À la Plaine, le quotidien est toujours en chantier

Actualité
le 16 Nov 2021
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La nouvelle formule de la Plaine est plébiscitée par de nombreux Marseillais. La plus grande place de la ville est pourtant toujours au centre de nombreuses interrogations, débats et conflits. Entre fêtards et riverains comme entre collectivités, la cacophonie continue.

Dès sa réouverture, en mai dernier, la place a accueilli de nombreux Marseillais, souvent fêtards. (Photo LC)
Dès sa réouverture, en mai dernier, la place a accueilli de nombreux Marseillais, souvent fêtards. (Photo LC)

Dès sa réouverture, en mai dernier, la place a accueilli de nombreux Marseillais, souvent fêtards. (Photo LC)

Au milieu de la Plaine trône la terrasse du Petit Nice. À cette heure fraîche et matinale, les cafés fumants sont montés en deux étages sur les plateaux de serveurs déjà bien réveillés pour alimenter une terrasse bien remplie. Les équipes de nettoyage font des allers-retours de Kärcher pour nettoyer les traces d’une nuit une nouvelle fois bien agitée, dans un bruit mécanique qui ne plaît pas à Myriam. Elle est “du quartier”, preuve en est, le serveur connait sa commande. Elle est venue prendre sa dose de caféine, avec un œil au loin sur ses enfants qui se défoulent dans le square au centre de la place. “On s’entend pas parler, c’est insupportable, non ?”.

Si, de bon matin, le nettoyage de la place empêche de s’entendre, le soir, ce sera probablement autre chose. La fanfare, la musique des apéros improvisés et le bruit des terrasses sont la bande son d’un quartier que les Marseillais s’approprient à leur façon. Après des années de brouillard sur l’avenir de la plus grande place de la ville, les travaux sont finis et le brouillard pas tout à fait dissipé. Si la place est passée d’un parking géant à un grand espace quasi piéton est finalement plutôt plébiscité, tout est très loin d’être résolu.

Explosion de la vie nocturne et nuisances

Certains habitants se plaignent d’une série de nuisances qui ne sont pas prises en charge, le collectif des riverains de la Plaine allant même jusqu’à décrire “une zone de non-droit où tout semble permis”, dans un communiqué. Les commerçants qui font vivre la place veulent pour leur part être associés au futur de la Plaine, dénonçant un manque de dialogue. En bref, comme le dit Myriam, on ne s’entend pas parler.

On est passé d’un parking fréquenté par cinquante à cent personnes à un espace fréquenté par un millier de personnes le soir.

Hazem El Moukkadem, commerçant

Une situation à laquelle Hazem El Moukkadem veut commencer à remédier. Dans le quartier, tout le monde le connaît et il semble connaître tout le monde. Gérant de plusieurs établissements aux quatre coins de la place, habitant du coin, il pratique la Plaine sous beaucoup d’aspects depuis bien des années, et il constate son évolution : “Le quartier a pas mal changé depuis la fin des travaux, pour moi en positif. On est passés d’un parking fréquenté par cinquante à cent personnes à un espace fréquenté par un millier de personnes le soir”. Suite à des travaux longs et marqués par de nombreux conflits, l’ouverture de la place a presque coïncidé avec la fin du couvre-feu et rapidement, les fêtards se sont réapproprié l’espace. “La Soleam [la société d’aménagement métropolitaine, ndlr] a construit une place ouverte, avec beaucoup d’espace. La question, c’est comment on occupe cet espace, et on a créé une association qui regroupe la majorité des commerçants de la Plaine, parce que cette place a des enjeux spécifiques, on veut proposer des solutions”.

Plus tard le soir, vers 23 heures, c’est effectivement bien rempli. Les serveurs du Petit Nice ont changé et les plateaux ne sont plus chargés de cafés, mais de pastis, de bière et de vin. De ce côté-là de la place, c’est un fond de reggae, de l’autre près du boulevard Chave, c’est un concert improvisé de guitare et percussions, le tout sur un fond de terrasses bondées.

Lola, étudiante marseillaise est dans l’un des nombreux groupes posés sur les bancs, près de l’arbre ou même par terre. Tout le monde est assis autour de quelques bières, et elle en pioche une avant d’expliquer ce qui la fait venir ici : “Ici tu peux rencontrer des gens de tous les horizons, que tu n’aurais pas pu rencontrer ailleurs.” Loin de son esprit les problèmes de nuisance : “Nous, on ramasse toujours ce qu’on laisse. À part ça, j’ai envie de leur dire que si tu veux être au calme, faut pas habiter sur la Plaine”.

Elle commence à prévoir le départ, parce qu’après une certaine heure, elle préfère ne pas traîner. “En tant que femme, j’avoue qu’après minuit, une heure du matin, je prévois un autre plan que de rester dehors”. Un commerçant du coin partage son analyse : “ça fait partie de mon recrutement, j’ai tendance à prendre des serveurs qui savent gérer ce genre de situations. Pas que ce soit ultra dangereux, attention hein, mais il y a du monde, souvent un peu ivre, ça crée des tensions et les flics ne viennent pas toujours”. Hazem El Moukkadem, pour sa part, constate tout de même une amélioration : “Je pense que ça va vers le mieux. Je serais curieux de voir des statistiques du côté du Vieux-Port, ou même à côté vers le cours Julien, à mon avis, on est beaucoup plus en sécurité sur la Plaine le soir que là-bas”.

Un manque d’outils pour faciliter le dialogue

Un millier de fêtards et fatalement il y a du bruit, des dégradations. Nicolas Rutily, membre du collectif des Riverains de la Plaine, peut en faire une liste assez longue, et pas seulement des enjeux de sécurité : “Le niveau de nuisances actuel est nouveau et a pris d’énormes proportions : la fanfare tous les soirs, les systèmes sonores posés sur la place sans aucune considération pour les personnes qui habitent au-dessus, la dégradation du mobilier urbain, les odeurs d’urine … Et tout ça, ce n’est pas un simple constat d’un Parisien qui vient d’acheter son appartement. On peut faire un tour du quartier et à chaque porte on aura une plainte de gens qui habitent ici depuis très longtemps”. Il regrette notamment une absence de décision des pouvoirs publics. “Tout ce qu’on demande, c’est que les institutions prennent en charge l’animation de la place. Le problème, c’est pas les commerçants mais les rassemblements”.

S’il est un point sur lequel tout le monde s’entend malgré les différends, c’est que rien ou presque n’a été anticipé, et que les usages de la place ont été improvisés plutôt que créés. S’il souhaite la création d’un terrain d’entente, Hazem El Moukkadem y voit là une certaine force : “Toute la beauté de la Plaine c’est qu’on s’y crée son identité. Au même titre que le Parisien qui vient d’acheter, le riverain historique, le commerçant, le fêtard, le forain et tous les autres acteurs qui font ce quartier doivent avoir une voix. Il faut créer une structure qui puisse rassembler tous ces discours et proposer des solutions concrètes”.

Chez le collectif des Riverains aussi, le besoin d’interface de dialogue est formulé. “Un vrai outil de démocratie participative, c’est une bonne solution, réagit Nicolas Rutily, qui ajoute tout de même : “On a demandé un coordinateur au moment des municipales, la mairie nous l’avait promis et il est en poste”. Malgré plusieurs tentatives, Marsactu n’a pas été en mesure de rencontrer ce fonctionnaire, soumis à un devoir de réserve.

Friture entre collectivités

Proposer des solutions, car les problèmes existent et les responsabilités de pouvoirs publics sur la place se superposent. La métropole a été chargée de la réalisation de la place – via la Soleam – et gère, ici comme ailleurs, la propreté. La mairie a entre autres la charge de la sécurité, des espaces de jeux et de l’organisation du marché. Sans oublier que la place est à cheval entre trois mairies de secteur. Illustration de la mésentente entre ces institutions sur le sujet, la métropole a récemment interpellé la Ville par communiqué pour lui demander d’agir “face aux dégradations et débordements disproportionnés et permanents qui font vivre, chaque soir de semaine, l’enfer pour les riverains”.

La Plaine est un OVNI, dans le bon sens du terme, dont personne n’avait anticipé l’ampleur.

Pierre Bennaroche, maire des 6/8

Pierre Benarroche, maire (Printemps marseillais) des 6e et 8e arrondissements, qui inclut une partie de la Plaine, leur renvoie la balle : “C’est un peu malvenu de leur part. La Plaine est un OVNI, dans le bon sens du terme, dont personne n’avait anticipé l’ampleur. On aurait aimé plus de concertation à la conception, là tout le monde découvre cette place. Clairement, on y fait la fête, on y vit. C’est très bien, mais une fanfare jusqu’à quatre heures du matin, qu’on soit néo-Marseillais ou riverain historique, il y a des enjeux de sécurité et de tranquillité publique qui se posent”.

Le matin, historiquement, sur la place Jean-Jaurès, c’est l’heure du marché. Et si quelques-uns des kiosques apparus avec la nouvelle place commencent leur ouverture ou la mise en place, les 240 forains ne sont toujours pas là. Le retour du marché est l’une des nombreuses interrogations autour de cette nouvelle Plaine et les réponses concrètes tardent à se dessiner. Une nouvelle passe d’armes entre Ville et métropole, après celle qui avait concerné les jeux pour enfants. Comme sur les terrasses, comme parfois entre fêtards et riverains, entre collectivités, aussi, visiblement, on ne s’entend pas parler.

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Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    “À part ça, j’ai envie de leur dire que si tu veux être au calme, faut pas habiter sur la Plaine” : c’est ce genre de phrases qui montre ce que sont certains des usagers de l’espace public, des égoïstes qui méprisent leurs voisins. C’est “l’argument”-massue, du moins le croient-ils, de tous ceux qui pensent avoir le droit de faire ce qu’ils veulent n’importe où et n’importe quand, en oubliant que leur liberté s’arrête là où commence celle d’autrui : ainsi, les scootards et motards qui ont trafiqué le pot d’échappement de leur machine se croient souvent malins en répliquant que si tu es gêné par leur vacarme, tu n’as qu’à habiter à la campagne. Ils ne sont pas malins, ils sont juste cons. Beurk.

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    • Piou Piou

      Et c’est facile pour les petits cons de dire ça aux habitants propriétaires qui, même s’ils le voulaient, ne pourraient déménager sans brader leur logement dévalué à cause des nuisances causées par ces mêmes petits cons.

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    • Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

      vous m’avez devancé quelle gourde cette lola étudiante en quoi ? les résidents qui y habitent depuis des années doivent donc déménager et ce n’est pas les plus riches!!

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    • vékiya vékiya

      Piou si vous me trouvez un logement dévalué à cause de la nouvelle place, dites le moi je suis preneur

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  2. Massilia fai avans Massilia fai avans

    Il y a quelque chose qui m’échappe j’avoue: c’est le n ième article sur la Plaine depuis la ”livraison” de la place et la situation évolue peu. Les journalistes rencontrent toujours les mêmes personnes (commerçants, associations) qui exposent les mêmes problématiques: nuisances sonores, hygiène, et insécurité passé une certaine heure (et on ne parle pas des points de deal). On voit également des élus sont dans le constat et pas dans l’action. Bref, le titre de l’article est approprié et j’ai peur de vivre dans un “chantier ” marseillais de 40 ans.

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  3. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    S’il y avait eu une véritable CONCERTATION avec les habitants (propriétaires et/ou locataires) peut-être nous ne serions pas arrivé là. Mais les élus/technocrates sont toujours prompts à décider seuls…
    Messieurs/Dames les élus, le peuple des citoyens-habitants-contribuables possède de bonnes idées. De plus il vous paye et …grassement!

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    • Alceste. Alceste.

      Cela est vrai , depuis les dernières élections , certain(e)s se sont bien arrondi(e)s

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  4. Assedix Assedix

    On reproche, à juste titre, énormément de choses à la majorité métropolitaine mais pour le coup, j’aurais bien aimé que l’adjoint à la tranquillité publique fasse preuve de la même habileté que Martine Vassal, qui se sert de la subvention de l’État pour faire avancer ses propres projets.
    Quand on lui a proposé 500 caméras dont il ne voulait pas, il aurait peut-être été plus malin de la part de Y. Ohanessian de pousser des projets alternatif pour appaiser la place J. Jaurès de botter en touche en réclamant la fibre…

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  5. Andre Andre

    Un projet d’espace public, en premier lieu, ça se concerte et on essaie d’y intégrer le maximum de contraintes prévisibles. Ensuite, ça se gère au quotidien.
    Il ne suffit pas de “faire joli” comme aurait dit Martine.
    Et on n’a pas encore tout vu! Attendons que le marché revienne, ce qui en soi est plus que souhaitable mais qui imposera des contraintes de gestion autrement plus exigeantes…

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  6. kukulkan kukulkan

    il faudrait un article qui dénonce la non finition des travaux sur le coin Chave de la Place (c’était toujours le cas il y a quelques semaines). Car Rouillé Pet Rot se pavanait et tapait sur le carnaval alors que sa SOLEAM n’avait même pas fini le taf…

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  7. Bouyaka13 Bouyaka13

    Si il y avait une présence policière importante et régulière, le pb serait réglé depuis longtemps, et pas que à la Plaine mais dans tout Marseille…Dans cette ville le sentiment d’impunité est général, alors il ne faut pas s’étonner ensuite… Mettez des patrouilles, des équipages qui viennent des qu’on les appelle, verbalisent, confisquent les scooters, embarquent et vous verrez que ça changera… En attendant la nuit dans la 2eme ville de France il y a 3 équipages de PM pour 900 000 habitants…et pas de fourrière non plus pour enlever les véhicules garés devant les garages qui empechent leurs habitants de rentrer ou sortir etc…

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  8. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    ne parlons pas des 130 m de pistes cyclables du haut du bd chave jusqu’au tunnel très peu utilisée! car les cyclistes qui viennent de la plaine et tourne sur leur droite ne la voit pas donc bien évidemment roulent sur le trottoir comme avant, ah j’oubliais est utilisée aussi par les conducteurs de scooter qui traversent la Plaine piétonne et la descendent, ne parlons de cette piste qui en montant sert de rodéo. Mon compagnon y habite dés qu’il peut il vend son immeuble et part. Impossible de se garer pour décharger lorsque l’on arrive avec des charges lourdes. Tous les élus s’en “contrefichent”!! une véritable aberration à la Marseillaise. Quand je lis que le fameux médiateur ne peut répondre car il a un devoir de réserve; donc à quoi sert il ? et où est son “bureau” ? quelles sont ses horaires….de fonctionnaire. La dernière fois on a eu la chance on a eu une place. Samedi on a voulu partir à 12h une voiture nous bloquait donc que faire et bien klaxonner donc on dérange bien évidemment mais comment faire autrement, enfin au bout de 10 mn la conductrice est sortie de chez elle.

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