À la prison de Luynes, la lutte inégale contre l’omniprésence des portables en cellule
Marsactu a participé, avec deux parlementaires, à une visite sous haute surveillance de la maison d'arrêt de Luynes. Le 4 octobre, un assassinat a été commandité par téléphone depuis le quartier d'isolement. Chaque semaine, des portables y sont saisis. Mais l'administration pénitentiaire ne parvient pas à enrayer le phénomène.
Un cellule de la maison d'arrêt "Luynes 2", près d'Aix-en-Provence. (Photo : CMB)
Tout le monde en a parlé. Le 4 octobre, depuis la maison d’arrêt de Luynes près d’Aix-en-Provence, un jeune homme de 23 ans a commandité un assassinat. Le “go” a été donné à partir d’un portable, acheminé, on ne sait comment, jusqu’à la cellule du détenu placé au quartier d’isolement. L’homicide a eu lieu à quelques dizaines de kilomètres de là, dans le 3e arrondissement de Marseille. La victime, un père de famille et chauffeur VTC totalement étranger à la guerre des narcotrafiquants, avait 36 ans. L’auteur du tir mortel, 14.
Deux semaines plus tard, Marsactu a pu visiter la prison aixoise, aux côtés de six autres journalistes et des sénateurs des Bouches-du-Rhône Guy Benarroche (EELV) et Marie-Arlette Carlotti (PS). Une visite impromptue, comme cela est autorisé par la loi, en présence de parlementaires. Mais surtout, une visite sous très haute tension. Puisqu’une inspection de la maison d’arrêt a été annoncée par le garde des Sceaux Didier Migaud, quelques jours après le drame. Elle n’a pas encore eu lieu.
À notre arrivée, nous sommes reçus par la directrice de la prison, Rachel Collin, sa directrice adjointe et la directrice des ressources humaines. Seuls les deux élus sont autorisés à garder leur portable au cours de la visite. En raison de la présence de plusieurs caméras, le groupe est contraint de se diviser en deux. “Chaque parlementaire n’a le droit d’être accompagné que de deux appareils de prise de vue”, explique la directrice, qui tient à appliquer strictement la réglementation. “C’est la première fois que ça se passe comme ça”, lui soufflent les deux parlementaires.
Deux fois la taille des Baumettes
C’est aussi la première fois que la prison de Luynes se retrouve en une des journaux pour un tel dysfonctionnement. Pourtant, il faut rappeler que l’omniprésence des portables en détention touche toutes les prisons de France. Mais c’est bien ce point précis que les deux parlementaires, qui ont participé à l’enquête sénatoriale sur le narcotrafic publiée au printemps, sont venus inspecter. Au cours de notre visite, nous serons escortés par la direction, le service communication de l’administration pénitentiaire, et trois agents, dont un officier. Nous n’aurons pas l’occasion de nous entretenir avec un seul des 2000 détenus incarcérés à Luynes. Nous n’irons pas voir les lieux de vie, ni le quartier de semi-liberté. Le programme établi par les deux élus est clair : “Visiter les parloirs familles, les parloirs avocats, le quartier d’isolement, le local des saisies et tester les brouilleurs téléphoniques.”
La maison d’arrêt de Luynes est, depuis plusieurs années, l’une des plus surpeuplées de France, avec un taux d’occupation qui oscille entre 130 % et 150 %. “Au maximum, on a pu mettre jusqu’à une centaine de matelas au sol”, détaille la directrice du centre pénitentiaire. Avec une occupation réelle de 2000 détenus, la prison est deux fois plus grande que sa voisine des Baumettes. Pour cette raison, elle abrite aujourd’hui près de 60 % de détenus d’origine marseillaise. Les hommes incarcérés à Luynes sont principalement déjà condamnés, seuls 30 % d’entre eux sont en attente de jugement. “Sur ce point, c’est le contraire des Baumettes”, détaille la directrice Rachel Collin. Dernier point théorique : le centre pénitentiaire est divisé en deux ensembles de bâtiments, “Luynes 1” (construit en 1990) et “Luynes 2” (construit en 2018). Entre les deux, il faut prendre la voiture tant le site est grand.
Notre visite démarre par le parloir familles de Luynes 2, un ensemble de salles ultramodernes et ultrapropres. C’est ici que les proches des détenus peuvent apporter des affaires personnelles, et la liste des objets interdits est affichée aux murs. Des fouilles sur les détenus peuvent être réalisées après les visites, à condition qu’elles soient motivées, assure la directrice. “De toute manière, ils ont d’autres moyens de faire entrer des téléphones et des stupéfiants”, précise l’officier Farah, responsable des “quartiers spécifiques”, dont le quartier d’isolement (21 places) et le quartier radicalisation (15 places).
Drones et corruption
Ce qui préoccupe le plus l’administration pénitentiaire ces temps-ci, c’est la livraison par drone. Mais le phénomène n’est pas quantifié. “C’est par vagues. Parfois, on n’en intercepte pas du tout, et parfois, deux ou trois dans la même nuit”, commente l’officier Farah. Ce type de livraison serait facturé entre 500 et 1500 euros. Une patrouille de police, accompagnée d’un “chien mordant”, effectue des rondes nocturnes pour tenter d’interpeller ces fournisseurs.
Il y a de la complicité en interne, il y a de la complicité avec des prestataires extérieurs.
un officier
L’officier Farah poursuit : “On ne va pas se mentir, on sait qu’il y a aussi beaucoup de circuits dans la prison pour se faire livrer des choses. Il y a de la complicité en interne, il y a de la complicité avec des prestataires extérieurs.” La problématique de la corruption des agents pénitentiaires, fonctionnaires dont les salaires d’entrée font partie des plus bas de France, est inscrite au rapport sénatorial sur le narcotrafic. Là encore, sans que le phénomène puisse être quantifié.
Le sénateur Guy Benarroche, avec qui nous effectuons la visite, est le seul autorisé à poser des questions. L’usage du téléphone est au cœur de ses préoccupations. “Chaque cellule est équipée d’une cabine téléphonique. Autrefois, le prix des appels était un frein, il ne l’est plus aujourd’hui, et tous les détenus utilisent les cabines pour appeler leurs proches”, rappelle Rachel Collin. Ce qui laisse entendre que les portables personnels seraient dédiés à d’autres usages.
Brouillage partiel
Entre vingt et trente appareils sont retrouvés dans des cellules chaque mois. “On vient de procéder à la destruction de 500 kilos de matériel électronique et de 48 kilos de stupéfiants. Cela correspond environ à ce qu’on a saisi sur dix-huit mois”, ajoute un agent pénitentiaire. La salle des saisies, justement, est au programme de la visite. Une immense étagère porte des dizaines de cartons, où chaque saisie est rangée dans une enveloppe. Sans surprise, une très forte odeur de cannabis se dégage de la pièce.
Cinq minutes de voiture plus tard, nous voilà entrés à “Luynes 1”. Si le bâtiment est moins moderne que son voisin, il ne semble pas insalubre. Mais encore une fois, impossible de juger des conditions de détention depuis les couloirs vides dans lesquels nous circulons. Nous atteignons le quartier d’isolement, divisé en deux allées. L’une d’elles donne directement sur le mirador. Aucune prise de vue n’est autorisée dans ce secteur. “C’est ici que sont placés les profils les plus lourds”, souligne Rachel Collin. La directrice nous montre un brouilleur d’ondes, dont l’emplacement ne doit pas être révélé. Dans son périmètre, le sénateur Guy Benarroche tente un appel téléphonique, sans succès.
“Pour l’heure, on a un système de brouillage mobile, ciblé dans des endroits stratégiques, indique l’officier Farah. On va aller vers un brouillage total.” Si le brouillage fonctionne bel et bien à proximité de l’appareil, cela ne résout pas le mystère qui nous a tous amenés ici : comment le détenu de 23 ans placé à l’isolement a-t-il pu, lui, utiliser son portable dans la zone ? “Parfois, la technologie va tellement vite…”, répondent plusieurs fois les agents pénitentiaires, vraisemblablement démunis. Notre visite n’offrira pas une meilleure réponse à la question. Quant à l’enquête sénatoriale publiée au printemps, elle avait vocation à déboucher sur une proposition de loi. Entretemps, il y a eu une dissolution de l’Assemblée nationale et un nouveau gouvernement. Qui n’en a pas reparlé depuis.
Commentaires
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Des prisons pleines de puces.
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“De toute manière, ils ont d’autres moyens de faire entrer des téléphones et des stupéfiants”
“Mais le phénomène [la livraison par drone] n’est pas quantifié.”
“Là encore, sans que le phénomène [de corruption] puisse être quantifié.”
L’impuissance publique dans toute sa splendeur.
“Au cours de notre visite, nous serons escortés par la direction, le service communication de l’administration pénitentiaire, et trois agents, dont un officier.”
En revanche, quand il s’agit de faire de courbettes devant les parlementaires qui assurent à juste titre leur mission de contrôle, et qu’il faut vérifier que la presse n’abuse pas de son pouvoir, bizarrement l’administration (pénitentiaire en l’espèce) trouve des moyens.
Bref, un énième exemple de la mexicanisation de la France. Et Marseille en est la tête de pont.
En outre, ça n’est pas près de s’arranger : https://x.com/Cdanslair/status/1846955018135785847
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La “paix sociale” dans les prisons comme à l’extérieur ” s’achéte par une ” tolérance” et une politique du ” pas de vagues” qui conduisent à cette impuissance publique. lorsque la vague prend le dessus.
A une autre échelle on peut comparer avec ce qui se passe dans les cités où le narcotrafic a pris tellement d’importance et rapporte tant d’argent que la ” puissance publique” est dépassée. ” Nous sommes en train de perdre la bataille” a déclaré il y a quelques mois une magistrate marseillaise. Et ce ne sont pas les coups de menton XXL de Macron dans quelques cités qui changent quoique ce soit. Au contraire. Un guetteur à peine majeur voire mineur gagne 150 euros par jours et un livreur 300 indique un récent rapport de la cour des comptes … cherchez l’erreur ! A ce tarif pourquoi perdre son temps à apprendre les maths ou la grammaire française. L’école de la République a perdu du terrain dans les quartiers populaires car elle n’offre pas de perspectives enviables., c’est à dire une bonne insertion professionnelle, un emploi , un équilibre affectif et social ,bref une vie souhaitable … Et je crains que Retailleau ne soit pas l’homme de la situation pour ” retablir un peu d’ordre” dans ce bazar. A suivre …
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Une solution, certes imparfaite: Dépénalisation, légalisation et vente controlée par l’état du cannabis sous ses diverses formes, en prenant exemple sur la vente légale du tabac, de l’alcool et des psychotropes médicaux, c’est à dire RÉAGIR !
Ça n’arrivera pas avec Barnier et sa clique de droite extrême.
Hélas, préparons nous à de nombreux morts et à des prisons surchargées qui vont continuer à se remplir.
La France a été de nombreuses fois condamnée pour la vétusté inhumaine de ses centres de détention et de rétention. Mais rien ne bouge.
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