tendance. En 1985, il ne s’est pas opposé à ce que Jean-Marie Le Pen vienne faire un grand méchoui dans la commune.” À l’époque c’est Jean-Pierre Stirbois, n°2 du mouvement, qui est pressenti pour faire de la ville un fief FN. “On le voyait se balader dans les rues en treillis, reprend notre témoin. Mais il est décédé peu après d’un accident de voiture. Au final, Deleuil n’a jamais eu de liste FN face à lui.” 

Pierre Manfredi confirme : il était bien candidat sur une liste divers droite en 1989 en compagnie de Daniel Simonpieri. “On s’est pris une tôle et je lui ai dit que c’était la dernière fois qu’on se présentait sur une liste d’alliance”. En 1995, Simonpieri se présente face au successeur de Deleuil et l’emporte. “On l’appelait le Chirac du FN. Il était charismatique”. Manfredi est de tous ses mandats même quand celui-ci passe au MNR de Bruno Mégret puis entre dans la machine à laver de l’UMP. “Gaudin lui a promis qu’il serait élu à vie si jamais il quittait le FN et l’autre l’a cru”, sourit ce pur et dur du parti. Pierre Manfredi finira par démissionner en 2005 après que ce dernier se présente sans étiquette face à un candidat FN aux élections cantonales. Avant de retrouver un siège au conseil municipal en 2014 sous le deuxième mandat de Le Dissès.

Cœur mort

En arpentant les rues à peine animées de cette fin de matinée, l’élu FN pointe les rideaux baissés des boutiques de l’avenue Jean-Jaurès, une sur deux ou quasiment. Quant aux maisons du cœur villageois, elles sont pour beaucoup murées. Dix d’entre elles font l’objet d’un projet de rénovation qui peine à démarrer. “Le projet existait déjà du temps de Deleuil”, sourit Manfredi qui lui non plus n’en fait pas une priorité.

Le centre ancien de Marignane attend toujours sa réhabilitation.

Le centre ancien de Marignane attend toujours sa réhabilitation.

On y croise des habitants d’origine maghrébine qui passent comme des ombres dans les venelles désertes. Pourtant le militant l’assure : le samedi, jour du marché, c’est une “invasion”. “J’ai des amis lorrains qui sont venus, ils étaient effrayés”, assure-t-il. Pour l’heure, c’est l’absence de vie qui est la plus effrayante. “Voilà le centre-ville”, en pointant un bout de cours provençal absolument désert. Parmi les passants, Pierre Manfredi croise beaucoup d’amis. Les policiers municipaux le saluent par son nom. Quand on lui serre la main, il précise après-coup : “C’est un sympathisant”.

“Philippot peut-être…”

Il n’y a pas besoin de trop pousser les gens. Fernard Diget habite la cité 13 Habitat de La Chaume, juste à côté du parc Florida, les quartiers Est de Marignane. L’énergique petit homme d’origine pied-noir l’assure : “Je suis arrivé en 1962 et vote FN depuis 1983. Avant j’étais au RPR parce qu’ils étaient contre le programme commun de la gauche. J’étais même conseiller fédéral du parti. Mais je n’ai pas supporté qu’on me dise de faire voter Mitterrand pour battre Giscard en 81”.

Le musée Raimu, fierté de Marignane.

Le musée Raimu, fierté de Marignane.

Plus loin, un autre sympathisant, lorrain comme lui, l’apostrophe : “Alors Marion, elle va l’emporter dimanche ?” Pierre Manfredi fait la moue : “Ça va pas être facile. Par contre, par chez nous, Philippot peut-être…” Le militant ne se fait guère d’illusion, il craint le front républicain. Mais il a de l’admiration pour la petite-fille Le Pen, “elle est plus brillante que sa tante”.

En revanche, il ne la suit pas sur la suppression des subventions au planning familial“Ce n’est pas exactement ce qu’elle a dit mais trop tard, cela va nous enlever le vote des femmes”. Lui qui a connu les montagnes russes de la popularité FN des années 80, 90 et 2000 se satisfait de voir les idées du FN banalisées, “mais il ne faut que les gens se fassent d’illusions. S’il votent pour nous c’est parce qu’il y a 5 millions de chômeurs. Droite comme gauche, personne n’a rien fait contre ça. Mais ce n’est pas parce qu’on est au pouvoir qu’on va rouvrir les usines”.

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