À la SAS des Baumettes, les détenus préparent leur sortie un pied dedans, un pas dehors
Destinée aux courtes peines, la structure d’accompagnement à la sortie, lancée en juin 2018, aide pendant plusieurs mois ces blessés de la vie à préparer au mieux leur libération. Alors que la prison est encore décrite comme une machine à récidiver, la SAS ambitionne de faire reculer les chiffres en donnant du sens à la peine.
Un des couloirs de la SAS. Photo : Fériel Alouti
“Je ne veux pas que mes enfants deviennent comme moi”, explique Hakim (1), 43 ans, assis face à une conseillère pôle emploi qui le reçoit dans un préfabriqué arrosé d’un soleil d’hiver. Ce matin-là, malgré ses traits tirés, il semble rempli de bonnes volontés. Après trois condamnations pour violences et quinze ans dans le deal, il se met à rêver d’une autre vie. Pour lui, pour sa compagne mais surtout pour ses deux fils, âgés de 10 et 13 ans. “Pour reprendre goût au travail”, Hakim aimerait commencer par un mi-temps. Il s’imagine bien tailleur de pierre ou jardinier. Mais il ne sera plus vendeur de cannabis en bas d’une tour HLM décrépie. “Ils me disent : « quand tu reviens, on te donne 1 500 euros par semaine », mais y’a trop de morts…”
Alors pour rebondir, la conseillère lui propose d’intégrer à sa sortie de prison un chantier d’insertion. Les 20 heures par semaine, dont six heures d’accompagnement professionnel, seront payées au Smic. “Pendant le chantier, vous pouvez vous inscrire au permis en passant par une auto-école solidaire, et trouver un appartement. Trois belles étapes”, lui fait remarquer la jeune femme tout en lui détaillant le programme des prochaines semaines. D’abord, organiser des entretiens individuels pour apprendre à parler de son projet, ensuite planifier une rencontre avec l’association qui gère le chantier. “Au recruteur, il faut lui parler du futur, pas de ce qu’il s’est passé auparavant. Ça, vous le balayez en une seule phrase”, lui conseille-t-elle.
Trois Sas en ProvenceLe gouvernement a pour projet de créer 2 500 places en SAS – dont les trois quarts vont sortir de terre – d’ici la fin du quinquennat. En PACA, trois établissements doivent voir le jour : à Avignon (120 places), Toulon (180 places) et Aix-en-Provence (80 places). Depuis l’ouverture de la SAS des Baumettes, deux autres ont ouvert à Metz et à Villejuif. Pour le reste, « rien ne se fera avant les municipales », dit-on à l’administration pénitentiaire, de nombreux élus étant réticents à accueillir dans leur centre-ville ce type d’établissement.
Hakim est arrivé à la SAS il y a près d’un mois après avoir réanimé son codétenu qui tentait de se suicider. “Ici, on t’aide pour tout. Même les dents on va me les refaire alors que les autres fois, on me laissait sortir comme un chien”, relève-t-il, laissant apparaître un sourire abîmé. Située dans l’ancienne maison d’arrêt pour femmes, la structure d’accompagnement à la sortie (SAS) tente de prévenir la récidive des courte peines, “les oubliées de la prise en charge”, relève Aurore Cayssials, directrice de la SAS depuis son ouverture à titre expérimental, en juin 2018. Dans cette prison sans mirador, le personnel pénitentiaire propose “une prise en charge globale et adaptée” à des multirécidivistes permettant ainsi à 70 % d’entre eux de bénéficier au bout de six mois en moyenne d’un aménagement de peine.
“On essaye d’être pédagogues”
“La clé de la prévention de la récidive, c’est l’individualisation de la peine, avance tel un leitmotiv Aurore Cayssials. Ici, je les connais tous. Quand j’arrive le lundi, je peux vous dire ce qu’il s’est passé le week-end. Ça, je ne pourrais pas le faire en détention classique, où ils sont 100 dans une coursive.” L’autre objectif de la SAS est de créer du lien avec l’extérieur. Pour cela, le personnel encourage les permissions de sortir que ce soit pour effectuer des démarches administratives, professionnelles, de santé, pour voir sa famille, ou encore pour participer à une activité sportive.
Pour intégrer la SAS, les détenus doivent remplir trois critères : avoir écopé d’une condamnation inférieure à deux ans ou présenter un reliquat de peine inférieur à cette durée, avoir une situation administrative régularisée ou régularisable et, s’ils présentent des troubles psychiatriques, être “stabilisés”. C’est à leur arrivée à la maison d’arrêt des Baumettes, située à moins de 100 mètres, que l’équipe repère les profils intéressants et volontaires. Pour intégrer la structure, les personnes détenues s’engagent à préparer un projet de sortie et à participer à des activités. Il est interdit à la SAS de passer 22h/24 dans sa cellule, “à regarder NRJ12”, lance la directrice.
En échange, le régime de détention y est assoupli. Chaque détenu possède la clé de sa cellule et peut circuler librement six heures par jour. S’il ne respecte pas le contrat, il reçoit un premier avertissement, et peut être renvoyé en détention classique. “Mais il y a peu de renvois, explique Aurore Cayssials, on essaye d’être pédagogues.” À condition de ne pas enfreindre une ligne rouge : la violence sur un codétenu ou un membre du personnel, du jamais vu depuis l’ouverture, assure-t-on.
“Un petit coup de mou”
Quand ils débarquent à la SAS, les détenus passent deux semaines au bâtiment H, le temps de juger s’ils y ont vraiment leur place. Ce jour-là, comme chaque semaine, le personnel passe en revue ceux qui viennent d’arriver et “ceux qui ne jouent pas le jeu“. Chloé Calvez, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip) – une sorte de “cheffe d’orchestre du parcours de détention” – évoque le cas d’un jeune homme célibataire. “Il rêvait d’avoir une vie qu’il n’avait pas”, dit-elle en relisant ses notes.
C’est sa troisième incarcération, il a déjà bénéficié d’un bracelet électronique. Il est “calme et correct”. “C’est un grand privilège pour lui d’être là”, rapporte la conseillère. “Il est volontaire, disponible, il a largement sa place au sein de la structure”, conclut Aurore Cayssials, avant de passer au cas de M. M qui connaît, lui, “un petit coup de mou”.
“Il a été exclu de Possibilty”, un atelier dans lequel les participants apprennent des méthodes de communication. “Il a tout juste 18 ans, il faut le réveiller pour aller à l’école, pour aller aux activités. On le repasse au H en régime fermé tout en maintenant ses activités”, décide finalement la directrice qui dispose de 101 places. “Pas une de plus. Ici, on ne mettra jamais de matelas au sol”, dit-elle, faisant référence à la maison d’arrêt des Baumettes occupée à plus de 150 %.
Trois-quarts des détenus étant, là-bas, en attente de procès, Aurore Cayssials a même parfois du mal à trouver des candidats, surtout en cette période de grève des avocats, de nombreux procès étant reportés. “Comme on est en sous-effectif, on nous envoie n’importe qui”, peste Chloé Calvez, Conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation depuis huit ans. Ce jour-là, elle rencontre pour la première fois un homme envoyé aux Baumettes pour conduite sans permis. Arrivé il y a quelques jours à la SAS, le détenu semble totalement perdu. “Il n’a pas le profil”, soupire-t-elle. En théorie, elle devrait solliciter son transfert mais elle ne le fera pas. Elle va plutôt demander au juge d’application des peines d’examiner un aménagement de peine sans débat contradictoire. Alors qu’ailleurs, un juge réactif reçoit au bout de deux mois, Chloé Calvez peut espérer que le jeune homme obtienne un rendez-vous d’ici trois semaines.
Argent et impuissance
À la SAS, ils sont d’ordinaire quatre CPIP comme Chloé Calvez à conseiller et orienter les personnes détenues. Depuis son arrivée dans la structure, la jeune femme se sent “plus utile”, les personnes détenues sortant avec “le sentiment d’avoir perdu moins de temps”, dit-elle. “Aux Baumettes historiques, les entretiens étaient pollués par les conditions de détention. Ce n’était pas le lieu pour créer un projet.”
« Je vais juste remplacer la cocaïne par des voitures et des frigos. On va entendre parler de moi. » Youri, 29 ans
Créer un projet, rendre la peine utile, réparer l’humain. C’est justement tout l’enjeu d’un séjour à la SAS. Youri, 29 ans, est arrivé il y a deux mois après avoir été condamné à cinq ans de prison pour trafic de cocaïne. Vêtu d’un bleu de travail, la tenue des « auxi », ces détenus chargés du ménage et de la distribution des repas dans leur bâtiment, le jeune homme a encore vingt-deux mois à purger. Il y a quelques jours, il a rencontré pour la première fois la conseillère pôle emploi. Il lui a raconté qu’il voulait s’orienter dans l’import-export bien que le juge ait assorti sa condamnation d’une interdiction d’exercer une activité commerciale. Mais, il n’en démord pas. “Je vais juste remplacer la cocaïne par des voitures et des frigos. On va entendre parler de moi.” Pour sortir, il lui faut “un tremplin”, dit-il. Ayant un CAP électricité en poche, il pense qu’un poste de magasinier en électricité pourrait faire l’affaire tout en sachant qu’il est “tellement ambitieux” qu’il ne “supportera pas de gagner le SMIC”.
L’argent est sans doute le principal ennemi des personnels de la SAS. Alors quand Julie Pennet, conseillère pôle emploi justice, propose un chantier d’insertion “à 800 euros le mois, alors que le gars gagne plus de 5 000 euros par mois [avec le trafic]”. “La plupart n’ont pas peur de la police et de la prison, ils ont peur d’être flingués”, rappelle-t-elle. “Je me sens assez impuissante face à ça”, reconnaît pour sa part Chloé Calvez.
“Je me sens comme dans un cocon”
Côtés effectifs, Aurore Cayssials estime avoir “clairement les moyens”. Quarante et un surveillants pour 101 détenus auxquels s’ajoutent 54 places en semi-liberté. Le reste de l’équipe est composé d’une assistante sociale, de deux conseillères de la mission locale (dont une à mi-temps), de deux salariées pôle emploi (dont une à mi-temps) et de quatre Cpip. Ces derniers gèrent “30 à 35 dossiers, aux Baumettes 2, c’est plutôt 85 à 90 dossiers”. De son côté, Chloé Calvez, estime que ce n’est tout de même “pas suffisant“. Chaque Cpip doit également se répartir les dossiers des personnes bénéficiant d’une semi-liberté.
À la SAS, le personnel est aussi plus accessible qu’ailleurs. Il n’est pas rare de croiser dans un couloir un détenu en train de discuter avec un surveillant, pas non plus besoin d’attendre des semaines pour caler un rendez-vous avec un conseiller. “Ici, c’est plus humain, et à mon avis, c’est comme ça que l’on donne du sens à la peine”, relève Julie Pennet. Mais comme ailleurs, la conseillère pôle emploi se heurte aux mêmes difficultés d’une recherche d’emploi en détention : un accès à internet inexistant et des délais judiciaires qui s’éternisent. Elle fait aussi en fonction des profils.
En France, 10 % des détenus sont illettrés, et plus de 40 % n’ont aucun diplôme. C’est pourquoi les chantiers d’insertion sont privilégiés. “Il est compliqué d’accéder aux employeurs classiques, les phases de recrutement étant trop rapides pour nous.” La jeune femme est, par ailleurs, consciente que “la majeure partie” mène un projet pour obtenir un aménagement de peine “mais certains voient plus loin, et veulent vraiment travailler”. “Quand ils sont ici, la motivation est sincère mais à la sortie, ils retrouvent souvent leur cadre familial et l’environnement de la cité”, observe pour sa part Chloé Calvez.
Dans quelques jours, Kevin, 24 ans, participera à un match de foot en salle en compagnie de plusieurs recruteurs, un espoir pour lui de décrocher un job de commercial dans la grande distribution bien qu’il préférerait devenir régisseur sur des tournages. L’envie est née lors d’une formation audiovisuelle préqualifiante mise en place à la SAS par l’association Lieux fictifs. Pendant quatre mois, il a acquis des bases en son, lumière, montage. Il a aussi appris à travailler en groupe, à respecter des horaires, à se fixer des objectifs. Après la SAS, Kevin espère intégrer un CAP image et sons bien qu’il ne soit pas certain d’être “prêt à sortir”. “Ici, je me sens comme dans un cocon, avoue-t-il. Je n’ai pas de compte bancaire, pas de papier à remplir, pas de loyer à payer.” Pas de contraintes.
Y a tout le 13e là-bas, j’aurais fait n’importe quoi. Je serais encore à balle dans la fumette, j’aurais fait passer du shit, des téléphones, ça m’a apaisé d’être ici.
Une rechute dans le parcours
Dans deux jours, Youssef, 19 ans, retrouvera, lui, l’odeur du bitume et les copains du quartier. Après six mois d’incarcération, il dit avoir “beaucoup mûri”. S’il était resté aux Baumettes, “tout aurait été différent, pense-t-il. Y a tout le 13e là-bas, j’aurais fait n’importe quoi. Je serais encore à balle dans la fumette, j’aurais fait passer du shit, des téléphones, ça m’a apaisé d’être ici.” Et ça lui a permis de réfléchir à l’avenir. Déjà titulaire d’un BEP, il va intégrer en septembre prochain un BTS spécialisé dans la digitalisation de la relation client. En attendant, une conseillère de la mission locale lui a déniché une formation de 400 heures en web marketing. De quoi ne pas arriver “en touriste” à la prochaine rentrée.
Alors que la prison est encore décrite comme une machine à récidiver – le taux de récidive (2) était de 33 % en 2018 – la SAS ambitionne de faire reculer les chiffres en donnant du sens à la peine. Mais presque deux ans après son ouverture, aucune statistique officielle n’est venue conforter ces espoirs. Sur 640 entrants, Aurore Cayssials a toutefois repéré 41 retours aux Baumettes, soit 6 % de récidive – un chiffre qui ne comptabilise pas les détenus envoyés dans un autre établissement pénitentiaire. Même pour ceux-là, “la rechute peut faire partie du parcours”, juge la directrice. “S’ils rentrent trois fois pour trafic, puis la quatrième pour conduite sans permis, c’est une sortie progressive de la délinquance.”
Quelques heures avant de passer la porte de sortie, Youssef, lui, ne craint pas la récidive. Les “larmes” de sa mère lui ont bien fait comprendre que “le jeu n’en valait pas la chandelle”. S’il est à nouveau condamné, il ne repassera jamais par la SAS. “On leur donne cette chance une seule fois.”
1) Afin de conserver l’anonymat des personnes, tous les prénoms ont été modifiés.
2) Ce taux est la somme du taux de récidive légale et du taux de réitération à 5 ans.
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