À l’Assemblée, la CMA-CGM décrit un journal La Provence en liberté surveillée
L'audition désormais publique du patron de la CMA-CGM Rodolphe Saadé et des dirigeants de sa filiale médias a suscité de vives réactions au sein du quotidien marseillais, toujours secoué par la mise à pied du directeur de la rédaction, finalement réintégré.
Le siège du quotidien La Provence, à Marseille.
Secret commercial en pleine négociation pour le rachat de BFM TV, RMC ou encore BFM Marseille oblige, l’audition n’avait pas été diffusée en direct le 27 mars. Mais la publication du rapport de la commission d’enquête sur la télévision numérique terrestre donne l’occasion de lire l’expression du patron de la CMA-CGM, Rodolphe Saadé et des dirigeants de sa filiale Whynot media Jean-Christophe Tortora et Laurent Guimier. Quelques jours après la dernière grève au sein de La Provence, tous trois ont subi le flot de questions des députés, surtout du rapporteur membre de La France insoumise, Aurélien Saintoul.
Rodolphe Saadé a notamment dû s’exprimer sur la situation qui avait mené à la suspension du directeur de la rédaction Aurélien Viers suit au choix de la une sur le dur retour au quotidien des habitants de La Castellane après la visite du président de la République. “Les équipes de Whynot media, en l’occurrence Jean-Christophe Tortora, m’ont tenu informé d’une crise à La Provence à la suite de la parution d’une une qui ne respectait pas les valeurs du groupe CMA-CGM. J’ai demandé à Jean-Christophe de gérer la situation et de prendre les mesures qui s’imposaient pour trouver une solution afin que les valeurs du groupe et l’indépendance de la rédaction soient respectées”, affirme-t-il. Une manière de confirmer son intervention et d’énoncer que le titre La Provence doit respecter les “valeurs” de la multinationale qui le possède, que Rodolphe Saadé définit comme “universelles” : “le travail, l’audace, l’ambition, la volonté, l’éthique et le pluralisme”.
Une charte d’indépendance toujours attendue
La sortie a fait grincer quelques dents au sein du journal où l’on note que la très attendue charte d’indépendance et de déontologie attend depuis trois semaines la signature du grand patron. “La direction de Whynot media a été dans la boucle des discussions. On espère qu’on n’aura pas de mauvaise surprise et qu’il validera les propositions”, souffle-t-on en interne. Cette charte prévoit notamment la création d’un comité composé de journalistes qui étudieraient les problèmes déontologiques et pourraient être saisis par un salarié comme par un lecteur et dont les avis seraient rendus publics. Promise pour “le 15 avril”, a rappelé l’intersyndicale dans un communiqué, cette charte faisait partie de l’accord de fin de conflit quand sous la pression conjuguée des salariés en grève et de leur soutien, Aurélien Viers avait repris ses fonctions.
Mais c’est une autre déclaration sur cet épisode qui a dérangé le Syndicat national des journalistes, la CFDT et la CFE-CGC, signée Jean-Christophe Tortora. “Les syndicats et les journalistes[…] ont reconnu que l’affichage, en une, d’une citation dont on ignore l’auteur crée automatiquement une ambiguïté”, avait déclaré le directeur général de Whynot media, précédemment propriétaire de La Tribune. “Parjure”, répondent les syndicats : “C’est faux. […] Cette une [est le] fruit d’un travail collectif dont nous pouvons au contraire nous enorgueillir. […] Un correctif sera donc adressé au rapporteur Aurélien Saintoul.”
La situation a laissé des traces que la CMA-CGM ne semblait alors pas réaliser réellement. “Toute la rédaction est démoralisée depuis cet épisode alors que la dynamique était en train de prendre”, remarque un cadre. “Je ne sais pas si on ne va pas avoir encore un volant de départs assez conséquent comme la clause de cession [le dispositif qui permet à un journaliste de partir aux conditions d’un licenciement en cas de changement d’actionnaire, ndlr] est encore ouverte”, renchérit un journaliste. La rédaction perd déjà progressivement une trentaine de postes depuis l’arrivée de son nouvel actionnaire unique. Ces départs nécessitent une redéfinition toujours en cours du projet éditorial porté par Aurélien Viers et validé lors d’un vote par les journalistes.
“On n’avait pas intégré à quel point la CMA-CGM est partout”
La couverture éditoriale est complexe avec un actionnaire omniprésent dans la ville et puissant au point que chaque ministre de passage rencontre ce patron. Quelques jours avant d’inaugurer Tangram, le centre de formation du groupe, Emmanuel Macron a donné une interview groupée aux deux médias du groupe, La Tribune dimanche et La Provence. “On n’avait pas forcément intégré à quel point la CMA-CGM est partout, jusque dans la rénovation de Notre-Dame-de-la-Garde [financée en partie par la fondation CMA-CGM]“, s’émeut le rédacteur cité plus haut.
L’effet groupe devrait se renforcer si l’on en croit le discours de Rodolphe Saadé :
Lors de l’acquisition de La Provence, je n’avais pas nécessairement l’intention de continuer à développer un groupe de presse. Mais, très vite, je me suis rendu compte qu’un média ne pouvait être pérenne en restant isolé : pour être compétitif, il doit pouvoir s’appuyer sur un pôle plus important. Cela permet, par exemple, de proposer aux clients une offre publicitaire élargie, de bénéficier de journalistes experts en leur domaine et de partager les coûts de développement, comme dans le digital. Le rapprochement avec Altice Media constituerait une nouvelle étape pour Whynot Media. […] Nous pourrions envisager de nouveaux partenariats entre les médias du groupe. Les journalistes de La Provence et de La Tribune, par exemple, pourront intervenir davantage et s’exprimer sur les plateaux radio et télévisés. Inversement, RMC pourrait utilement apporter à La Provence son expertise dans le domaine sportif.
Selon nos informations, une renégociation serrée des droits d’auteur est actuellement en cours pour évoquer notamment ces mutualisations, déjà initiées avec La Tribune et Corse-matin, qui crispent une partie des journalistes. “Nous n’entendons pas défaire l’héritage et l’histoire de chacun de ces médias. Les rédactions resteront indépendantes et ne fusionneront pas”, désamorçait devant la commission d’enquête Jean-Christophe Tortora.
Ces rapprochements ont en tout cas un intérêt économique. Après avoir perdu 10 millions d’euros environ en 2023, La Provence est toujours en difficulté en 2024 avec, selon nos informations, un déficit d’exploitation d’1,5 million d’euros sur le seul mois de janvier.
Commentaires
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à la lecture de ses déclarations on comprend mieux pourquoi saade est un “bon” patron !
on comprend mieux aussi : La Provence doit respecter les “valeurs” de la multinationale qui le possède, que Rodolphe Saadé définit comme “universelles” : “le travail, l’audace, l’ambition, la volonté, l’éthique et le pluralisme”.
évidemment, c’est devenu un des meilleurs amis de macron !
bon courage aux journalistes qui tentent de faire leur métier dans ces conditions.
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C’est bizarre, je pensais jusqu’à présent que les journalistes devaient respecter uniquement les valeurs de leur profession : déontologie, honnêteté intellectuelle, rigueur, “objectivité”…
J’apprends donc que celles d’un patron de droit divin leur sont aussi opposables.
Vive la presse indépendante, qui n’a pas besoin de faire censurer ses “unes” par un actionnaire interventionniste, quelle que soit son “importance” dans l’économie.
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Une belle leçon d’épistémologie.
Nous démarrons sur une leçon de grands principes sue le journalisme, l’indépendance de la rédaction,la liberté d’opinion ,etc.
Puis decrescendo , on ” découvre” que la Provence est aussi une entreprise qui perd au bas mot entre 10 et 15 millions et que là il fait bien que le propriétaire comble .Il faut quand même reconnaître au passage que la qualité du contenu a bien évolué favorablement.
Tout cela pour finir sur les droits d’auteurs.La chair est faible face aux grands principes.
Un journal est une entreprise comme une autre. Il y a un ou des propriétaires/actionnaires.
Inévitablement dans le contenu il y a la “patte” des parties prenantes .J’ai rarement vu dans la Marseille ou l’Humanite une rédaction pro MEDEF sauf dans la partie ” libre opinion” comme dans le Monde.
Après, les journalistes sont humains ,ils vont aussi ou le vent les poussent. Certains sont passés du Point au Nouvel Obs.C’est dire le grand écart intellectuel.
Une belle leçon d’épistémologie,
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alors, NON, un journal n’est pas une entreprise comme une autre.
une entreprise “comme une autre” c’est la définition du libéralisme effrené qu’on voit à l’oeuvre dans la presse depuis une grosse trentaine d’années.
aujourd’hui seulement 4, voire 5 patrons d’entreprises possèdent quasiment l’ensemble des medias.
un journal d’opinion a effectivement une “couleur”, mais aujourd’hui c’est l’opinion du propriétaire qui prévaut dans la ligne éditoriale.
évidemment, une entreprise doit rapporter, et on se trouve loin aujourd’hui des chartes d’indépendance, de l’ethique et de la déontologie des journalistes.
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Toute cela incite à réfléchir sur le “système” médiatique qui est sensé nous informer, nous autres nobles citoyens …
Certains penseurs soutiennent que chaque citoyen, justement, devrait contribuer directement à un journal de son choix, au stade de sa feuille d’impôt, selon un barème fiscal. A creuser, je suis pas loin d’adhérer : le journal en question ne serait plus tributaire d’un généreux patron qui se chargerait de lui apprendre les bonnes “valeurs” …
Pour autant, je continue à parcourir La Provence en attendant mon steak frites à midi … Je vais peut être demander à mes resto préférés de s’abonner aussi à La Marseillaise ! Je pourrais aussi bouquiner Marsactu sur mon téléphone, mais franchement, un si petit écran pour les infos locales, bof !
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oui, sympa l’idée d’une contribution…c’est ce qui se passait avec la redevance télé, qui avait permis de sanctuariser le budget d’un service public d’info, qui avait une certaine autonomie.
mais ça ne suffisait pas à nos grands penseurs gouvernementaux,qui ne controlaient pasassez, et qui l’ont donc supprimée, et qui décident aujourd’hui du budget alloué aux télés et radios publiques.
on et en train de voir ce que ça donne : des directions qui ne se risquent en aucun cas de faire de la peine au pouvoir en place, et qui agissent en conséquence : il faut plaire pour avoir des sous !
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Chers amis , pas besoin de se tourner toujours vers l’Etat ( maladie bien française). qui donne déjà avec nos impôts un peu plus de 110 M€ au profit de ce secteur, sans compter la petite niche fiscale supplémentaire dont bénéficient les journalistes à hauteur de 7600 euros , la noblesse du métier sans doute.
Les défenseurs de la pluralité de la presse si “nombreux” et “si motivés” ont dans le passé eu l’occasion de démontrer leurs motivations avec “La Marseillaise” et le “Râvi”. Résultat Lou Ravi est mort et la Marseillaise sauvée par les contribuables communistes ou non de la mairie de Martigues.
En tous cas les lecteurs n’étaient plus au rendez vous de ces deux titres lors de l’achat quotidien ou mensuel ou bien encore par le nombre d’abonnements.
Un journal qui n’a pas ou plus de lecteurs disparaît. C’est la vie et la liste est longue : l’Aurore;Combat;France Soir;Le Matin de Paris;Le Quotidien de Paris. Que des journaux d’opinions, au passage.
Petit commentaire , le Matin de Paris était remarquable.
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